Paul Krugman attaque Trump depuis la droite sur la Russie
Par Bill Van Auken
25 juillet 2016
Dans un commentaire publié le 22 juillet dans le New York Times, Paul Krugman, chroniqueur de ce journal et économiste, attaque Donald Trump à propos de la Russie, allant jusqu’à suggérer que le candidat républicain à la présidentielle est un agent secret de Vladimir Poutine.
Krugman a de façon provocante intitulé son article, « Le candidat sibérien, » une allusion au roman politique à suspense de la Guerre froide « Le candidat mandchou ». On y voyait un prisonnier américain de la guerre de Corée ayant subi un lavage de cerveau pour lui faire jouer le rôle d’assassin « dormant » en préparation d’un coup d’État politique aux États-Unis, orchestré par l’Union soviétique.
L’article accuse Trump de mener « une politique étrangère pro-Poutine, au détriment des alliés de l’Amérique et des intérêts propres de cette dernière » Il suggère qu’il existe « un certain canal spécifique d’influence » liée à une « association louche » alléguée de Trump « avec des Russes riches. » Il conclut en disant : « Il y a quelque chose de très étrange et d’inquiétant dans ce qui se passe ici, et on ne devrait pas l’ignorer. »
En se servant de tels thèmes, qui rappellent le langage et les méthodes du maccarthysme, Krugman parvient à attaquer un Trump fascisant depuis la droite. Ce n’est pas un mince exploit.
Le chroniqueur du Times s’est taillé une réputation comme porte-étendard universitaire de ce qui passe pour l’aile libérale du Parti démocrate. Opportuniste et carriériste invétéré et sans vergogne, il a consacré ses efforts journalistiques à vanter le bilan de Barack Obama, qu’il présente de façon risible comme un croisé contre l’inégalité sociale, et à promouvoir la candidature d’Hillary Clinton. Au service de celle-ci, il a écrit une série d’articles mensongers, droitiers et sans scrupules attaquant l’adversaire démocrate de celle-ci, Bernie Sanders.
Il semble à présent que Krugman sorte de sa spécialité d’apologiste intellectuel de l’Administration Obama et du Parti démocrate. Avec son article du 22 juillet attaquant Trump, il accomplit une mission au nom du complexe militaire et de renseignements américain, en défense de l’essentiel de la stratégie de guerre impérialiste de Washington.
Ce qui a provoqué l’article était une interview sur des questions de politique étrangère que Trump avait donnée au Times pendant la Convention nationale républicaine de Cleveland. Interrogé de but en blanc si, en tant que président, il viendrait en aide « immédiatement et militairement » aux États baltes dans l’éventualité d’une incursion russe, le candidat avait donné une réponse équivoque.
Que la grande majorité des Américains n’aient aucune idée que Washington est prêt à déclencher une guerre avec la Russie, qui pourrait devenir nucléaire, à propos des trois minuscules anciennes républiques soviétiques, toutes gouvernées par des régimes farouchement à droite, anti-russes et irresponsables, laisse totalement indifférents des vedettes de la presse comme Krugman. Ce qui importe c’est que l’engagement des États-Unis d’intervenir militairement dans le cas où l’un de ces régimes, tous membres de l’OTAN, affirmerait avoir été attaqué par la Russie, soit au cœur de la stratégie américaine mondiale.
Krugman n’est pas la seule fripouille journalistique à répondre aux signaux d’alarme que la déclaration de Trump a déclenchée dans une partie de l’appareil d’État américain. Sous le titre : « C’est officiel : Hillary Clinton est candidate contre Vladimir Poutine, » Jeffrey Goldberg de l’Atlantic, a écrit: « Le candidat républicain à la présidence, Donald J. Trump, a choisi cette semaine de se démasquer comme agent de facto du président russe, Vladimir Poutine, un dictateur formé par le KGB qui cherche à reconstruire l’empire soviétique en minant les nations libres d’Europe, en marginalisant l’OTAN, et en mettant fin à la domination de l’Amérique comme seule superpuissance au monde. »
Goldberg était dans les médias un des principaux avocats de la guerre d’agression américaine de 2003 contre l’Irak, il a présenté et embelli les mensonges de l’Administration Bush à propos « des armes de destruction massive » inexistantes de l’Irak et de ses prétendus liens avec Al-Qaïda. Il conclut son article, qui semble être basé sur les mêmes arguments que Krugman, en avertissant que « Si Donald Trump, devait être élu président, il mettrait fin à l’ordre international d’après-guerre et libérerait les dictateurs, d’abord et avant tout son allié Vladimir Poutine, pour faire avancer leurs propres intérêts. »
Un troisième article, publié avant l’interview dans le Times, révèle les mêmes préoccupations au sein de l’establishment. Il a été écrit pour le Los Angeles Times par James Kirchick et intitulé : « Si Trump gagne, un coup d’État n’est pas impossible aux États-Unis ». Comme Krugman et Goldberg, Kirchick souligne que le directeur de campagne de Trump, Paul Manafort, a précédemment travaillé comme lobbyiste pour Victor Ianoukovitch, le président ukrainien pro-russe évincé par le coup d’État de 2014 orchestré par les États-Unis et dirigé par des fascistes. Il affirme également que des représentants de Trump ont atténué le discours sur l’Ukraine dans le programme républicain.
