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Meurtres policiers en Louisiane et au Minnesota: les questions de classe

Par Andre Damon
9 juillet 2016

Des millions de personnes dans le monde ont été choqués, indignés et révulsés en voyant les dernières vidéos et photos des meurtres commis par la police aux États-Unis. Des milliers de personnes ont participé à des manifestations aux Etats-Unis jeudi; d'autres étaient prévues hier.

Les derniers moments horrifiques d'Anton Sterling, 37 ans et de Philando Castile, 32 ans, ont été regardés et partagés des millions de fois sur Facebook et d'autres médias sociaux. Sterling a été abattu le 5 juillet par des policiers à Baton Rouge, en Louisiane; il reçut au moins trois balles à bout portant alors qu’il était immobilisé au sol. Castile a été abattu le lendemain, recevant lui, au moins quatre balles au cours d'un contrôle routier à Falcon Heights, Minnesota, pendant que sa compagne et son enfant regardaient, impuissants. Sterling et Castile étaient tous deux afro-américains.

Deux autres meurtres moins médiatisés mettent en évidence l'omniprésence de la violence policière en Amérique et le fait que ce ne sont pas seulement les Afro-Américains qui sont visés. Jeudi, une vidéo de portable a été publiée par la Fresno Bee montrant le meurtre de Dylan Noble, 19 ans, par la police à Fresno, en Californie le 25 juin. On voit Noble, qui était blanc et était sans armes, gisant immobile sur le sol alors que la police lui tire plusieurs balles dans le corps. Ce dernier week-end, la police de Fullerton, en Californie a tué par balles Pedro Erik Villanueva, 19 ans, un jeune hispanique, lui aussi sans armes, après une course poursuite en voiture.

Le meurtre de Sterling et Castile, comme la quasi-totalité des 600 autres homicides policiers ayant eu lieu jusqu'ici cette année et les milliers survenus depuis que l'administration Obama a pris ses fonctions, aurait été "enfoui sous la poussière" (selon l'expression de Quinyetta McMillon, mère d'un des enfants de M. Sterling) s'il n'avait pas été enregistré par des témoins sur leurs portables.

Voilà maintenant presque deux ans que le meurtre de Michael Brown, le 9 août 2014, a déclenché des manifestations contre les violences policières au plan national. Mais malgré les promesses de « réforme » et les professions de préoccupation cyniques de l'establishment politique lorsque l'un ou l'autre assassinat suscite des protestations, le règne de la violence se poursuit sans relâche. En effet, le nombre d'homicides de cette année dépasse le nombre d'Américains tués à la même date en 2015.

Il faut en tirer un certain nombre de conclusions. Il est impossible de comprendre l'épidémie de violence policière sans comprendre la réalité du capitalisme américain. Les États-Unis se caractérisent par une inégalité sociale vaste et croissante, où pauvreté et chômage de masse coexistent avec l'enrichissement presque inimaginable de l’oligarchie financière. Alors qu'un Américain sur sept vit sous le seuil officiel de pauvreté, quatre cents individus contrôlent 2300 milliards de dollars.

Cette même classe dirigeante qui mène une guerre sans relâche contre la classe ouvrière est engagée dans une violence innommable dans le monde entier. La politique étrangère et la politique intérieure et ne sont pas séparées par un mur infranchissable. Les méthodes utilisées à l'extérieur sont de plus en plus celles utilisées pour faire face à la crise sociale à l'intérieur. La police, armée jusqu'aux dents avec les armes les plus modernes, joue un rôle central dans l'appareil répressif de l'État.

La violence policière est essentiellement une question de classe. Conscients que l'opposition à cette violence risque de devenir le catalyseur d'une mobilisation plus large de la classe ouvrière, les politiciens et les médias se sont empressés de présenter le meurtre de Sterling et de Castile comme motivés exclusivement par le racisme.

