Le projet de loi gouvernemental sur l'état d'urgence menace les libertés publiques
Par Anthony Torres
20 novembre 2015
Mercredi, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a donné de premiers détails le projet de loi du Parti socialiste (PS) sur la modification de la Constitution afin de «moderniser» l'état d'urgence. Les dispositions draconiennes annoncées par Le Foll, adoptées suite aux attentats terroristes commis par l'État islamique (EI) à Paris le 13 novembre, et alors que le gouvernement a imposé l'état d'urgence, menacent les libertés publiques et la démocratie en France.
Présenté mercredi au Conseil des ministres par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, et le premier ministre, Manuel Valls, lui-même ancien ministre de l'Intérieur, le projet de loi émane directement de la police et des forces de sécurité.
Le projet de loi leur accorde des pouvoirs immenses. Elles peuvent dissoudre des associations ou groupes, et assigner des individus à résidence ou perquisitionner leurs domiciles, dès que l'État estime seulement qu'ils pourraient à l'avenir troubler «l'ordre public». Ces mesures ne visent pas spécifiquement le terrorisme. En fait, le mot «terrorisme» n'apparaît pas une seule fois dans le texte présenté par Le Foll.
Ceci accorde de fait le droit aux forces de l'ordre d'interdire et de punir toute tentative d'organiser des grèves, des manifestations ou des réunions qui déplairaient aux autorités.
Selon la déclaration de Le Foll, «Le régime des assignations à résidence est modernisé et élargi à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. Il pourra être interdit à la personne assignée à résidence d’entrer directement ou indirectement en contact avec des personnes soupçonnées également de préparer des actes portant atteinte à l’ordre public.»
Le projet de loi supprime une commission administrative devant laquelle les personnes assignées à résidence pouvaient contester leur assignation. À présent, elles auront uniquement «le recours de droit commun devant la juridiction administrative».
Le projet de loi permet aussi «de dissoudre les associations ou groupements de faits qui participent, facilitent ou incitent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public, et qui comportent en leur sein des personnes assignées à résidence».
Également selon Le Foll, «Le procureur de la République sera informé de toute décision de perquisition, qui se déroulera en présence d’un officier de police judiciaire. Lors de ces perquisitions, il pourra être fait copie sur tout support des données stockées dans tout système informatique ou équipement.»
Actuellement, la loi de 1955 qui régit l'état d'urgence permet uniquement la saisie des armes. Selon d'autres rapports de presse, le projet de loi devrait permettre la saisie d'ordinateurs, de téléphones portables et autres matériels numériques. D’autres dispositions devraient permettre de plus amples mesures de surveillance adaptées aux moyens de communication modernes.
Selon Les Échos, «le texte va assouplir les modalités des perquisitions, en élargissant notamment le champ d’intervention. Il pourrait autoriser différentes mesures de contrôle comme la possibilité de demander aux personnes visées de se présenter quatre fois par jour au commissariat et de demander la remise du passeport.»
Le projet de loi contient par ailleurs de nombreuses dispositions réactionnaires. Les services mobilisés dans la lutte antiterroriste «doivent pouvoir recourir à tous les moyens des nouvelles technologies». Hollande a annoncé que les binationaux condamnés pour terrorisme devraient perdre la nationalité française et être expulsés de France. La légitime défense des policiers devrait aussi être revue, permettant à ces derniers d'utiliser plus agressivement leurs armes.
Une pareille modification de la Constitution française, qui cible non pas le terrorisme, mais tout trouble qui menacerait «l'ordre», ne ressort pas d'une lutte contre le terrorisme. En fait, l'atrocité commise par l'EI sert de prétexte pour des attaques beaucoup plus vastes contre les droits démocratiques de toute la population.
L'ordre social est profondément discrédité à travers le monde, suite à l'effondrement économique généralisé après le krach de Wall Street de 2008 et la montée des guerres et de l'inégalité sociale.
On comprend quelque chose de l'état d'esprit qui prédomine parmi les milieux dirigeants et dans les couches petites-bourgeoises aisées en observant qu'un livre récent du sociologue Emmanuel Todd, sur la structure de classe de la France, s'appelle Après la démocratie. Après l'arrivée du PS au pouvoir, la situation sociale s'est encore dégradée, et sa politique d’austérité et proguerre a polarisé les tensions de classes.
Le PS a déjà pris la décision extraordinaire l'année dernière d'interdire une manifestation pacifique contre la guerre menée par l'État d'Israël contre Gaza. Miné par son impopularité profonde et menacé éventuellement de disparition aux prochaines élections présidentielles de 2017, le PS aux abois est prêt à envisager des mesures draconiennes.
Sous ses conditions, la seule base sociale fiable que trouve la classe politique pour appuyer sa politique est l'armée et la police. Le président a exprimé lundi sa volonté de «renforcer substantiellement les moyens dont disposent la justice et les forces de sécurité», assumant déjà un «surcroît de dépenses». Il a proposé la création de 10.000 postes de sécurité supplémentaires, dont 5.000 policiers et gendarmes, 1.000 douaniers et 2.500 dans l'administration judiciaire et pénitentiaire.
«Le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité» budgétaire européen, a dit Hollande. Ainsi les dépenses supplémentaires dans les différents ministères devront être compensées par des attaques plus draconiennes contre les acquis sociaux des travailleurs.
Il n'y aura aucune réduction des effectifs de l’armée avant 2019, mais l'intégration des quelque 59.000 réservistes dans une garde nationale. L'utilisation d'une garde nationale coûterait, selon la presse, environ 2 milliards d'euros.
Cette politique de plus en plus ouvertement antidémocratique jouit d'un soutien large dans la presse, qui reflète la tonalité réactionnaire de l'opinion petite-bourgeoise.
Ainsi Bastien François, professeur de droit qui écrit pour Nouvel Obs et est membre d’Europe Écologie-Les Verts, proche du PS, apporte son soutien à la modification de la constitution, qu'il traite de mesure purement antiterroriste.
Selon lui, la modification de la Constitution vise à «instaurer un "régime civil d'état de crise" permettant de combattre "dans la durée" la menace terroriste. Parce qu'il s'agit notamment de porter atteinte à un fondement du droit de la nationalité, ou encore de généraliser les assignations à résidence pour les personnes soupçonnées de djihadisme, et donc de définir un régime dérogatoire aux droits fondamentaux pour lutter contre le terrorisme, une révision de la Constitution est bien sûr nécessaire».
La presse fut unanimement enthousiasmée par la posture de Hollande lors du Congrès. Dans l'article intitulé «Hollande au Congrès: une leçon de dignité présidentielle pour Sarkozy», le magazine Challenges s'émerveille devant l'Union nationale qui se formerait autour de François Hollande.
Le magazine économique écrit: «Face au Congrès, pour la première fois depuis son élection, François Hollande n’aura jamais autant incarné l’autorité de la République, donc une certaine idée de la France. Une image restera: celle du chef de l’État, debout à la tribune du Congrès, salué par l’ensemble de la représentation nationale, tous chantant la Marseillaise... Sans doute est-il devenu, aux yeux de bien des Français, contraint par le tragique de l’histoire, pleinement président. Totalement président. Absolument président.»
Cet hymne à l'unité nationale et à l'autorité du chef, thème central de la propagande du régime de Vichy, traduit assez bien l'hystérie réactionnaire qui accompagne les attaques brutales dirigées contre les droits démocratiques en France.