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Les questions politiques dans la grève à Verizon

Par Barry Grey
15 avril 2016

La grève de 39 000 travailleurs contre le géant des télécommunications américain Verizon est une expression puissante de l’humeur croissante de militantisme et d’opposition à l’établissement politique et patronal parmi les travailleurs aux États-Unis et à l’étranger. Elle coïncide avec une grève sauvage des contrôleurs de la circulation aérienne en Belgique et des manifestations de masse des travailleurs et des jeunes en France contre l’austérité et les attaques sur la sécurité de l’emploi, ainsi que des grèves croissantes et des manifestations de la classe ouvrière à travers l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine.

Elle fait suite à la grève des travailleurs des raffineries de pétrole aux États-Unis l’an dernier, et à la résistance massive des travailleurs de l’automobile aux contrats de concessions imposés par l’United Auto Workers chez General Motors, Ford et Fiat Chrysler, qui comprenait le premier rejet par la base d’une convention collective dans ces 3 grands groupes depuis plus de 30 ans.

Après avoir travaillé pendant huit mois sans convention collective, les installateurs, les employés du service à la clientèle, les techniciens et les réparateurs dans la division de téléphone fixe de Verizon sont déterminés à s’opposer aux exigences de la société pour de nouvelles concessions qui impliquent de nouveaux licenciements de masse, des coupes dans les retraites et les prestations de santé, et de permettre à l’entreprise de transférer les travailleurs à des endroits éloignés pendant des mois. La société, qui engrange 1,8 milliard de dollars de profits par mois, réclame un plafond sur les retraites pour les travailleurs âgés, de faire peser une part plus importante des coûts de santé sur les employés, et l’externalisation plus large des emplois.

Verizon est prête à s’acharner impitoyablement contre les grévistes. À la veille de la grève, le président de la division réseau filaire de l’entreprise a noté que la direction avait formé des milliers de travailleurs non syndiqués comme briseurs de grève et avait déplacé le personnel vers d’autres endroits pour maintenir les opérations. « Soyons clairs », a-t-il dit, « nous sommes prêts pour une grève. »

Plus tôt cette semaine, Verizon a envoyé un courriel menaçant à tous les employés qui disait : « C’est important que tout le monde comprenne le type de conduite qui constituerait un motif légitime de licenciement, sur lesquels la Société et les syndicats se sont mis d’accord. » Au cours d’une grève de quatre mois en 1989 contre la société prédécesseur de Verizon, NYNEX, le gréviste Gerry Horgan avait été tué quand un jaune chauffeur de camion l’a écrasé sur le piquet de grève.

Les travailleurs ne peuvent placer aucune confiance dans le syndicat « Communications Workers of America » (CWA) ou dans la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE) pour contrer les attaques de la direction et mener à bien une lutte sérieuse. Ils ont collaboré avec la société depuis des décennies en imposant des réductions et des concessions sur des emplois, y compris la mise en place d’un système à deux vitesses dans lequel les travailleurs nouvellement embauchés ne reçoivent aucune retraite et n’ont aucune protection de l’emploi. Depuis leur trahison de la grève en 2000, dans laquelle les syndicats sont parvenus à renvoyer la majorité des grévistes au travail alors que le débrayage était toujours en cours, la main-d’œuvre a été réduite de 40 pour cent.

En 2011, les syndicats ont annulé une grève après seulement deux semaines sans avoir obtenu un nouveau contrat, ou un quelconque accord de la part de la société pour retirer ses demandes de concessions valant un milliard de dollars, ni une amnistie quelconque pour les travailleurs persécutés par la direction dans le cadre de la grève. Plus d’un an plus tard, ils ont imposé un accord qui comportait la plupart des concessions exigées par Verizon.

Le Service fédéral de médiation et de conciliation de l’Administration Obama (FMCS) est intervenu pour aider à imposer cet accord pro-entreprise aux travailleurs. Mardi, Verizon a dit que le FMCS avait offert d’intervenir une fois de plus.

La préoccupation des syndicats est d’avoir accès à l’expansion de la division « sans fil » de l’entreprise, qui est en grande partie non-syndiquée, et de faire pression sur l’entreprise pour étendre ses opérations de câbles à fibres optiques. Afin d’obtenir une nouvelle source de cotisations, ils sont prêts à offrir des concessions sur les salaires, les prestations sociales et les conditions de travail de leurs membres. Un communiqué de presse publié sur le site Web du CWA mardi ne fait aucune mention des demandes de la société pour de nouvelles concessions sur les pensions et les prestations de santé.

