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La guerre et la Convention nationale démocrate

Par Andre Damon
30 juillet 2016

La Convention nationale du Parti démocrate en 2016 se déroule comme une information commerciale soigneusement scénarisée et mise en scène dans laquelle ce parti capitaliste d’extrême droite, étroitement lié à Wall Street et au Pentagone, se met en scène comme une sorte de représentant populaire du peuple.

Au milieu des moralisations humanitaires et des déclarations sentimentales de fraternité universelle, l’on ne trouve aucune discussion sérieuse du genre de politique étrangère que mènerait un gouvernement Clinton.

Malgré quinze années de « guerre contre le terrorisme », les orateurs de marque à la convention ne font aucune mention des guerres en Irak, en Afghanistan, en Libye, en Syrie, de la mort du président libyen Mouammar Kadhafi, ou du programme d’assassinats par drone de la Maison-Blanche. Ce silence est d’autant plus extraordinaire que le gouvernement Obama est le premier dans l’histoire des États-Unis à être en guerre tout au long de deux mandats complets.

Les vrais décideurs savent, cependant qu’en coulisses des élections de 2016, on assiste à l’escalade des tensions militaires avec la Russie et la Chine qui augmentent le risque d’une guerre mondiale entre puissances nucléaires.

Aucun des orateurs de la convention n’a jugé bon de mentionner le fait que l’Administration Obama s’est engagée à entrer en guerre contre la Russie si les gouvernements très instables d’extrême droite de Lettonie, Lituanie ou d’Estonie lancent une provocation contre elle.

Il n’y avait pas non plus mention du fait que le vice-président se réunit cette semaine avec le président philippin Rodrigo Duterte – qui a menacé de suspendre le Congrès du pays et s’est personnellement vanté du meurtre de 1700 personnes – dans le but de renforcer l’alliance anti-Chine.

L’absence de toute discussion sur les questions de politique étrangère de fond est d’autant plus frappante étant donnés les avertissements récents d’un conflit imminent entre grandes puissances dans des revues de politique étrangère, des groupes de réflexion militaires et parmi des responsables militaires de haut rang.

Ce mois-ci, Dennis Blair, l’ancien commandant des forces américaines dans le Pacifique, a déclaré lors d’une audition au Congrès que, contrairement à la politique actuelle, les États-Unis devraient être « prêts à utiliser la force militaire » si la Chine cherche à faire valoir ses prétentions sur un ensemble de rochers en mer de Chine du Sud qui sont également réclamés par les Philippines. Un tel conflit, provoqué sur les revendications territoriales douteuses d’un allié des États-Unis à l’autre bout du monde, aurait une forte probabilité d’aboutir à un échange nucléaire qui se traduirait par des centaines de millions, voire des milliards, de morts.

Les responsables chinois, sans illusions quant à ce que signifient ces déclarations, ont déclaré dans le Global Times contrôlé par l’État : « La Chine espère que les différends peuvent être résolus par des négociations, mais elle doit se tenir prête à toute confrontation militaire. »

Dans le dernier numéro de la revue Foreign Affairs, John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt déclarent : « Il y a des régions en dehors de l’hémisphère occidental qui valent la peine de dépenser du sang et de l’argent américains pour les défendre. » Les auteurs ajoutent : « En Europe et en Asie du Nord-Est, la principale préoccupation est la montée d’une hégémonie régionale qui dominerait sa région aussi bien que les États-Unis dominent l’hémisphère occidental. »

En ce qui concerne la Russie, les généraux de premier plan appellent à une politique encore plus maniaque que celle proposée contre la Chine. Richard Shirreff, ex-Vice-commandant suprême des forces alliées de l’OTAN en Europe, a laissé entendre que la guerre avec la Russie pourrait bien avoir lieu l’année prochaine dans un livre intitulé carrément « 2017 : guerre avec la Russie : un avertissement urgent du commandement militaire principal. »

Shirreff a développé ces points dans un document de stratégie intitulé : « S’armer afin de dissuader », publié cette semaine par le groupe de réflexion, l’« Atlantic Council », aux États-Unis. Il a déclaré que la Russie a la capacité et l’éventuelle intention d’envahir les alliés baltes les États-Unis « du jour au lendemain ». À cette fin, dans un plan digne de la folie hitlérienne, il propose de convertir la Pologne, actuellement sous l’emprise d’un gouvernement de droite autoritaire, en un fer-de-lance militaire contre la Russie. La Pologne doit « se réserver le droit d’attaquer des cibles russes » de façon préventive, devenir un terrain de transit pour les armes nucléaires et publier « une liste potentielle des cibles » à l’intérieur de la Russie.

