Soutien écrasant de l’Assemblée nationale à l’extension des mesures d’État policier
Par Andre Damon
21 novembre 2015
L’Assemblée nationale a approuvé massivement jeudi une prolongation de trois mois de l’état d’urgence décrété par le président François Hollande et « réformé » dans le sillage des attaques terroristes du 13 novembre à Paris
La législation permet les perquisitions et les saisies sans mandat, les détentions sans inculpation et l’interdiction des manifestations et des protestations; elle suspend la liberté d’association.
Le projet de loi autorise la mise en résidence surveillée et le repérage par un dispositif de localisation, de « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. » Il est notable qu’il ne contient nulle part une référence au terrorisme. Toutes ses dispositions sont formulées en vue d’une préservation de « l’ordre public », ce qui signifie que toute organisation soupçonnée par les forces de police d’être opposée à leurs intérêts, y compris les partis politiques et les organisations ouvrières, peut être la cible de la répression arbitraire de l’Etat.
La législation fut adoptée par l’Assemblée nationale à une écrasante majorité de 551 voix. Il y eut six voix contre et une abstention. Chaque regroupement ou parti parlementaire majeur, dont le Parti socialiste (PS) et les Verts, ont voté massivement pour les mesures.
Il est significatif que tous les députés du Front de gauche, composé du Parti communiste français stalinien (PCF) et du Parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon, ont voté en faveur de la mesure. Les trois députés PS et les trois députés Verts ayant voté contre représentent des fractions minuscules de leurs blocs parlementaires respectifs.
Bruno Le Roux, le leader du groupe « socialiste, républicain et citoyen» à l’Assemblée nationale, a parlé en faveur de la mesure à la tribune de l’Assemblée: « Les Français sont prêts, je le crois, à une restriction des libertés toute relative, encadrée, contrôlée et limitée dans le temps »,
L’unanimité du vote exprime le fait qu’il n’existe au sein de l’establishment politique français aucun soutien pour la préservation des droits démocratiques fondamentaux.
L’organisation des droits de l’Homme Amnesty International a publié une déclaration sur les mesures d’État policier en train d’être imposées en France, qui mettait en garde que « les pouvoirs relevant de l'état d'urgence, actuellement adoptés à la hâte par le Parlement, prévoient un élargissement considérable des pouvoirs de l’exécutif, aux dépens des garanties essentielles en matière de droits humains.»
« Nous avons assisté à maintes reprises à l’extension et à la codification de mesures d’urgence jusqu’à ce qu’elles fassent partie intégrante du droit commun, en empiétant constamment sur les droits humains,» a déclaré Geneviève Garrigos la présidente d’Amnesty international France.
Ce projet de loi fait partie de la vaste extension des mesures d’État policier proposée par Hollande dans le sillage des attaques du 13 novembre. Hollande a appelé à un autre vote pour modifier la Constitution française afin d’y ancrer les pouvoirs d’État policier, permettant au président de gouverner la France indéfiniment dans un état d’urgence permanent.
De par la loi no 55-385, créée en 1955 pendant la guerre d’Algérie, le président peut déclarer l’état d’urgence pour 12 jours, sa prolongation étant soumise à l’autorisation du parlement.
Hollande a proposé séparément des mesures de destitution de la citoyenneté française des personnes ayant la double nationalité et condamnées pour terrorisme et la création de centres de « dé-radicalisation » pour les jeunes musulmans.
Le Premier ministre français Manuel Valls a salué le projet de loi comme « la réponse rapide d’une démocratie face à la barbarie », ajoutant: « C’est la réponse efficace du droit…. face à une idéologie du chaos ». Il a dit que les mesures étaient des « outils modernes et efficaces » de lutte contre la menace terroriste.
Ces nouveaux pouvoirs d’urgence viennent à la suite d’une extension massive des pouvoirs d’espionnage de l’État en juin, suite à l’attentat contre le magazine satirique français Charlie Hebdo.
Le Premier ministre belge Charles Michel a demandé au parlement belge d’adopter des mesures similaires, ce qui permettrait à l’État de forcer quiconque sur sa liste de surveillance du terrorisme, actuellement quelque 800 personnes, à porter des bracelets de cheville. Michel a également proposé l’enregistrement obligatoire de tous les passagers embarquant sur des trains à grande vitesse ou des avions et l’extension des perquisitions sans mandat.
Le vote à l’Assemblée a eu lieu alors que se déroulait une répression massive et continue de la police en France et en Belgique. Sous l’autorité de l’état d’urgence décrété par Hollande, les pouvoirs français ont effectué 414 raids et 60 arrestations, dont seules certaines étaient liées aux attentats du 13 novembre. En Belgique, la police a organisé quelque 200 raids depuis ce jour, ce qui porte le nombre de raids à plus de 600 pour les deux pays.
Les autorités françaises ont confirmé jeudi que le chef présumé des attaques, Abdelhamid Abaaoud, était l’une des deux personnes tuées dans un raid policier et militaire massif pour lequel on a verrouillé Saint-Denis, au nord de Paris, mercredi.
Au cours du raid la police a tiré plus de 5.000 balles; le corps d’Abaaoud était tellement abîmé par l’explosion des grenades et d’autres projectiles qu’il a dû être identifié à travers l’analyse d’empreintes digitales. Une autre personne est morte dans le même raid.
La répression policière est allée de pair avec une escalade des missions françaises de combat en Syrie. Hollande a annoncé une « intensification » des frappes aériennes contre des cibles de l’État islamique à l’issue d’une réunion du Conseil de Défense. Jeudi, Peter de Villiers, chef d’état-major de l’armée a rencontré son homologue russe Valeri Guerassimov pour discuter d’une « coordination » des opérations militaires françaises et russes.
Les responsables français, qui ont bouclé les frontières du pays suite à l’attaque du 13 novembre, ont appelé les autres pays européens à adopter des mesures de répression similaires contre les réfugiés.
« Chaque pays frontalier de la France [doit] jouer pleinement son rôle, assumer ses responsabilités » a déclaré Manuel Valls jeudi.
Les gouvernements de toute l’Europe et d’Amérique du Nord se sont emparés des attentats de Paris pour promouvoir une nouvelle vague répressive contre les réfugiés et d’attaques xénophobes contre les musulmans. Jeudi, la Chambre américaine des représentants a adopté un projet de loi limitant considérablement l’admission de réfugiés aux États-Unis.
Mercredi, David A. Bowers, maire de Roanoke, en Virginie, a invoqué et approuvé l’internement des Américains d’origine japonaise dans des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale, suggérant qu’il fallait utiliser des mesures similaires aujourd’hui. Donald Trump, le favori pour l’investiture présidentielle républicaine, a déclaré jeudi qu’il n’excluait pas de forcer les musulmans à porter des documents d’identification indiquant leur religion.
(Article paru d'abord en anglais le 20 novembre 2015)