Le mythe de la classe ouvrière blanche réactionnaire
Par Eric London
14 novembre 2016
Dans les jours qui ont suivi la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle, le Parti démocrate et les médias ont attribué les résultats de l’élection à l’ignorance, aux gens arriérés, au racisme et au sexisme qui seraient inhérents à la « classe ouvrière blanche ».
« Comment Trump a gagné : les Blancs de la classe ouvrière », a titré un article du New York Times mercredi. Le chroniqueur Charles Blow a écrit une tribune libre dans le Times jeudi : « Je ne peux que supposer que le président Donald Trump sera un bigot. Il est absolument possible que l’Amérique ne l’ait pas élu malgré cela, mais à cause de cela ».
La presse dite « de gauche » a avancé le même récit racial : Monica Potts dans The Nation a noté avec un sarcasme haineux, « Cette période électorale n’a pas vu un manque de portraits tendres, inquiets, de la condition de la classe ouvrière blanche et ses griefs économiques […] ».
Potts explique la victoire de Trump en termes d’identité, d’ethnie et de genre. La classe ouvrière dans les communes rurales « gagne plus d’argent que ses voisins pauvres », écrit-elle. « Ils pensent qu’ils travaillent dur, et ils pensent que les autres ; leurs voisins, les immigrants, les Afro-américains dans les « cités » ne le font pas […] Alors qu’ils pourraient faire mieux et qu’ils ont certes du mal à s’en sortir, c’est leur identité culturelle qui est importante dans cette élection […] Ce n’était pas un problème d’angoisse. Il s’agissait d’identité. »
Cette présentation identitaire de l’élection de mardi est une fable balayée par l’analyse la plus élémentaire des données de l’élection.
La statistique la plus significative de l’élection de 2016 est la baisse massive de soutien aux candidats démocrates et républicains. Alors qu’il reste encore des voix à compter en Californie qui peuvent légèrement modifier ces chiffres, Hillary Clinton a obtenu environ dix millions de voix de moins que Barack Obama il y a huit ans. Trump, qui a perdu le vote populaire tout en gagnant le vote électoral, a obtenu le moins de voix de n’importe quel candidat des deux partis depuis 2000. Ces chiffres sont encore plus frappants en raison d’une augmentation explosive du nombre des électeurs inscrits : 18 millions depuis 2008.
Bien plus importants que les votes pour l’un ou l’autre candidat, ce sont les 99 millions d’électeurs inscrits qui se sont abstenus ou ont voté pour un candidat d’un petit parti dans l’élection 2016. Cela donne une mesure du mécontentement social et non de l’apathie. En d’autres termes, alors que Clinton et Trump ont obtenu les voix de 26,6 et 25,9 pour cent des électeurs inscrits, 43,2 pour cent n’ont choisi ni l’un ni l’autre.
Parmi ceux qui ont voté, Trump a obtenu les voix d’un peu plus de 27 millions d’hommes blancs, un chiffre à peu près égale aux 27,2 millions d’hommes blancs qui ont voté pour le républicain Mitt Romney en 2012. En ce qui concerne les femmes, 35,5 millions ont voté pour Clinton en 2016, une baisse significative par rapport aux 37,6 millions qui ont voté pour Obama en 2012. Remarquablement, seulement 30 pour cent des femmes inscrites ont voté pour Clinton en 2016, si on compte celles qui n’ont pas voté.
Clinton a également subi des pertes importantes parmi les Afro-américains, les Latinos et les jeunes électeurs. En 2012, Barack Obama a obtenu 16,9 millions de voix afro-américaines, soit plus de 3 millions de plus que les 13,7 millions de Clinton. Un peu plus de 9 millions de Latinos ont voté pour Obama et Clinton, malgré une augmentation significative de la population des électeurs latinos au cours des quatre dernières années. Parmi les personnes âgées de 18 à 29 ans, les 13,6 millions de voix de Clinton représentent environ 8 pour cent de moins que les 14,8 millions d’Obama en 2012, en dépit d’une croissance similaire de cette catégorie démographique.
En pourcentage des suffrages exprimés, tous les groupes ethniques ont basculé dans le camp républicain en 2016 par rapport à 2012. Cependant, les électeurs blancs ont montré un revirement le moins important en faveur des républicains (1 point de pourcentage), par rapport aux Afro-américains (7 points de pourcentage), aux Latinos (8 points de pourcentage) et aux Américains d’origine asiatique (11 points de pourcentage).
