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Le président Trump et l’acte de brûler le drapeau américain : la crise de la démocratie américaine

Par Joseph Kishore
2 décembre 2016

Le 20 janvier, Donald Trump doit prêter le serment d’entrée en fonction à la présidence des États-Unis et affirmera, suivant les termes énoncés dans l’article II de la Constitution, qu’il préservera, protégera et défendra « au mieux de mes capacités la Constitution des États-Unis ».

Un peu plus de sept semaines avant cette cérémonie, Trump a publié une déclaration de 136 caractères sur Twitter qui montre clairement qu’il ne fera rien de la sorte. « On ne devrait permettre à personne » écrivait-il, « de brûler le drapeau américain – si quelqu’un le fait, il doit y avoir des conséquences, peut-être la déchéance de la citoyenneté ou un an en prison ! »

La constitutionnalité de l’acte de brûler le drapeau n’est pas un problème nouveau. La tentative d’interdire cette méthode établie de longue date pour protester contre les actions du gouvernement a été largement débattue, et la Cour suprême a tranché de façon concluante, en 1989 et encore en 1990, en affirmant que c’est une forme d’expression protégée par le Premier Amendement.

L’affirmation selon laquelle la peine appropriée pour l’acte de brûler le drapeau est la déchéance de nationalité américaine, affiche pour le moins encore plus de mépris pour les droits constitutionnels. Le Quatorzième Amendement, ratifié en 1868, déclare que toute personne « née ou naturalisée aux États-Unis » est citoyen. S’il s’appliquait aux esclaves libérés, l’amendement avait une portée universelle : ni le gouvernement fédéral ni les États n’ont le droit de limiter ou de supprimer la citoyenneté ni tous les droits conférés par ce statut.

En 1958, la Cour suprême a statué dans une décision écrite par le président de la Cour suprême Earl Warren, selon laquelle la déchéance de la nationalité violait l’interdiction du Huitième Amendement des châtiments cruels et inusités. « Même si cela n’implique aucun mauvais traitement physique, aucune torture primitive, il y a, la destruction totale du statut de l’individu dans la société organisée. C’est une forme de punition plus primitive que la torture, car elle détruit pour l’individu l’existence politique qui a mis des siècles à se développer », écrivait Warren.

La proposition que la punition d’un crime ou, dans ce cas, l’exercice de la liberté d’expression, soit le retrait de la citoyenneté est en effet une proposition visant à éliminer toutes les protections constitutionnelles. C’est une déclaration du pouvoir exécutif arbitraire. Elle est donc en ligne avec l’ensemble des propositions antidémocratiques provenant de Trump : la reprise de la torture, des registres des Musulmans, la suppression de toutes les contraintes sur l’espionnage intérieur et d’autres mesures.

Le tweet de Trump sur l’acte de brûler le drapeau national a été critiqué par une partie du Parti démocrate et ses porte-parole des médias pour son mépris non dissimulé des principes constitutionnels. Il y a un certain nombre de murmures critiques, tout en ignorant la question fondamentale : qu’un homme qui est sur le point d’être président puisse émettre une déclaration de la sorte indique non seulement sa disposition autoritaire, mais aussi la décadence profonde de la démocratie bourgeoise aux États-Unis.

Il est écrit dans l’éditorial du New York Times de mercredi, que lorsque Trump promet de défendre la Constitution, « nous, le peuple, aurons de bonnes raisons de douter qu’il sache de quoi il parle ». Trump « tweete, il affiche sur son site, il incite. Il provoque. Il commande une plate-forme mondiale et sera bientôt le commandant en chef américain. Mais il faut le dire, et le redire encore : Ce n’est pas normal. Il rabaisse la présidence ».

Il y a quelque chose de nouveau et de dangereux dans une présidence Trump, mais le présenter comme un intrus aberrant dans le jardin immaculé de la démocratie américaine est une fiction politique. L’attitude de Trump envers les droits démocratiques est une continuation et une extension d’une tendance autoritaire au sein de la classe dirigeante américaine qui s’est développée pendant plusieurs décennies, soutenue par les démocrates et les républicains.

