Home » Perspectives » Etats-Unis

La campagne électorale américaine révèle l’écart entre les masses et le système bipartite

Par Patrick Martin
7 novembre 2016

Un sondage du New York Times et CBS publié jeudi montre le dégoût du peuple américain envers la campagne électorale de 2016 et la distance qui les sépare des deux grands partis bourgeois. À 82 pour cent contre 13, plus de six contre un, les sondés ont dit que les campagnes de Hillary Clinton et Donald Trump les ont écœurés.

Selon le Times, « Avec plus de huit électeurs sur dix estimant que la campagne les a laissé dégoûtés plutôt que motivés, l’atmosphère de plus en plus délétère de la campagne menace le vainqueur final. Mme Clinton, la candidate démocrate, et M. Trump, le candidat républicain, sont considérés comme malhonnêtes et vu défavorablement par une majorité d’électeurs ».

Les deux campagnes insultent l’intelligence du peuple américain. Trump fait appel à la colère brute, dénonçant son adversaire comme une criminelle qui devrait être envoyée en prison. Clinton et les démocrates alternent entre une représentation de Trump comme un prédateur sexuel et la calomnie que Trump serait l’instrument de Moscou. Ni l’un ni l’autre ne proposent un programme sérieux pour améliorer le niveau de vie et les conditions sociales de la classe ouvrière, c’est-à-dire de la grande majorité du peuple américain.

La campagne électorale est un signe de plus du dysfonctionnement profond du système politique américain, dans lequel deux partis contrôlés par le grand patronat, chacun défendant les intérêts des super-riches, jouissent d’un monopole politique. Le sondage Times-CBS est une vérification statistique de ce que le Socialist Equality Party (Parti de l’égalité socialiste) et le World Socialist Web Site ont longtemps soutenu : le système bipartite prive les travailleurs d’une représentation politique.

Le recours par les deux campagnes aux calomnies personnelles et au scandale est un moyen d’éviter toute discussion sur les questions urgentes auxquelles sont confrontés les électeurs, surtout sur la crise sociale qui s’aggrave et le risque croissant d’une troisième guerre mondiale.

Pour citer deux exemples de développements ignorés par les deux campagnes :

Les journaux de vendredi ont rapporté que le suicide a dépassé les accidents de la route comme une cause de décès des enfants âgés de 10 à 14. On pourrait difficilement imaginer un commentaire plus dévastateur sur les perspectives lamentables que l’Amérique en 2016 offre à la nouvelle génération.

Un autre article, publié dans le journal britannique The Guardian, a noté que l’espérance de vie dans le comté de McDowell en Virginie occidentale, autrefois le cœur de l’extraction minière du charbon aux États-Unis, a rejoint celle de l’Éthiopie. En 2008, ce comté presque entièrement blanc avait voté pour Barack Obama. En 2016, 91,5 % des électeurs aux primaires républicaines ont voté pour Trump, un vote d’indignation et de désespoir.

Chacun des candidats, de manière différente, cherche à diriger les tensions sociales aux États-Unis dans des voies réactionnaires.

Clinton est la candidate du statu quo, représentant l’alliance entre Wall Street, l’appareil militaire et des services de renseignement, et la classe moyenne supérieure complaisante et auto-satisfaite dans laquelle règne la politique fondée sur l’identité. Son programme, si elle devait l’affirmer honnêtement, est de diriger vers l’extérieur la crise sociale sous la forme d’une intensification de la violence militaire américaine, d’abord au Moyen-Orient, mais finalement contre la Russie et la Chine, qui possèdent toutes deux des arsenaux nucléaires.

Trump représente une tentative de diriger les tensions sociales dans des voies extrêmement nationalistes, séduisant les forces racistes et fascistes. Alors qu’il prétend, faussement, s’être opposé aux interventions militaires des États-Unis au Moyen-Orient, il glorifie l’armée américaine et promet de déchaîner une violence illimitée contre n’importe quel pays qui résisterait aux exigences américaines. En fin de compte, son slogan « Make America Great Again » (retrouvez la grandeur de l’Amérique) n’est pas autre chose que la traduction anglaise du slogan hitlérien, « Deutschland Über Alles ».

Que ce soient là les deux grandes options présentées aux électeurs le 8 novembre est une conséquence de la décadence prolongée du système politique américain. Cela fait plus de quatre décennies que le brusque virage à droite a commencé dans les deux partis, à la suite des mouvements sociaux de masse des années 1960 et du début des années 1970 contre la guerre du Vietnam et pour l’extension des droits civiques.

