Les élections de 2016 et la crise de la démocratie américaine
Par Joseph Kishore
19 août 2016
Les élections de 2016 aux États-Unis sont une nouvelle étape dans la crise profonde et prolongée de la démocratie américaine. Les partis politiques qui existent depuis plus d'un siècle et demi éclatent. De nouveaux alignements politiques émergent, et un type extrêmement dangereux de politique, en gestation depuis une longue période, fait irruption.
Au lendemain des conventions nationales démocrate et républicaine, la position de Donald Trump dans les sondages a baissé de manière significative, en particulier dans les Etats clés, déterminants. Des sections dirigeantes du Parti républicain et des médias alliés se plaignent du fait que Trump ne fait pas une campagne traditionnelle capable de gagner la présidence. Il y a un afflux de demandes qu'il change de cap.
La page éditoriale du Wall Street Journal affirmait cette semaine que si les dirigeants républicains « n'arrivent pas a faire en sorte que M. Trump change ses manières avant la fête du Travail », ils « n'auront pas d'autre choix que de considérer ce candidat comme sans espoir et de concentrer leurs efforts pour sauver la Chambre de députés et le Sénat ... » En ce qui concerne Trump, le Journal a déclaré qu'il doit « décider s'il veut se comporter comme quelqu'un qui veut être président ou bien passer la nomination à [son vice-présidentielle colistier] Mike Pence ».
Ce qui est le plus remarquable c'est le peu que Trump semble être préoccupé par les résultats des sondages ou les plaintes de plus en plus stridentes de la direction du parti qu'il est supposé diriger.
Le candidat républicain a répondu mercredi aux plaintes du Journal et d'autres en organisant un remaniement de son personnel de façon complètement opposée à ce qu'exigent ses détracteurs républicains. Il a rétrogradé de fait le président de sa campagne, Paul Manafort, et nommé le chef de Breitbart News Stephen Bannon pour gérer les opérations quotidiennes de sa campagne. En avançant Bannon, selon le journal The Guardian, Trump « s'est libéré des derniers vestiges de supervision politique ... avec la nomination d'un non-conformiste ... susceptible de favoriser son style en roue libre ». C'est un « doigt d'honneur à l'establishment républicain », déclare un titre du Washington post.
Plus importantes que les questions de style, il y a les implications politiques de la sélection de Bannon. Breitbart News est au coeur de la presse de caniveau de droite, du réseau de blogs et d'émissions-débat radio qui favorisent les politiques les plus fétides, nationalistes, militaristes et fascisantes.
Un rapport publié dans le Daily Beast, mercredi a souligné les liens de Breitbart avec les organisations suprémacistes blanches comme VDare, le National Policy Institute, Alt-Right et American Renaissance. Andrew Breitbart, le fondateur de Breitbart News jusqu'à sa mort en 2012, aurait qualifié avec approbation Bannon de « Leni Riefenstahl du mouvement Tea Party », se référant à la propagandiste et cinéaste nazi. Selon le Post, Bannon a encouragé Trump à se présenter comme « nationaliste éhontée ».
Bannon a récemment fait des vagues quand il a défendu Corey Lewandowski l'ancien directeur de campagne de Trump contre les accusations selon lesquelles il avait agressé une des propres journalistes de Breitbart, Michelle Fields. Breitbart a depuis été transformé en ce qui équivaut à un site web de campagne pour Trump.
Le désintérêt évident de Trump par rapport aux opinions des responsables républicains éminents est en ligne avec une orientation politique qu'il a mise au point au cours de sa campagne. Il calcule qu'il y a un réservoir de colère et de frustration sociale qui peut être canalisé, sur la base de dénonciations vagues de « l’élite » dans une direction d'extrême droite. Comme le World Socialist Web Site l’a fait remarquer en mars, après une série de victoires de Trump aux primaires de Super Tuesday, « C'était seulement une question de temps avant que l'un ou l'autre démagogue de droite reconnaisse le potentiel politique d'un appel à l'insécurité économique et sociale de millions de personnes ».
Qu'il gagne ou non en novembre, Trump crée la base pour un mouvement fasciste et nationaliste, concentré sur les attaques contre les immigrés, l'hystérie anti-islamique, des appels à « la loi et l’ordre » et des demandes pour la fin de toutes les contraintes sur la police et l'armée. Ce mouvement va persister après les élections, avec, à sa tête, Trump ou un autre démagogue.
A cet égard, il est significatif que Trump ait levé de plus en plus l’accusation que les élections sont truquées en faveur de Clinton et des démocrates, avec l'implication claire qu'une présidence Clinton sera illégitime dès le départ.
Au bout du compte, Trump parle au nom d'une section de la classe dirigeante qui est bien consciente de la crise de son système économique et politique, et de la montée de l'opposition sociale, et prépare des méthodes de gouvernement plus autoritaires et violentes.
Trump représente un grave danger pour la classe ouvrière. Cependant, sa capacité à se faire entendre parmi certaines sections opprimées de la population est due avant tout au caractère en faillite et réactionnaire de ce qui passe pour la politique de « gauche » aux États-Unis. Les dénonciations par Trump de « Hillary l’escroc, » ses attaques contre les médias, ses diatribes contre le « politiquement correct » de l'élite libérale sont destinées à exploiter une hostilité profonde à l’égard du Parti démocrate, agrandie après sept ans et demi du gouvernement Obama.