En ce qui concerne le fait de brûler le drapeau, 14 des 44 démocrates du Sénat ont soutenu une proposition des républicains en 2006 pour modifier la Constitution afin de permettre au Congrès « d’interdire la profanation du drapeau américain », c’est-à-dire de lui donner le pouvoir d’adopter une loi qui contredit le Premier Amendement. La proposition n’a pas réussi à obtenir la majorité requise des deux tiers du Sénat par un vote.

La sénatrice Hillary Clinton s’est alors opposée à l’amendement mais a présenté en binôme un projet de loi (qui n’a jamais fait l’objet d’un vote) pour criminaliser l’acte de brûler le drapeau s’il était fait pour « inciter ou produire une violence imminente ou un trouble de l’ordre publique » ou « menacer intentionnellement ou intimider toute personne ou un groupe de personnes », un langage suffisamment général pour englober quoi que ce soit. La peine qu’elle et les autres démocrates ont proposé en cas d’une telle condamnation : un an de prison. Si le drapeau appartenait au gouvernement des États-Unis, brûler le drapeau, en toutes circonstances, aurait été puni de deux ans de prison.

Depuis une quinzaine d’années, la « guerre contre le terrorisme » a été utilisée tant par les gouvernements Bush qu’Obama pour systématiquement et délibérément saper, abolir et répudier tous les droits démocratiques importants.

C’est le professeur de droit constitutionnel Obama qui a établi le principe que le président des États-Unis a le pouvoir d’assassiner sans procès en bonne et due forme un citoyen américain qu’il considère comme un « terroriste » et une menace pour la sécurité nationale, un pouvoir que le procureur général Eric Holder a déclaré être applicable sur le sol américain. Son gouvernement a utilisé ce pouvoir pour tuer au moins trois citoyens américains, ainsi que des milliers d’autres personnes incinérées par des bombes tirées par des drones partout dans le monde.

Obama a préservé et en quelque sorte élargi l’espionnage illégal mené par l’Agence de sécurité nationale. Il a persécuté des journalistes et des lanceurs d’alerte qui ont révélé les crimes du gouvernement. Edward Snowden reste exilé en Russie ; Julian Assange est piégé dans l’ambassade équatorienne à Londres ; et Chelsea Manning, qui a tenté de se suicider à plusieurs reprises, purge une peine de 35 ans d’emprisonnement dans la prison de sécurité maximale à Fort Leavenworth, dans le Kansas.

À presque toutes les occasions, Obama a invoqué la raison d’État et la doctrine des « secrets d’État » pour bloquer les efforts visant à utiliser les tribunaux pour rendre responsables de leurs actes les bourreaux du gouvernement Bush ou pour contester la surveillance intérieure illégale.

Avec un gouvernement dirigé par Trump, un régime d’un nouveau type prendra le pouvoir aux États-Unis, où la violence de la police et de l’armée, ainsi que les méthodes autoritaires de gouvernement prédomineront plus ouvertement. Alors qu’Obama souhaite à Trump pleine réussite, et que les démocrates s’engagent à collaborer avec le nouveau gouvernement, Trump est en train de truffer son cabinet ministériel d’individus qui ont autant de mépris pour les droits démocratiques que lui.

Pourtant, ce gouvernement trouve sa source dans les contradictions sociales de la société américaine, et il les fait ressortir. Ces contradictions qui font sauter les garde-fou de la démocratie bourgeoise. C’est la réponse de la classe dirigeante américaine à l’accroissement extrême de l’inégalité sociale. Si la classe dirigeante est prête à emprisonner les gens pour avoir brûlé le drapeau, que fera-t-elle contre les manifestations de masse qui s’opposeront à la guerre, à la violence policière et la destruction de la sécurité sociale ?

La défense des droits démocratiques ne peut être confiée à aucune partie de la classe dirigeante ou à ses représentants politiques. Elle dépend entièrement du mouvement indépendant de la classe ouvrière, en opposition à la structure politique et au système capitaliste que défends la classe dirigeante.

(Article paru en anglais le 1ᵉʳ décembre 2016)