Le Parti démocrate abandonna son engagement antérieur à l’amélioration de la situation économique des travailleurs et commença à se restructurer comme le parti de Wall Street et de la politique de l’identité, séduisant les couches nouvellement privilégiées de noirs, de femmes, d’homosexuels, etc. Le Democratic Leadership Council [organisation externe au parti qui cherchait à l’influencer] sous l’égide de son président, le gouverneur de l’Arkansas Bill Clinton, est devenu le véhicule de cette transformation. Avec Hillary Clinton, ce mouvement de droite a atteint son apogée. La candidate démocrate est devenue le choix par consensus des establishments politiques des deux partis.

Le Parti républicain intégra les anciens défenseurs de la ségrégation raciale « Jim Crow » et devint le parti dominant dans le Sud, tout en gardant ses liens traditionnels avec les grandes entreprises et l’armée. Ronald Reagan lança sa campagne présidentielle de 1980 par un rassemblement à Philadelphie, dans le Mississippi, où trois défenseurs des droits civiques avaient été assassinés 16 ans auparavant, et adopta une défense retentissante du slogan sudiste des « droits des États » (à maintenir la suppression des droits civiques des noirs). L’adoption de Trump par le Klu Klux Klan et le mouvement nationaliste blanc « alt-right » n’est pas une aberration, mais la conclusion logique d’un processus qui a ouvert la voie à l’émergence d’un parti fasciste en Amérique.

Comme l’avait écrit Leon Trotsky, la domination de la réaction « signifie que les contradictions sociales sont mécaniquement supprimées » (Intellectual Ex-Radicals and World Reaction, 1939). Le principal mécanisme pour la suppression des contradictions sociales en Amérique a été les syndicats. Depuis la fin des années 70, et surtout après l’écrasement de la grève des contrôleurs de la circulation aérienne du syndicat PATCO en 1981, les syndicats de l’AFL-CIO ont travaillé systématiquement pour saper et briser les grèves, aider les employeurs dans la réduction des salaires et la fermeture des usines et subordonner politiquement la classe ouvrière à la politique de plus en plus de droite des deux partis capitalistes.

Il y a cependant une limite certaine à ce processus. Aujourd’hui, les syndicats sont aussi sclérosés et discrédités que la bureaucratie stalinienne en Union Soviétique à la veille de son effondrement en 1989-1991. Les premiers signes d’une résurgence de la lutte de classe en Amérique, dans une série de votes de rejet d’accords et en faveur des grèves, ont déjà démontré que les travailleurs devront combattre non seulement le patronat et le gouvernement, mais aussi les syndicats. Au fur et à mesure que s’intensifiera la lutte des classes, les travailleurs devront développer de nouvelles formes d’organisation qui rendent possible une lutte non seulement au niveau du lieu de travail, mais aussi sur le plan de la politique nationale et internationale.

Le sondage Times-CBS confirme la caractéristique essentielle de la campagne de 2016 : le fossé croissant entre la population américaine et le système bipartite contrôlé par les grandes entreprises. Les travailleurs s’orientent vers la gauche, mais les deux principaux partis continuent leur course vers la droite.

Dans le cycle électoral actuel, la radicalisation politique dans la classe ouvrière a été exprimée le plus ouvertement par le soutien de masse pour la campagne du sénateur du Vermont Bernie Sanders aux primaires démocrates. Treize millions de personnes, dont une grande majorité des jeunes qui ont participé aux primaires, ont voté pour un candidat qui prétendait être un socialiste et un adversaire des milliardaires, un développement politique sans précédent en Amérique. Finalement, Sanders a capitulé, a approuvé Clinton, et a démontré que sa prétention à s’opposer à la domination des entreprises sur le système politique était une fraude.

Les travailleurs doivent en tirer les conclusions nécessaires. Il est impossible de lutter contre la classe capitaliste à travers le système bipartite qu’elle contrôle. La classe ouvrière doit construire son propre parti politique pour défendre ses propres intérêts de classe. Cela nécessite une rupture politique, non seulement avec le Parti démocrate, mais avec toutes les organisations et les tendances politiques qui défendent, excusent et couvrent le Parti démocrate.

Le Socialist Equality Party a fait campagne dans les élections de 2016 en s’appuyant sur cette perspective. Nos candidats, Jerry White pour la présidence et Niles Niemuth pour la vice-présidence, disent la vérité à la classe ouvrière, convaincus que les événements prouveront l’exactitude du programme socialiste. Nous luttons pour préparer la direction politique révolutionnaire requise pour les luttes dans lesquelles la classe ouvrière entrera après le 8 novembre.

(article paru en anglais le 5 novembre 2016)