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Un parti nationaliste allemand d’extrême droite appelle à tirer sur les réfugiés

Par Johannes Stern
6 février 2016

L’appel du parti d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) pour que la police des frontières fasse usage d’armes à feu sur les réfugiés marque une nouvelle étape dans l’offensive politique tous partis contre les réfugiés en Allemagne.

La dirigeante de l’AfD, Frauke Petry, a déclaré le 31 janvier dans une interview au journal Mannheimer Morgen que la police devait empêcher tout passage illégal de la frontière et « au besoin aussi faire usage de ses armes à feu. C’est ce que stipule la loi. »

Le 30 janvier, la présidente de l’AfD, Beatrix von Storch, a écrit sur sa page Facebook que quiconque ne s’arrêtait pas au panneau « stop » à la frontière était un assaillant. « Et nous devons nous défendre contre les attaques, » a-t-elle ajouté. A la question si elle « voulait aussi empêcher par la force des armes l’entrée de femmes et d’enfants », Storch a répondu par un « oui » sans équivoque.

Les partis au gouvernement et ceux de l’opposition ont réagi à ces déclarations en feignant d’être horrifiés et en appelant à plus de surveillance et au renforcement de l’Etat.

Le président du SPD, Sigmar Gabriel, a demandé à ce que l’AfD fasse l’objet d’une surveillance par les services de renseignement. Il était « extrêmement improbable » que l’AfD respecte l’ordre démocratique fondamental de la république, » a dit Gabriel au journal Bild am Sonntag. Pour lui, l’AfD avait sa place « dans le rapport annuel du Verfassungsschutz (service de renseignement national) et non à la télévision. »

Katrin Göring-Eckardt, la co-présidente du groupe parlementaire des Verts, en a également appelé aux services de renseignement: « Le Verfassungsschutz devrait examiner dans quelle mesure l’AfD répond aux critères d’une surveillance, » a-t-elle dit à Spiegel Online. « L’Etat de droit semble causer problème aux membres de l’AfD. Il est très discutable qu’un parti prêt à tirer sur des réfugiés à la frontière et qui claironne des théories racistes peut, ou souhaite faire partie de notre système démocratique. »

Des réactions identiques sont venues de l’Union chrétienne démocrate (CDU). « Si, quand on lui demande de préciser, la direction de l’AfD explique qu’il faille aussi tirer sur des enfants à la frontière, elle s’exclut de la Constitution qui respecte même les vues extrêmes, » a dit le président du CDU Armin Laschet. « La dignité de l’être humain, le principe de proportionnalité, le respect de la vie – l’AfD ne respecte rien de tout cela. Elle est en train de devenir un parti qui trahit la constitution et les valeurs de notre pays et de notre civilisation, » a-t-il ajouté.

Est-ce que Gabriel, Laschet et Cie croient vraiment que la population, profondément indignée par les déclarations inhumaines de l’AfD, se laisse aussi facilement berner? En réalité, 70 ans après la fin du national-socialisme, ce sont ces mêmes partis et personnalités médiatiques, qui dénoncent actuellement l’AfD, qui portent la responsabilité du retour dans le discours politique officiel de revendications fascistes comme celles de tirer sur des femmes et des enfants.

Quelques notes et observations s’imposent:

1) Depuis quelques mois, il ne s’est pratiquement pas passé un jour sans que les médias n’invitent des représentants de l’AfD dans des émissions-débats de grande audience pour qu’ils diffusent leur propagande fasciste. Storch avait débuté son agitation anti-réfugiés dimanche dernier à l’émission télévisée « Anne Will » en dénonçant la prétendue « culture d’accueil » de la chancelière Angela Merkel et en réclamant une réduction drastique du nombre des réfugiés. Elle a reçu l’appui de l’ancien ministre Hans-Peter Friedrich (Union chrétienne-sociale, CSU). Puis mercredi ce fut Petry qui se lança dans une diatribe similaire dans l’émission « Maischberger ».

2) La politique officielle et les médias ont commencé par créer un lourd climat raciste que l’AfD a ensuite amplifié. Chaque parti siégeant au parlement avait été, au début de l’an dernier, pour un dialogue avec les partisans du mouvement d’extrême-droite Pegida. La semaine passée, les représentants de ces mêmes partis ont utilisé les événements du Nouvel An à Cologne pour intensifier leur campagne anti-migrants et anti-musulmans et pour réclamer à cor et à cri fermeture des frontières, quotas pour les réfugiés et déportations expéditives d’« étrangers criminels ».