Les syndicats combinent une collusion corporatiste avec la société et la promotion du nationalisme économique et du protectionnisme. Le CWA et l’IBEW concentrent leur rhétorique anti-Verizon sur son externalisation des emplois aux Philippines, au Mexique et aux autres pays à bas salaires. Cela sert à diviser la classe ouvrière, et à opposer les travailleurs de Verizon aux États-Unis à leurs frères et sœurs de classe dans d’autres pays. Dans le même temps, ils fournissent le cadre pour l’imposition de concessions toujours plus draconiennes, menées au nom du renforcement de la compétitivité des entreprises. La logique de cette politique réactionnaire est une course fratricide vers le bas entre les différentes sections des travailleurs.

Verizon est une société massive qui opère à l’échelle mondiale. Sa division Solutions d’entreprise intervient dans 75 pays et dispose d’un réseau IP mondial qui atteint plus de 150 pays. L’idée que les travailleurs américains pourraient combattre cette entreprise de manière isolée et en opposition aux travailleurs dans d’autres pays est la recette pour un échec total.

Au lieu de se tourner vers l’Administration Obama et les politiciens démocrates comme le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, comme ils y sont poussés par les syndicats, les travailleurs de Verizon ont besoin de se retourner largement vers la classe ouvrière et la jeunesse à travers les États-Unis et leurs collègues de travail au Mexique, aux Philippines et internationalement.

Les syndicats appliquent la subordination des travailleurs aux profits et à la réduction des coûts des entreprises à travers leur alliance politique avec les grandes entreprises et le Parti démocrate. Le CWA, qui a adhéré à la campagne de Sanders pour la nomination présidentielle du Parti démocrate, a sciemment calé la grève dans la période précédant la primaire critique de New York mardi prochain. Le CWA a coordonné le débrayage avec la campagne Sanders, qui permettrait à ce « socialiste démocratique » autoproclamé de faire une apparition sur un piquet de grève à Brooklyn et de promouvoir ses qualifications anti-Wall Street. Le CWA a demandé en outre aux grévistes d’assister à un rassemblement de Sanders mardi soir à Manhattan.

Dans la campagne des primaires démocrates, Sanders est l’avocat le plus véhément des politiques de protectionnisme et de guerre commerciale, qui reflète la politique nationaliste de la bureaucratie syndicale : l’Amérique d’abord. Les syndicats de Verizon cherchent, par le biais de leur campagne, à canaliser la colère bouillonnante et le militantisme des travailleurs à nouveau dans l’impasse du Parti démocrate, qui a travaillé, pas moins que les républicains, à détruire les conditions de vie des travailleurs aux États-Unis, tout en enrichissant l’élite patronale et financière.

Alors qu’ils font du bruit contre la demande de Verizon pour de nouvelles réductions dans les prestations de santé des travailleurs, les syndicats ne disent rien sur le fait qu’à la base de la demande de Verizon, il y a la nécessité de se conformer aux « taxes Cadillac » de 40 pour cent sur les régimes d’assurance maladie prétendument trop généreux, qui sont inclus dans la loi mal nommée des « Soins abordables » d’Obama.

La déclaration de soutien de Hillary Clinton aux grévistes de Verizon mardi est totalement cynique et hypocrite. Elle et son mari ont pris des dizaines de millions en pots-de-vin de Wall Street et de l’élite patronale depuis leur départ de la Maison-Blanche, utilisant leurs années au pouvoir pour avoir accès à l’aristocratie financière. Au cours de son mandat, d’ailleurs, Bill Clinton a signé la loi sur les télécommunications de 1996 qui a ouvert la voie à la vague de fusions et consolidations d’où Verizon est sorti comme un colosse des télécommunications.

Les travailleurs de Verizon doivent rejeter les politiques des syndicats et briser leur contrôle sur l’organisation de la grève. Ils doivent élire des comités d’action parmi la base pour une campagne visant à gagner le soutien des sections plus larges de la classe ouvrière et de la jeunesse ainsi que des travailleurs des télécommunications à l’échelle internationale.

Ce doit être combiné avec une nouvelle stratégie politique – la construction d’un mouvement politique de la classe ouvrière indépendant et armé d’un véritable programme socialiste, y compris la nationalisation des banques et des grandes entreprises et leur transformation en services publics sous le contrôle démocratique des travailleurs.

(Article paru d’abord en anglais le 14 avril 2016)