Etats-Unis: les racines sociales des troubles à Milwaukee
Par Niles Niemuth
17 août 2016
Une colère sociale aux racines profondes a de nouveau éclaté contre la violence policière dans une ville américaine. Des manifestations ont cette fois éclaté dans le quartier de Sherman Park à Milwaukee, Wisconsin, après le meurtre samedi dernier d'un Afro-Américain de 23 ans, Sylville K. Smith, par un policier afro-américain resté non identifié.
Environ cent personnes se sont rassemblées samedi soir pour protester près du lieu où Smith a été tué. La nuit s’est terminée par le pillage de quelques entreprises à proximité et l'incendie d'une station d’essence, d’une succursale de banque et d’un magasin de pièces automobiles. Plusieurs voitures de police et d'autres véhicules ont été endommagés ou détruits. La police a fait 31 interpellations lors de manifestations samedi et dimanche soir.
A la demande du shérif du comté de Milwaukee David Clarke, bailleur de fonds afro-américain de premier plan du candidat présidentiel républicain Donald Trump, le gouverneur du Wisconsin Scott Walker, a mobilisé la Garde nationale. Au moins cent gardes nationaux ont été placés en alerte pour répondre aux protestations si cela est jugé nécessaire par les responsables de la ville, s'ajoutant aux 150 agents de police spécialement formés du Département de police de Milwaukee (MPD) et aux patrouilles de police régulières.
C''est la deuxième fois depuis 2014 que Walker met la Garde nationale en alerte en réponse aux protestations contre la violence policière dans la ville. La Garde nationale, une branche de l'armée, a été utilisée pour réprimer les manifestations populaires à Ferguson, Missouri en 2014 et à Baltimore, Maryland en 2015.
Si le meurtre de Smith est la cause immédiate des manifestations de Milwaukee, il est clair que des questions plus larges sont en cause, non pas liées à des divisions raciales, mais à une guerre de classe unilatérale menée par l'élite financière américaine. Comme tant de villes aux États-Unis, Milwaukee a été dévasté par des décennies de désindustrialisation et de financiarisation, qui ont produit la plus forte inégalité sociale depuis les années 1920. Les usines qui fournissaient des salaires et des avantages sociaux décents à des dizaines de milliers de travailleurs ont pratiquement disparu.
Entre 1960 et 2010, la ville a perdu les trois quarts de ses emplois industriels. La disparition de l'emploi manufacturier a eu un impact particulier sur les travailleurs noirs masculins dans la ville. De 1970 à 2010, le taux d'emploi des hommes noirs âgés de 16 à 64 ans dans le Grand Milwaukee a chuté abruptement, de 73,4 pour cent à 44,7 pour cent seulement.
Le taux global de pauvreté de la ville était de 29 pour cent en 2014, presque le double du taux national. Les enfants et les jeunes âgés de 18 ans et moins sont les plus touchés, plus de 42 pour cent grandissant dans la pauvreté. Plus de 43 pour cent de la population dans le quartier de Sherman Park vit sous le seuil de pauvreté.
Le président Barack Obama avait visité la zone de Sherman Park en 2012 et parlé à l'usine Master Lock, l'une des rares installations industrielles restantes dans la région. Obama a salué Master Lock comme un excellent exemple de "l'internalisation" d’emplois manufacturiers à bas salaires. Dans ses plus de sept ans au pouvoir, le gouvernement Obama n'a pas proposé une seule initiative ou programme qui commencerait à s’occuper du niveau stupéfiant d'inégalité sociale, de pauvreté et de chômage aux États-Unis.
La croissance de la pauvreté et de l'inégalité, l'éruption de la colère sociale et le renforcement des forces de police sont des éléments interdépendants de la même dynamique de classe. Quel que soit le rôle joué par le racisme – une analyse des données pour les interpellations des agents de la circulation de 2011 révèle que les conducteurs afro-américains étaient sept fois plus susceptibles que les conducteurs blancs d'être arrêtés par la police de Milwaukee – la guerre de la classe dirigeante américaine a été menée contre la classe ouvrière de tous les ethnies.
S’agissant de la violence policière, il est à nouveau nécessaire de souligner que la majorité des personnes tuées par la police aux États-Unis sont des blancs. Quant aux conditions qui alimentent la colère sociale, elles transcendent elles aussi la question de l’ethnie. La majorité des pauvres aux États-Unis sont blancs, et les travailleurs blancs ont subi certaines des baisses les plus désastreuses de leurs conditions de vie ces dernières décennies. Il suffit de citer la hausse stupéfiante du taux de mortalité chez les travailleurs blancs ces dernières années.
Concernant les Afro-Américains, l'un des faits le plus important quoique peu remarqué de la vie américaine est la croissance remarquable de l'inégalité sociale au sein de la population afro-américaine au cours des quatre dernières décennies. Une famille noire du un pour cent le plus riche de la population a un patrimoine net 200 fois plus important que celui de la famille noire moyenne, et les 10 pour cent les plus riches possèdent 67 pour cent de la richesse détenue par tous les Afro-Américains.
En politique, les Afro-Américains ont été hissés à des positions de pouvoir, tant par les démocrates que par les républicains – Obama, Loretta Lynch, Condoleezza Rice et Colin Powell étant parmi les plus notables. La plupart des grandes villes américaines ont eu des maires noirs et les conseils municipaux sont peuplés de politiciens afro-américains.
Ceux qui prônent la politique raciale parlent au nom de cette couche sociale aisée de la classe moyenne et de sections de la classe dirigeante, dont les intérêts sont complètement hostiles à ceux des travailleurs et des jeunes Afro-Américains.
Une véritable lutte contre la violence policière doit partir de la compréhension de certains faits élémentaires.
Tout d' abord, celui que la violence policière n’est pas le produit de l'animosité raciale de « l' Amérique blanche » envers « l'Amérique noire», mais qu’elle est plutôt le reflet de la nature de l'État comme instrument de domination de classe. Le renforcement du pouvoir de la police, qui est partie intégrante d'un vaste appareil de répression, depuis l'armée jusqu’aux agences de renseignement, sera utilisé contre toute opposition sociale aux politiques de l'aristocratie financière.
Deuxièmement, celui que toutes les factions de l'establishment politique se sont engagées à défendre la police. Dans les élections de 2016, Trump et les républicains défendent un programme de « loi et d'ordre» et appelle à criminaliser l'opposition à la violence policière (exprimée le plus brutalement par le shérif du comté de Milwaukee Clarke à la Convention nationale républicaine le mois dernier).
Hillary Clinton et les démocrates saluent la police tout en exploitant de façon écœurante et hypocrite les familles des victimes de la violence policière pour promouvoir leur politique raciale identitaire. Clinton s’est engagée à poursuivre et à étendre la politique du gouvernement Obama, ce qui signifie intensifier l'assaut sur la classe ouvrière, étendre la guerre à l'étranger et laisser se poursuivre le règne de la violence policière aux États-Unis.
La lutte contre la violence policière signifie un combat contre la société qui la crée. Cela nécessite une lutte politique pour unifier toutes les sections de la classe ouvrière, de toutes ethnies, dans une lutte commune contre le chômage, la pauvreté, l'inégalité et le système de profit capitaliste.
(Article paru en anglais le 16 août 2016)