3) L’AfD ne fait qu’articuler explicitement les conséquences de mesures que les politiciens allemands demandent de longue date. En octobre dernier, le président du CSU et vice-chancelier, Horst Seehofer avait brandi la menace de « mesures d’urgence » extra-légales si Merkel ne revenait pas sur sa politique à l’égard des réfugiés. Dans un commentaire intitulé « Une rhétorique brune, » même Spiegel Online l’avait critiqué en disant que non seulement Seehofer avait recouru à la « rhétorique nationale-socialiste » mais qu’il encourageait encore les « idées totalitaires. »

Au début de la semaine dernière, le CSU a adressé une lettre à la chancellerie demandant une protection efficace des frontières allemandes. Des positions droitières identiques ont été formulées par le SPD, les Verts et le parti La Gauche (Die Linke). Lorsque Sahra Wagenknecht, la présidente du groupe parlementaire de Die Linke, a rejoint l’agitation contre les réfugiés et appelé à un Etat fort (« celui qui abuse du droit à l’hospitalité a perdu le droit d’être invité ») elle a, non par hasard, reçu les éloges du membre influent de l’AfD Alexander Gauland.

Qu’y a-t-il derrière ce brusque tournant vers la droite de l’élite allemande ?

Elle est en fin de compte motivée par les mêmes contradictions sociales et politiques qui ont déjà mené à la dictature, à la guerre et à la barbarie dans les années 1930. L’élite allemande réagit à la crise historique du capitalisme européen et international, aux tensions grandissantes entre les grandes puissances et à la profonde fracture sociale en développant une fois de plus une politique étrangère agressive. Pour ce faire elle doit, comme dans le passé, attiser le racisme et recourir à la force brute. Ou pour reprendre les mots de Trotsky : L’impérialisme allemand régurgite sa « barbarie non digérée. »

Un entretien avec le philosophe allemand en vue Peter Sloterdijk, publié dans la dernière édition de Cicero, montre clairement à quel point ce processus est avancé. Sloterdijk se plaint de ce qu’en Allemagne, l’idée prévaut qu’« une frontière n’existe que pour être franchie. » L’espoir du « philosophe » est que : « Tôt ou tard, les Européens développeront une politique frontalière commune efficace. L’impératif territorial s’imposera à long terme. Après tout, il n’y a aucun devoir moral à s’autodétruire. »

L’imposition d’un « impératif territorial » pour s’opposer à l’« autodestruction » de la nation! La tradition historique de telles idées et conceptions réactionnaires est tellement évidente que même le Tagesspiegel a fait remarquer: « L’évocation d’un ‘impératif territorial’ semble impressionnant mais la véritable signification reste tout à fait vague. Un retour à la géopolitique? Les politiciens de l’ère Wilhelmienne étaient d’avis que l’Allemagne devait s’armer en raison de sa ‘position du milieu’, plus tard il fut question du soi-disant Lebensraum. »

Le retour à la « géopolitique » et à la poursuite (violente) de « impératif territorial » – ou pour parler autrement, les intérêts économiques et stratégiques de l’impérialisme allemand – forment effectivement depuis longtemps la politique gouvernementale allemande. Deux ans après que le président Joachim Gauck et le gouvernement fédéral ont annoncé la fin de la retenue militaire à la Conférence de Munich sur la sécurité, l’Allemagne a franchi une nouvelle étape dans la résurgence du militarisme avec ses missions de combat en Syrie et au Mali et l’annonce récente de projets de réarmement militaire.

La fermeture hermétique des frontières et le refus brutal d’accueillir les réfugiés est depuis longtemps la politique du gouvernement allemand aux frontières extérieures de l’Europe. Lundi, Spiegel Online a publié un article sur les mesures inhumaines imposées, avant tout à la demande de Berlin, par le régime d’Erdogan en Turquie aux réfugiés venus de Syrie. Sous le titre « Un accord avec la Turquie sur les réfugiés – ‘le videur’ de l’Europe », le magazine d’information écrit: « Les point de passage frontaliers officiels sont en principe fermés. Un mur de trois mètres de haut et de 200 kilomètres de long protégera bientôt le pays des réfugiés. »

L’auteur ajoute: « Par un bel après-midi de janvier, des soldats patrouillent le long de la frontière proche de la ville d’Antakya. Des chars circulent entre les points de contrôle. Au loin les bombardements effectués dans la zone de guerre en Syrie se font entendre. Les réfugiés passent par des sentiers cachés dans la forêt et par les collines. » Plusieurs Syriens ont été « arrêtés par les forces de sécurité turques, certains d’entre eux maltraités et renvoyés en Syrie. »

L’usage de la force létale, l’« ordre de tirer » exigé par l’AfD est depuis longtemps en vigueur aux frontières extérieures de l’Europe. Rien que l’année dernière, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé 3.771 réfugiés, dont beaucoup de femmes et d’enfants, ayant péri noyés en Méditerranée en tentant de fuir les zones de combat dévastées par l’Occident. Du fait de la politique de fermeture pratiquée par l’Allemagne, ce chiffre augmentera de manière vertigineuse.

Article original paru le 3 février 2016)