Au cours du dernier mois, la caractérisation du World Socialist Web Site de Clinton en tant que candidate du statu quo politique a été de plus en plus spectaculairement confirmée. Elle a maintenant le soutien explicite ou implicite de tout le monde, allant des républicains néo-conservateurs tels que le va-t-en guerre d’Irak Robert Kagan, à des responsables du renseignement de haut niveau comme les anciens chefs de la CIA Michael Morell et Michael Hayden, en passant par le gouvernement Obama, l'ensemble de l'appareil syndical et son ancien adversaire lors des primaires Bernie Sanders. A cette liste, il faut ajouter les grands milliardaires des fonds spéculatifs et la plupart des médias.
Une présidence Clinton représenterait une alliance entre Wall Street et la grande entreprise américaine, l'appareil de renseignement et l'armée, et les couches de la classe moyenne supérieure qui adhèrent au Parti démocrate sur la base de la politique de race, du genre et de l'identité sexuelle. L'objectif d'une administration Clinton serait une vaste expansion des interventions militaires américaines, en particulier au Moyen-Orient et contre la Russie, ainsi que l'intensification du « pivot vers l’Asie » anti-chinois du gouvernement Obama.
Les démocrates et les médias cherchent à transformer les élections en un mandat pour la guerre, alors même que les vastes implications pour la population des États-Unis et du monde sont cachées. La campagne de Clinton s'est axée sur ses critiques de Trump non pas au sujet de ses politiques fascistes, mais sur ses supposés liens avec le président russe Vladimir Poutine et son inaptitude, pour des raisons politiques et psychologiques, à occuper le poste de commandant en chef des Etats-Unis.
La nature de la campagne Clinton - en particulier dans l'intervention sans précédent de hauts responsables du renseignement et de l’armée – exprime à sa façon la crise de la démocratie bourgeoise. Le programme qu'elle prépare nécessite une escalade de l'assaut sur la classe ouvrière et la poursuite du démantèlement des formes constitutionnelles de gouvernement au-delà de ce qui a déjà été mis en œuvre par Bush et Obama.
Dans les élections de 2016, les processus qui se développent depuis un certain temps arrivent à un point culminant. Cela fait maintenant seize ans depuis que le vol d'une élection par la Cour suprême des États-Unis porta George W. Bush au pouvoir, un événement qui avait été précédé par une campagne visant à destituer le mari de Hillary Clinton sur la base d'un scandale sexuel fabriqué.
Les élections de 2000 ont été suivies par les attentats du 11 septembre, 2001. Les attentats furent utilisés pour justifier la « guerre contre le terrorisme », qui a conduit aux invasions de l'Afghanistan et d’Irak, aux guerres en Libye et en Syrie et une nouvelle guerre en Irak, au Patriot Act (loi anti-terroriste), l'espionnage domestique, Guantanamo Bay, la torture de la CIA et les assassinats par drones. Un quart de siècle de guerre, remontant à la dissolution de l'Union soviétique et à la proclamation par le premier gouvernement Bush d'un « Nouvel Ordre Mondial », a conduit à une immense croissance du pouvoir et de l'influence des agences militaires et de renseignement.
Derrière la crise des formes démocratiques de gouvernement est le déclin à long terme du capitalisme américain, accompagné d'un processus de financiarisation et de la montée d'une nouvelle aristocratie qui a accumulé de niveaux inimaginables de richesse au moyen du parasitisme et de la spéculation. L'inégalité sociale affiche un niveau record, et une grande majorité de la population fait face à une combinaison de chômage, de précarité économique et de salaires de misère.
La trajectoire essentielle du sentiment populaire est vers la gauche. Des sondages récents confirment le fait indéniable que des millions de personnes perçoivent l'ensemble du système politique, y compris Clinton et Trump, avec un sentiment de haine et de mépris. Le large soutien à la campagne de Sanders dans les primaires démocrates a montré que de larges couches de la population sont à la recherche d'un moyen de s'opposer à la domination des banques et des grandes entreprises sur la vie économique et politique. L’issue de la campagne de Sanders, que le WSWS a prévue et contre laquelle nous avons lancé des mises en garde, a assuré que ce sentiment ne trouve aucune expression politique.
Quel que soit le résultat de l'élection en novembre, la crise de la démocratie américaine va s’intensifier. Le plus grand danger auquel les travailleurs sont confrontés est qu'ils ne sont pas organisés politiquement et qu’ils ne sont pas conscients des tâches auxquelles ils sont confrontés. La campagne présidentielle du Socialist Equality Party, SEP (Parti de l'égalité socialiste) vise précisément à développer l'organisation politique indépendante et la conscience de la classe ouvrière.
Les dangers posés aux travailleurs des États-Unis et sur le plan international ne seront pas résolus par des manœuvres tactiques ou un vœu pieux. Il faut une lutte politique sans compromis, basée sur la compréhension que la crise politique est un reflet de la crise du système capitaliste tout entier.
Les candidats du SEP Jerry White pour la présidence et Niles Niemuth pour la vice-présidence avancent un programme socialiste et internationaliste qui représente les intérêts de la classe ouvrière et la prépare pour les luttes qui l’attendent.
Le World Socialist Web Site parle chaque jour à des dizaines de milliers de lecteurs. Les événements ont prouvé la justesse de la perspective et du programme du Socialist Equality Party (Parti de l'égalité socialiste). Le temps est venu de tirer les conclusions politiques nécessaires. Nous disons à tous nos lecteurs qui reconnaissent les dangers à venir et la nécessité de lutter pour le socialisme : Traduisez vos convictions en actions.
La construction du Socialist Equality Party est la tâche politique la plus urgente. C’est maintenant qu’il faut adhérer au SEP et soutenir sa campagne électorale.
(Article paru en anglais le 18 août 2016)