Le racisme joue sans doute un rôle dans de nombreux meurtres policiers. L'affirmation cependant que la violence policière peut être uniquement expliquée en termes raciaux est contradictoire et indéfendable. Si les Afro-Américains sont victimes de la violence policière de façon disproportionnée, la moitié des personnes tuées par la police sont des blancs, selon une analyse du Washington Post. Dans de nombreux cas, comme celui de Freddie Gray à Baltimore, les officiers eux-mêmes étaient noirs ou hispaniques. Dans certaines villes connaissant les pires violences policières, comme Baltimore ou Philadelphie, la majorité des agents de police viennent des minorités et sont dirigés par des chefs de police noirs, des conseillers municipaux noirs et des maires noirs.

Le plus significatif peut-être est que cette suite ininterrompue de meurtres policiers a lieu sous la présidence de Barack Obama, qui est Afro-Américain. Le gouvernement Obama a utilisé les enquêtes fédérales pour couvrir les meurtres policiers, il a pris le parti de la police dans toutes les affaires d’emploi de la force portés devant la Cour suprême et continue de superviser l’équipement en armement militaire des forces de police de tout le pays.

La Maison Blanche d'Obama a présidé au déploiement de la police militarisée et de la Garde nationale pour réprimer les manifestations de Ferguson (Missouri) en 2014 et à Baltimore, (Maryland) l’an dernier, suite aux meurtres de Michael Brown et de Freddie Gray.

Parlant dans la capitale polonaise Varsovie jeudi, Obama a défendu la police tout en cherchant à présenter les meurtres en termes de race. Il parla des « préjugés dans tout le système de justice pénale » qui font en quelque sorte que, « les Noirs sont plus vulnérables à ce genre d'incidents.» Il a ajouté: « Si les communautés se méfient de la police, cela rend les officiers – qui font un excellent travail – cela rend leur travail plus difficile ».

Les déclarations d'Obama intervenaient le jour où le New York Times, qui a ces dernières semaines intensifié sa campagne pour enterrer les problèmes d'inégalité sociale aux États-Unis, publiait un article intitulé « Alton Sterling et quand les vies noires, ça compte », présentant les meurtres comme le résultat d'un « monde où trop de gens ont le doigt sur la gâchette de pistolets visant directement les noirs ».

Un autre article, affiché sur le site web du Times jeudi soir, insistait pour dire que « l'Amérique blanche …ne comprendra jamais » l'expérience « d’une nation de près de 40 millions d'âmes noires au sein d’une nation de plus de 320 millions de gens ».

Ces déclarations visent à saper les sentiments instinctifs de solidarité ressentis par les travailleurs de tous les groupes ethniques face aux événements de la semaine dernière et à canaliser leur opposition dans une direction où elle ne pose aucun danger à la classe dirigeante et au système économique qu'elle défend.

Les États-Unis sont à l’orée de grandes convulsions sociales et politiques. Au cours de l'année écoulée, la radicalisation politique croissante des travailleurs et des jeunes s’est manifestée dans le soutien à un Bernie Sanders qui se présentait comme socialiste et axait sa campagne sur la question de l'inégalité sociale et du pouvoir de la « classe des milliardaires. » Alors que Sanders s’apprête à soutenir Clinton et cherche à convaincre ses partisans de soutenir la candidate de Wall Street et de l'appareil militaire et de renseignement, les médias et le Parti démocrate cherchent à changer de sujet: de l'inégalité sociale on passe à la politique ethnique et identitaire.

La rapidité avec laquelle les médias et l'establishment politique ont cherché à faire des meurtres policiers une simple question d'ethnie reflète la crainte que l'opposition généralisée à la violence policière ne converge avec la radicalisation sociale et politique croissante de la classe ouvrière.

Mais c’est précisément ce qui est nécessaire. La lutte contre la violence policière, comme la défense de tous les droits démocratiques, ne peut avancer que sur ​​la base d'une lutte pour unifier la classe ouvrière, tous groupes ethniques confondus, dans une lutte commune contre le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 8 juillet 2016)