« Trump est non seulement manifestement inapte à être président, mais il est un danger pour l’Amérique et le monde », écrit Kirchick. « Les électeurs doivent l’arrêter avant que l’armée ne doive le faire. »
Ancien journaliste pour Radio Free Europe, Kirchick s’est spécialisé dans la provocation du gouvernement Poutine sur les questions de droits des homosexuels. Il est maintenant un associé de l’« Initiative de politique étrangère, » gérée par des idéologues de droite républicains comme le rédacteur en chef du Weekly Standard, William Kristol, l’ancien porte-parole de l’occupation en Irak, Dan Senor, et le cofondateur du « Projet pour un nouveau siècle américain » Robert Kagan. Kagan est marié à la secrétaire d’État américaine adjointe Victoria Nuland, qui a joué un rôle de premier plan dans le coup d’État ukrainien en 2014. Ces couches ont explicitement ou tacitement apporté leur soutien à Hillary Clinton comme candidate la mieux préparée à devenir « commandant en chef » dû à ses liens intimes avec les crimes de guerre des États-Unis en Ira,k en Libye, en Syrie et au-delà.
Le vitriol déversé sur Trump – jusqu’à la suggestion qu’il devait être renversé par l’armée en cas d’élection – donne la mesure du rôle central joué par le renforcement des capacités militaires et des préparatifs de guerre contre la Russie dans la politique impérialiste mondiale des Etats-Unis.
Cela ouvre également une fenêtre sur le véritable caractère du Parti démocrate et la campagne Clinton. Elle se compose essentiellement d’une fusion de la politique identitaire – la promotion incessante de la race, du genre et de l’orientation sexuelle comme forces motrices de la société américaine – et d’une politique impérialiste violemment pro-guerre. L’objectif de ce mélange toxique est de semer la division dans la classe ouvrière tout en se constituant une nouvelle base pour la guerre impérialiste dans les couches privilégiées de la classe moyenne supérieure et chez les satellites pseudo de gauche du Parti démocrate.
Quand le Parti démocrate se réunira à Philadelphie lundi, les démocrates et leurs défenseurs dans les médias viendront applaudir « l’inclusion » et « la diversité » alors que le président démocrate continue le massacre de civils syriens et irakiens par centaines grâce aux frappes aériennes américaines et prépare sa prochaine initiative après le coup d’État manqué, soutenu par les États-Unis, en Turquie.
Trump nous ramène dans une certaine mesure à une ancienne et funeste tradition de la droite politique américaine. Son utilisation du slogan « les États-Unis d’abord » est sans aucun doute une invocation délibérée de la politique du Comité Amérique d’abord, formé en 1940 dans le but déclaré de maintenir les États-Unis hors de la Seconde Guerre mondiale et de parvenir à une paix négociée avec le Troisième Reich allemand.
Ce comité comprenait non seulement des hommes d’affaires de droite, des antisémites et des admirateurs d’Hitler comme son principal porte-parole, l’aviateur Charles Lindbergh, mais aussi des opportunistes et des réformistes comme Norman Thomas du Parti socialiste américain. Ces derniers éléments étaient de gauche, mais rejetaient toute forme d’opposition révolutionnaire à l’impérialisme basé sur la classe ouvrière. Au lieu de cela, ils ont formé une alliance totalement réactionnaire et politiquement inadmissible avec des éléments de la grande entreprise, la droite et des semi-fascistes.
L’efficacité d’une telle organisation pour empêcher la guerre est devenue claire au moment de l’attaque de Pearl Harbor par les Japonnais le 7 décembre 1941. Le comité a alors déclaré son soutien à l’effort de guerre des États-Unis et s’est dissous.
Toute personne prenant la rhétorique de Trump pour de l’opposition à des guerres de changement de régime et de « construction de nations » ou ses remarques sympathiques au sujet de Poutine pour argent comptant, aura un réveil douloureux. On peut être assuré que, s’il était élu président et même déjà durant sa campagne, le massif appareil militaire et de renseignement des USA le remettront dans le bon chemin. Le putsch de Kirchick ne sera pas nécessaire.
Sa position est de toutes façons criblée de contradictions. La politique de Forteresse Amérique et de nationalisme économique qui est la sienne conduit inévitablement et rapidement à la guerre. En outre, le programme sur lequel il fonde sa candidature est belliqueux à outrance. « Nous allons répondre au retour de la belligérance russe par la même détermination que celle ayant conduit à l’effondrement de l’Union soviétique », a-t-il déclaré. « Nous n’accepteront aucun changement territorial en Europe imposé par la force, en Ukraine, en Géorgie, ou ailleurs... » Le document poursuit en dénonçant l’administration Obama pour une politique insuffisamment agressive, appelant à un vaste renforcement militaire, en particulier de l’arsenal nucléaire américain.
Le tumulte qui a suivi les propos de Trump sur les pays baltes est une claire mise en garde des immenses dangers auxquels est confrontée la classe ouvrière, aux États-Unis et dans le monde. Au milieu du quasi-silence des médias et de l’establishment politique, des préparatifs de guerres nouvelles et bien plus horribles que celles menées jusqu’ici sont déjà bien avancés et commenceront à être mis en œuvre une fois passé l’élection, et peut-être avant, que le vainqueur soit Clinton ou Trump.
La seule base objective et principielle pour s’opposer à la guerre impérialiste est la construction d’un mouvement socialiste, révolutionnaire et internationaliste dans la classe ouvrière. Le Parti de l’égalité socialiste (SEP) et ses candidats, Jerry White et Niles Niemuth, interviennent dans l’élection présidentielle de 2016 précisément pour construire un tel mouvement ; ils le font en révélant la marche de l’élite dirigeante vers la guerre et en mobilisant les travailleurs et les jeunes dans une lutte contre la guerre et sa source, le système capitaliste. Nous demandons à tous nos lecteurs de soutenir et d’aider à développer cette campagne.
(Article paru d’abord en anglais le 23 juillet 2016)