La perspective d’une guerre avec la Russie après l’élection est ouvertement discutée dans les cercles politiques, avec le National Interest déclarant dans son article principal le plus récent, intitulé « La Russie et l’Amérique : destinées à entrer en conflit ? », « Les relations entre les deux parties se sont détériorées à des niveaux dangereux […] Si Moscou refuse de faire preuve de bonne volonté, Washington devrait faire tout ce qui est nécessaire pour protéger ses intérêts. »

En fait, Hillary Clinton est le défenseur le plus ouvert de l’intervention militaire à remporter l’investiture démocrate dans la mémoire récente.

Comme Mark Landler, l’auteur d’« Alter ego : Hillary Clinton, Barack Obama et la lutte au crépuscule pour la puissance américaine » l’a décrit plus tôt cette année : « Malgré toutes leurs fanfaronnades à propos de bombarder l’État islamique jusqu’à ce qu’il n’en reste pas une trace, ni Donald J. Trump, ni le sénateur Ted Cruz du Texas n’ont démontré, et de loin, le même le niveau d’appétit qu’à Clinton pour l’engagement militaire à l’étranger. »

En tant que ministre des affaires étrangères, Clinton s’est avérée être un défenseur plus ouvert de la force militaire qu’Obama. « Sur les questions de fond de la guerre et de la paix », écrit Landler, « la philosophie de Clinton, plus activiste […] est entrée en collision » avec « les instincts de retenue » d’Obama.

Le fait qu’Obama, qui, comme a noté le New York Times en mai : « a été en guerre plus longtemps que M. Bush, ou tout autre président américain », est présenté comme un exemple de retenue militaire témoigne des qualifications de Clinton comme belliciste.

En plus d’avoir appelé à des interventions militaires plus agressives qu’Obama en Afghanistan et en Irak, Clinton « a poussé pour que les États-Unis acheminent des armes aux rebelles dans la guerre civile en Syrie (une idée qu’Obama avait d’abord repoussée avant de l’adopter, sans enthousiasme, plus tard). » Elle a demandé en privé qu’Obama mette en place une zone d’exclusion aérienne en Syrie après les déclarations de l’appareil militaire et de renseignements américains en 2013 que le président syrien Bachar al-Assad avait utilisé des armes chimiques, en déclarant : « Si vous dites que vous allez frapper, vous devez frapper. Il n’y a pas le choix. »

Bruce Riedel, un ancien analyste du renseignement qui a mené le bilan initial d’Obama sur la guerre en Afghanistan, a déclaré à Landler : « Une des surprises pour […] l’armée était […] qu’ils ont un secrétaire d’État [Clinton] qui se trouve un peu à droite d’eux sur des questions [militaires] – un peu plus impatient qu’eux. »

Écrivant pour le National Interest, David Bromwich, un professeur de Yale, observe la convergence croissante entre les politiques de Clinton, ses partisans « de gauches » et les néoconservateurs qui ont aidé à lancer l’invasion de l’Irak en 2003.

« Les dernières semaines ont cimenté une alliance extraordinaire pour vaincre Trump qui relie deux sectes de politique étrangère qui n’étaient jamais tout à fait distinctes : les néoconservateurs, qui ont pris la contrôle de la politique étrangère de Bush-Cheney en 2001-2006, et les interventionnistes libéraux qui ont soutenu la guerre en Irak, la guerre en Libye, un programme élargi de meurtres par drones, et l’intervention militaire en Syrie au-delà de ce que l’Administration Obama a permis. »

Il note : « Avec une série d’articles et éditoriaux récents, ces gens préparent le terrain pour qu’Hillary Clinton puisse affirmer que le gouvernement russe est lié à la campagne Trump, et que la Russie est intervenue dans l’élection en libérant des e-mails piratés du Comité national démocratique pour embarrasser Clinton. »

Cette campagne a été menée par le New York Times, dont le défenseur en titre de Clinton, Paul Krugman, a déclaré que Donald Trump est le « candidat sibérien » et un mandataire de Poutine auquel Clinton est déterminée à s’opposer.

Ce thème a été repris sous forme de remarques abrégées par l’ancienne ministre des affaires étrangères Madeleine Albright à la DNC la nuit du 26 juillet. Albright a dénoncé la Russie avec une férocité inouïe depuis la fin de la guerre froide. Déplorant que sa « Tchécoslovaquie natale a été reprise par les communistes, » Albright a déclaré : « Prenez-le de quelqu’un qui a fui le rideau de fer, je sais ce qui se passe quand vous donnez un feu vert aux Russes. »

Dans l’histoire, la classe dirigeante américaine a toujours repoussé jusqu’après les élections la mise en œuvre des escalades militaires préparées de longue date, et l’année à venir pose d’énormes dangers. Peu importe qui est élu, la lutte contre la guerre est la question centrale dans la construction d’un mouvement socialiste indépendant de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde.

(Article paru d’abord en anglais le 27 juillet 2016)