Les puissances européennes mettent en oeuvre des mesures d’Etat policier après l’attentat contre Charlie Hebdo
Par Ulrich Rippert
15 janvier 2015
Dans toute l’Europe, les gouvernements ont réagi aux récents attentats de Paris en décidant de faire passer rapidement un train de mesures antidémocratiques. Ils profitent du choc et de la confusion suscités par ces événements pour prendre des mesures préparées de longue date et qui jusque-là s’étaient heurtés à la résistance de la population.
Immédiatement après les attaques, la présence policière aux aéroports, devant les ambassades, les bâtiments publics, les sièges des journaux et sur les places publiques a été renforcée au moyen de milliers d’agents supplémentaires des forces de sécurité dans les capitales et les grandes villes européennes.
Des soldats lourdement armés et en treillis ont été déployés partout dans Paris et ailleurs en France, y compris à la Tour Eiffel et sur toutes les places publiques. Certaines parties de la ville ressemblent à une zone de guerre.
Lundi, le ministère de la Défense à Paris a annoncé le déploiement de 10.000 soldats pour maintenir l’ordre et la sécurité et pour assurer la protection des bâtiments publics. De plus, le gouvernement a déployé 4.700 policiers et gendarmes pour assurer la protection des établissements scolaires et les synagogues jugés particulièrement vulnérables.
Suite à un conseil des ministres lundi, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a parlé d’une menace permanente. Le premier ministre Manuel Valls a promis plus de moyens financiers pour les services secrets et une surveillance plus efficace.
Lors du sommet sur la sécurité le week-end dernier à Bruxelles, les puissances européennes sont convenues qu’un système de données de passagers à l’échelle européenne serait adopté dès que possible. Les compagnies aériennes seront contraintes de conserver pendant cinq ans les données de leurs passagers. Le général américain et ancien directeur de la CIA, Michael Hayden, a également participé à cette réunion. Hayden est responsable de la mise en œuvre et de l’expansion d’une grande partie des programmes d’espionnage illégaux et anti-constitutionnels développés aux Etats-Unis.
Différents pays d’Europe prévoient leurs propres mesures. En Allemagne, la chancelière Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate, CDU) a appelé à une meilleure coopération entre les services de renseignement.
Le ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière (CDU) a souligné lundi qu’en Allemagne, l’une des plus importantes mesures était le déploiement de davantage d’agents de renseignement pour la surveillance des groupes fondamentalistes islamiques. A cet effet, le financement devrait être considérablement augmenté, a-t-il dit.
De Maizière et d’autres ont réclamé la réintroduction du stockage de données. En 2010, la Cour suprême avait déterminé que le stockage de masse durant plusieurs mois des données de communications téléphoniques, des courriels et des connexions Internet de tous les usagers sans aucune suspicion légitime, était juridiquement contestable.
L’année dernière, la Cour de Justice européenne a jugé qu’une telle surveillance et collecte de données personnelles étaient illégales. Elle a expliqué que le stockage de communications ne pouvait pas annuler le secret professionnel, y compris ceux des journalistes. Actuellement, au nom de la défense de la liberté de la presse, la classe dirigeante allemande insiste pour que ces mesures antidémocratiques soient rapidement appliquées.
Lundi encore, le ministre de la Justice Heiko Maas (Parti social-démocrate, SPD) a dit que les individus accusés de voyager dans le cadre d’activités terroristes seraient passibles de peines encore plus sévères. Jusque-là, ne pouvaient être punis que ceux qui participaient à des camps terroristes dans le but de préparer un attentat. A l’avenir, ce sera un délit criminel que de se rendre à l’étranger dans l’intention de participer à des attaques ou d’y suivre une formation pour devenir terroriste. Que la personne accusée arrive ou non au camp terroriste ne fera aucune différence.
Selon l’hebdomadaire politique allemand Die Zeit, le porte-parole pour les affaires intérieures, Burkhard Lischka (SPD) s’est plaint de ce qu’il y avait des cas dans lesquels quelqu’un avait fait connaître ses intentions dans une lettre ou sur un réseau social, mais n’avait pu être poursuivi. A l’avenir, ces individus pourront être détenus en Allemagne ou à l’étranger.
Le ministre de la Justice veut aussi créer une infraction pénale spécifique de financement du terrorisme. Des dons, petits ou grands, visant prétendument à soutenir des activités terroristes seraient alors punissables. Aux Etats-Unis, de telles lois sont largement appliquées et servent à cibler des groupes qui ne sont liés directement à aucune organisation islamique fondamentaliste.
Plus tard cette semaine, le gouvernement allemand examinera une loi prévoyant la confiscation des cartes d’identité d’« assaillants potentiels ». Il est d’ores et déjà possible, sous certaines conditions, de confisquer le passeport d’un suspect.
En Grande-Bretagne, le premier ministre David Cameron a annoncé vouloir augmenter drastiquement la surveillance Internet. Il souhaite interdire le cryptage et les applications de messageries chiffrées telles WhatsApp.
Cameron a dit qu’il ne devait pas y avoir de « moyen de communication » que « nous ne puissions lire. » Les gouvernements précédents ont hésité à prendre de telles mesures, a dit Cameron, mais elles sont nécessaires afin d’obtenir « in extremis » toute communication grâce à un mandat signé par le ministre de l’Intérieur. »
La « charte des fouineurs », comme ces propositions ont été appelées lorsqu’elles furent introduites pour la première fois, avait été bloquée au parlement en 2012. Elles obligeraient les entreprises de télécommunications à stocker pour douze mois l’ensemble des données de trafic. Toute personne qui transmet des messages codés ou des dossiers chiffrés devrait permettre aux responsables gouvernementaux d’accéder à cette information protégée par des méthodes cryptographiques. Ceux qui refusent de remettre leur mot de passe seraient passibles d’une peine de prison allant jusqu’à deux ans.
Le gouvernement italien sous le premier ministre Matteo Renzi (Parti démocratique, PD) a également annoncé une expansion significative des pouvoirs de l’Etat. Le ministre de l’Intérieur, Angelino Alfano, a annoncé vouloir soumettre une loi au conseil des ministres permettant à la police de confisquer le passeport de tout suspect de terrorisme.
Alfano veut conférer des pouvoirs extraordinaires à la police et aux autorités judiciaires qui permettront une surveillance accrue de l’Internet. Le gouvernement italien projette de fermer des sites Internet suspects. A l’avenir, il faudra que les fournisseurs de services Internet collaborent dans « la traque de messages sur les réseaux sociaux qui contribuent à la radicalisation, » a dit Alfano. Le gouvernement interdira aux fournisseurs « d’accepter des sites Internet incitant à avoir un comportement terroriste. »
L’objectif principal de cette offensive coordonnée de la part des puissances européennes n’est pas la lutte contre une présumée « menace islamiste ». Les élites dirigeantes transforment de plus en plus le continent en un Etat policier face à l’accroissement de l’opposition populaire à l’Union européenne et à sa politique. L’armée déployée dans les rues à Paris, le renforcement de l’appareil de renseignement et l’assaut contre les droits démocratiques, ont avant tout pour cible la résistance de la classe ouvrière européenne à l’austérité sur le plan intérieur et à la guerre sans fin sur le plan extérieur.
(Article original paru le 14 janvier 2015)