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Arrestations en masse pour « apologie de terrorisme » en France

Par Ulrich Rippert
16 janvier 2015

En même temps qu’était publié mercredi la première édition de Charlie Hebdo depuis l’attentat terroriste de la semaine dernière, le ministre de l’Intérieur annonçait l’arrestation de 54 individus accusés d’« apologie de terrorisme. »

L’interpellation de l’humoriste français d'extrême-droite Dieudonné, quelques jours à peine après la manifestation de masse de Paris, prétendument organisée pour défendre la liberté d’expression, a été largement couverte par les médias.

Dieudonné avait écrit sur Facebook qu’il se sentait « Charlie Coulibaly », associant ainsi le slogan « Je suis Charlie » popularisé après les attaques terroristes, au nom du meurtrier présumé d’une policière à Montrouge et plus tard preneur d’otages dans une épicerie casher, qui fut tué vendredi dernier, quatre des otages trouvant également la mort. Le gouvernement avait auparavant interdit les spectacles de Dieudonné pour cause d’antisémitisme.

Les arrestations visaient souvent des jeunes ayant critiqué la campagne « Je suis Charlie » sur les réseaux sociaux. Un jeune homme fut arrêté mardi soir pour « apologie de terrorisme » et immédiatement incarcéré. L’homme de 22 ans avait posté une vidéo sur Facebook dans laquelle il aurait parlé de façon méprisante d’un policier ayant perdu la vie durant l’attaque terroriste.

Samedi dernier, un homme de 34 ans fut jugé en comparution immédiate et condamné à quatre ans de prison ferme. Il avait causé un accident de voiture en état d’ivresse, puis agressé un policier en lui lançant « il devrait y en avoir plus des Kouachi. J’espère que vous serez les prochains. »

Malgré l'hystérie publique entretenue autour de l'attentat terroriste contre Charlie Hebdo, il existe aussi une sourde hostilité de la part de larges couches de jeunes et de travailleurs à l'encontre des policiers et des militaires lourdement armés qui quadrillent les rues de France. L'atmosphère créée par les lois contre le voile et la burqa, par les guerres impérialistes au Moyen-Orient et par la montée du FN néo-fasciste est toxique et raciste.

Dans ces conditions, des éclats de colère dirigés contre la campagne hypocrite pour la « libre expression » déclenchée autour de Charlie Hebdo sont utilisés pour intensifier la terreur politique dirigée contre toute opposition au bilan réactionnaire du Parti socialiste. En dernière analyse, la cible visée par cette mobilisation policière et médiatique est le mécontentement profond dans toute la classe ouvrière envers le gouvernement Hollande.

Lundi, le ministre français de la Défense avait ordonné la mobilisation de 10.000 soldats dans les rues, prétextant le maintien de l’ordre et la protection des bâtiments publics. Le gouvernement a aussi mobilisé 4.700 policiers et gendarmes à Paris pour assurer la protection des « lieux sensibles ».

Mercredi, une semaine après l’attentat contre Charlie Hebdo, la filiale yéménite d’al Qaïda l’a revendiqué. « Des héros ont été recrutés et ils ont agi », a déclaré le dirigeant d’al Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), Nasser al-Anassi, dans une vidéo qui circule sur Internet. L’assassinat du personnel de la rédaction du journal satirique était selon lui la revanche pour la publication de caricatures insultantes envers le prophète Mahomet.

Le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung a écrit qu’Aqpa a pu revendiquer la responsabilité de cette attaque sans y avoir joué un rôle actif pour s’affirmer face à l’Etat islamique (EI).

Saïd Kouachi et son frère Chérif se seraient entraînés au maniement des armes au Yémen. Ils se seraient rendus au Yémen en 2011, via Oman, séjournant dans un camp d’al Qaïda près de Marib, à 150 km à l’Est de la capitale, Sanaa.

Le président yéménite, Abd Rabbo Mansour Hadi, s’est senti obligé de diffuser un communiqué déclarant que son pays n’exportait pas le terrorisme. Il a signalé un attentat-suicide devant l’école de police de Sanaa, perpétré quelques heures seulement avant l’attaque contre Charlie Hebdo. Trente-sept personnes y avaient trouvé la mort.

Tout indique que l'Etat exploite l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo pour préparer une intervention militaire accrue de la France au Moyen-Orient, une politique largement rejetée par l’opinion publique française.

Mercredi soir, le président François Hollande a pris la parole à bord du porte-avions Charles-de-Gaulle, déclarant, « nous disposerons d’informations précieuses, nous pourrons si nécessaire mener des opérations en Irak avec plus d’intensité et d’efficacité. » Il a souligné que le porte-avions travaillait en étroite collaboration avec les troupes au sol.

La France fut le premier pays à rejoindre les Etats-Unis dans l’attaque menée contre l’EI. L’opération française en Irak, baptisée « Chammal » mobilise 800 soldats, plusieurs avions de combat et un avion ravitailleur.

La publication mercredi de l’édition spéciale de huit pages de Charlie Hebdo s’est faite avec le soutien en grand de l’Etat et une gigantesque campagne médiatique. 3 millions d’exemplaires furent vendus en l’espace de quelques heures et le nombre de journaux imprimés fut porté à 5 millions. Le tirage habituel de la publication est de 60.000 exemplaires. Ce numéro fut traduit en 16 langues; 300.000 exemplaires furent destinés à l’exportation.

Libération a mis tout un étage de son immeuble à la disposition de la rédaction de Charlie Hebdo. Radio France et France Télévision ont offert un soutien logistique. Le gouvernement français a promis une aide financière de 1,2 million d’euros.

De plus, Google a fait un don de 250.000 euros et le groupe Guardian Media un don de 130.000 euros. Le Monde et Vivendi Universal Canal Plus, la plus grande entreprise médiatique privée française, entre autres, ont donné des sommes supplémentaires, d’un montant inconnu.

LObs a rapporté mercredi que Charlie Hebdo entretenait depuis quelque temps des liens étroits avec le gouvernement français. Ce journal écrit que fin septembre quatre membres influents de la rédaction ont rendu visite au président Hollande à l’Elysée y pour discuter des difficultés financières du magazine et réclamer un soutien. Ces visiteurs reçus à l’Elysée étaient les caricaturistes Stéphane Charbonnier et Jean Cabut ainsi que Bernard Maris et Patrick Pelloux, responsables des finances. Selon L'Obs, ils étaient tous heureux de constater que le président s’intéressait à leurs préoccupations.

La décision de publier une édition spéciale avec en couverture une caricature de Mahomet est une provocation délibérée soutenue par les plus hauts niveaux de l’Etat. Dans les pages intérieures, le journal a étalé d’autres caricatures vulgaires et obscènes, dont des femmes musulmanes à moitié nues et portant le voile.

Des responsables d’associations islamiques ont indiqué qu’il y aurait des conséquences. Selon le journal libanais Daily Star, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Marzieh Afkham, a dit que la couverture de Charlie Hebdo « pourrait provoquer et blesser les sentiments des musulmans dans le monde entier et aboutir à un cercle vicieux. »

(Article original paru le 15 janvier 2015)