Ces changements, qui se sont produits dans le cadre plus large de l’abstention, ont été motivés en grande partie par des questions économiques. Cinquante-deux pour cent des électeurs ont dit que l’économie était la question la plus importante dans cette élection, loin devant la deuxième question la plus importante qui est à 18 pour cent. Les questions ethniques et de genre n’ont pas marqué les esprits, alors que 68 pour cent des électeurs ont déclaré que leur situation financière était la même ou pire qu’elle ne l’était il y a quatre ans. Trente-neuf pour cent ont dit qu’ils recherchaient un candidat qui « peut apporter le changement », et parmi ceux-ci, 83 pour cent ont voté pour Trump. Cela équivaut à d’environ 40 millions de voix, soit les deux tiers du total de Trump.
Une autre indication que Trump a été considéré comme le candidat du « changement » contre le statu quo de Clinton est le fait que, sur les 18 pour cent des électeurs qui ont dit qu’ils n’aimaient pas les deux candidats, Trump a obtenu 49 pour cent contre 29 pour cent pour Clinton. Quatorze pour cent ont déclaré que ni l’un ni l’autre n’avait le bon tempérament pour être président, et Trump a battu Clinton par 71 pour cent contre 17 pour cent parmi ceux-ci. Chose étonnante, 57 pour cent des électeurs ont dit qu’ils seraient inquiets ou effrayés par une présidence Trump, mais Trump a quand même obtenu 14 pour cent de voix parmi ces électeurs. Ces chiffres indiquent la haine profonde qui existe pour l’establishment politique.
Ces élections ont vu un changement massif dans le soutien accordé aux partis parmi les électeurs les plus pauvres et les plus riches. La part des voix pour le républicain chez les travailleurs les plus démunis, ceux dont le revenu familial est inférieur à 30 000 dollars, a augmenté de 10 pour cent par rapport à 2012. Dans plusieurs États clés du Midwest, le basculement des électeurs les plus pauvres vers Trump était encore plus grand : Wisconsin (+17 points), Iowa (+ 20 points), Indiana (+19 points) et Pennsylvanie (+18 points).
Le basculement vers les républicains parmi les familles dont le revenu allait de 30 000 dollars à 50 000 dollars était de 6 pour cent. Celles dont les revenus se situaient entre 50 000 et 100 000 dollars se sont éloignées des républicains de 2 points par rapport à 2012.
Les catégories aisées et riches ont voté pour Clinton par une marge beaucoup plus importante que pour le candidat démocrate en 2012. Parmi ceux qui ont des revenus entre 100 000 dollars et 200 000 dollars, Clinton a bénéficié d’un ralliement de 9 points. Les électeurs ayant des revenus familiaux supérieurs à 250 000 de dollars ont basculé vers Clinton par 11 pour cent. Le nombre d’électeurs démocrates parmi les votants les plus riches est passé de 2,16 millions en 2012 à 3,46 millions en 2016, soit un bond de 60 pour cent.
Clinton a été incapable de compenser le déclin du vote chez les femmes (-2,1 millions), les Afro-américains (-3,2 millions) et les jeunes (-1,2 million), issus dans leur grande majorité des pauvres et de la classe ouvrière, par l’apport en hausse des voix des riches (+1,3 million).
La défaite électorale de Clinton est liée à la nature du Parti démocrate, une alliance entre Wall Street et l’appareil militaire et des services renseignement d’une part et des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure d’autre part, qui s’appuie sur la politique de l’ethnie, du genre et de l’orientation sexuelle. Au cours des quarante dernières années, le Parti démocrate a abandonné tous les semblants de réforme sociale, un processus qui s’est accéléré sous Obama. En collaboration avec le Parti républicain et les syndicats, il est responsable d’avoir adopté des politiques sociales qui ont appauvri de vastes couches de la classe ouvrière, quelle que soit leur ethnie ou leur genre.
La conjoncture politique actuelle présente de réels dangers pour la classe ouvrière américaine et internationale. Le gouvernement Trump sera le plus réactionnaire de l’histoire américaine. En même temps, l’élection de Donald Trump annonce une période de convulsions sociales renouvelées et explosives.
Le Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste) représente l’unité de la classe ouvrière. La tâche des socialistes est de préparer la classe ouvrière aux bouleversements à venir en s’opposant sans relâche aux tentatives de les diviser en fonction de l’ethnie, de la nationalité ou du genre. Ceux qui sont en accord avec cette perspective devraient rejoindre le Parti de l’égalité socialiste aujourd’hui.
(article paru en anglais le 12 novembre 2016)