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Les pouvoirs européens veulent bombarder la Libye pour arrêter les migrants

Par Patrick Martin
12 mai 2015

L’Union européenne se prépare à bombarder des objectifs en Libye pour empêcher les migrants de tenter la traversée de la Méditerranée sur de petits bateaux. La coordinatrice de la politique étrangère de l’UE, Federica Mogherini, devait informer le Conseil de sécurité des Nations Unies lundi 11 mai d’un plan de résolution en vertu du Chapitre VII qui donnerait le feu vert de l’ONU pour un usage de la force.

Ce plan est le résultat de plusieurs semaines de consultations de haut niveau entre les 28 membres de l’UE, y compris une réunion des ministres des Affaires étrangères, tenue en réponse à une série de noyades en masse de réfugiés. La pire de ces tragédies a eu lieu le 19 avril, quand quelque 900 personnes se sont noyées lorsque leur petit bateau a chaviré après une collision avec un cargo.

L’épave de ce bateau de seulement 25 mètres de long a été retrouvée jeudi dernier par la marine italienne à une profondeur de 375 mètres, à 190 km au nord-est de la côte libyenne. De nombreux corps ont été vus dans ou près de l’épave, selon Giovanni Salvi, procureur de la ville sicilienne de Catane, qui interviewait les rescapés peu nombreux du naufrage.

Le plan de « bombardement des bateaux » n’est cependant pas motivé par le nombre de décès dus aux noyades, mais par le nombre plus important encore de réfugiés réussissant à atteindre l’île italienne de Lampedusa, au sud de la Sicile, ou qui ont été ramassés par des navires marchands ou par les garde- côtes et la marine italienne.

Dans une récente tragédie le 3 mai quarante migrants se sont noyés lorsque leur bateau pneumatique s’est dégonflé et a sombré avant qu’un navire marchand, qui naviguait dans l’autre sens, puisse les atteindre. Cent soixante passagers ont toutefois pu être secourus. Au cours du week-end dernier, 4.800 réfugiés ont été sauvés ou ont atteint Lampedusa, tandis que 2.000 autres ont été arrêtés par les garde-côtes libyens avant que leurs bateaux ne quittent le rivage.

L’intervention militaire de l’UE viserait à empêcher la grande majorité des réfugiés cherchant à traverser la Méditerranée actuellement de monter à bord d’un navire. En fait de prévention des noyades, elle ne ferait que garantir que des atrocités futures se produiraient le long des côtes ou dans les eaux territoriales libyennes plutôt qu’au milieu de la Méditerranée. Le bombardement de « précision » ne serait pas limité aux bateaux vides, mais frapperait les pêcheurs libyens voire les bateaux chargés de réfugiés.

Le commandement de l’opération sera confié à l’Italie, tandis qu’au moins 10 pays de l’UE, dont la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne, y contribueraient des moyens militaires. L’OTAN serait tenue informée des actions militaires, mais ne serait pas directement impliquée dans un premier temps.

Des navires de l’UE entreraient dans les eaux territoriales libyennes avec des avions et des hélicoptères de combat, afin d’identifier les bateaux pour ensuite aider à les « neutraliser » : c’est-à-dire les pulvériser. HMS Bulwark, un porte-hélicoptères, fleuron de la Royal Navy britannique, actuellement déployé à Malte, doit faire partie de cette armada.

Si l’une des factions belligérantes en Libye fait feu sur un navire ou un aéronef de l’UE – ce pays est composé de deux gouvernements et de plusieurs milices, dont beaucoup sont lourdement armées par la CIA, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar ou d’autres pays – alors, les forces de l’OTAN, y compris celles des États-Unis, pourraient participer aux opérations.

Cela se ferait en vertu de l’Article V de la Charte de l’OTAN. Il s’agit de la même disposition que celle invoquée par le président Obama lors de sa visite dans les États baltes l’année dernière et qui donne lieu à une action de l’ensemble de l’Alliance quand un des membres ou ses forces armées, sont attaqués.

L’ambassadeur de Libye à l’ONU, Ibrahim Dabbashi, a dit à l’Associated Press que l’UE n’a pas consulté son gouvernement qui a été chassé de la capitale Tripoli et s’est réinstallé dans la ville de Tobrouk, à l’est du pays. Ni le Parlement de Tobrouk, ni son rival dominé par les islamistes à Tripoli, n’ont accepté une entrée des forces de l’UE dans l’espace aérien libyen, les eaux territoriales, voire le territoire libyen.

On ne sait pas si le Conseil de sécurité des Nations Unies approuvera une mission militaire de l’UE en Libye sans une entité libyenne lui donnant son approbation. La Russie et la Chine, qui ont le droit de veto, ont publiquement suggéré qu’elles regrettaient ne pas avoir bloqué, en mars 2011, une résolution du Conseil de sécurité servant de base à la campagne de bombardements des États-Unis et de l’OTAN contre la Libye.

Le 7 mai, l’ambassadeur lituanien, Raimonda Murmokaite, l’actuel président du Conseil de sécurité a déclaré que le gouvernement basé à Tobrouk soutiendrait l’opération de l’UE, et en avait même fait la requête, mais Dabbashi a fait subir une douche froide à cette suggestion. « Ils ne nous ont jamais demandé quoi que ce soit. À quel motif devrions-nous leur avoir envoyé cette lettre? » a-t-il demandé, ajoutant : « Nous n’accepterons aucune présence militaire chez nous. »

L’ambassadeur de Libye a suggéré qu’à la place de forces militaires de l’UE, le Conseil de sécurité devrait lever son embargo sur les livraisons d’armes à la Libye et laisser le gouvernement de Tobrouk construire des forces militaires suffisantes pour reprendre Tripoli et la moitié ouest de la Libye d’où partent la plupart des bateaux de réfugiés vers l’Europe.

Le gouvernement de Tobrouk a nommé le général Khalifa Haftar commandant de l’armée libyenne. Ancien chef des forces armées libyennes ayant rompu avec Kadhafi dans les années 1980, Haftar a passé un quart de siècle à la solde de la CIA, vivant près de Langley, en Virginie, avant de retourner en Libye au cours de la campagne de bombardement des États-Unis et de l’OTAN.

Des fonctionnaires de l’UE ont présenté le plan consistant à bombarder les petits bateaux de pêche comme un effort pour attaquer de soi-disant passeurs plutôt que les migrants eux-mêmes. La résolution rédigée par la Grande-Bretagne parle de « l’utilisation de tous les moyens pour détruire le modèle d’affaires des trafiquants. »

Mais la véritable attitude des dirigeants de l'UE envers les réfugiés est démontrée par les conflits qui ont éclaté sur ce qu'il fallait faire du nombre relativement limité de réfugiés qui avaient réussi à atteindre le sol Européen -- quelques centaines de milliers de personnes sur un continent de 740 millions.

Tous les 28 membres de l’UE soutiennent l’intervention militaire. Il y a cependant de vives disputes sur les règles, en cours de rédaction par la Commission européenne, de fixation des quotas de réfugiés ayant survécu à la périlleuse traversée maritime pour chacun des pays de l’UE. L’Allemagne est la principale force derrière ces quotas qui ont été rejetés par la Grande-Bretagne et de nombreux pays d’Europe orientale, où les partis d’extrême droite attisent le racisme anti-immigré.

L’Allemagne et la Suède ont pris près de la moitié de toute la vague actuelle de réfugiés et veulent se décharger d’un grand nombre sur les autres États membres de l’UE.