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Le président allemand se sert d’Auschwitz pour justifier le militarisme

Par Ulrich Rippert
31 janvier 2015

Le président allemand Joachim Gauck a prononcé un discours commémoratif au parlement mardi à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de la libération du camp de concentration d'Auschwitz par les troupes soviétiques. Le ton moralisateur de cet ancien homme d'église est-allemand était difficilement supportable. Mais pire encore était le cynisme avec lequel Gauck s'est servi du jour commémoratif de l'Holocauste pour légitimer le retour du militarisme allemand.

La promesse clé après Auschwitz, a dit Gauck, avait été « plus jamais ça », puis il a demandé, « mais que vaut-elle? » Il a cité le juriste juif allemand Thomas Buergenthal, qui, âgé de onze ans, avait de justesse survécu la marche vers la mort à Auschwitz, avant d'émigrer aux Etats-Unis et de travailler comme juge à la Cour internationale de Justice.

Il y a dix ans, à l'occasion du soixantième anniversaire de la libération du camp de concentration de Sachsenhausen, Buergenthal avait déclaré que l'expression « plus jamais ça » ne valait pas grand chose. « N'y a-t-il pas eu le génocide au Cambodge, au Rwanda et au Darfour? » a dit Gauck en citant Buergenthal, et il a ajouté, « n'y a-t-il pas eu Srebrenica et aujourd'hui la Syrie et l'Irak? »

« Même si ces crimes n’ont pas approché des dimensions du meurtre de masse national-socialiste » a continué Gauck, il était néanmoins terriblement décourageant quand, comme disait Buergenthal, « le génocide et les massacres de masse sont presque devenus de la routine », quand le monde déclare « jamais plus » mais « ferme les yeux devant le prochain génocide ».

Il y a un an, Gauck avait annoncé la fin de la retenue militaire allemande à la Conférence sur la Sécurité à Munich et avait posé la question, « Est-ce que nous, les Allemands, nous préoccupons si intensément de notre passé parce que nous cherchons des excuses pour rester en dehors des problèmes et des conflits dans le monde d’aujourd'hui? »

Mardi, il a posé la même question mais sous une forme différente: « Sommes-nous prêts et capables de pratiquer la prévention, pour que cela n'atteigne même pas le stade du meurtre de masse? » Sommes-nous en mesure d’arrêter ces crimes et de les punir? Est-ce que parfois le désir d'intervenir contre de tels crimes contre l'humanité ne manque-t-il pas? »

La démagogie de Gauck à l'appui de la guerre suit une logique bizarre, toujours la même. Comme aucun autre pays, l'Allemagne a vécu les crimes du fascisme et de l’Holocauste. Elle fut libérée par une intervention militaire externe. Elle a établi une démocratie stable dans les années d'après-guerre et doit maintenant réarmer son armée et intervenir militairement partout au nom des droits de l'homme.

Gauck se sert des terribles crimes passés de l'impérialisme allemand afin de préparer des crimes similaires à l'avenir. Ses sermons moralisateurs jouent un rôle important. Il parle de l'Holocauste de façon entièrement séparée de tout contexte politique ou historique, comme si le mal venait soudain à submerger des gens ordinaires. Ses arguments restent au niveau le plus bas et ne vont jamais au delà du dégoût moral vis-à-vis de la profondeur incompréhensible du mal.

Dans la période d'après-guerre, la population allemande n'avait pas voulu se confronter aux crimes de l'ère nazie, a dit Gauck, sans mentionner le fait que le gouvernement de Konrad Adenauer était rempli d'anciens nazis et que, à tous les niveaux de la société en Allemagne de l'Ouest, dans les entreprises, la politique, les médias, la justice et les universités, c’étaient des cliques nazies qui donnaient le ton.

Gauck a jeté le blâme sur les gens ordinaires. Bien qu’Hannah Arendt ait publié son livre sur la « banalité du mal » très tôt, a-t-il dit, ce n'est que plus tard que « la culpabilité du citoyen ordinaire qui s'était voué à un ‘führer’ criminel et avait refusé d'accepter la responsabilité pour les conséquences », a été examinée.

Il a fallu un certain temps pour que les Allemands admettent, a dit Gauck, « que c'était des hommes et des femmes entièrement normaux qui avaient perdu leur humanité, leur conscience et leur morale, souvent des gens du même quartier local, ou même des gens de la même famille ».

Gauck a répété de tels arguments afin de nier tout lien entre fascisme et capitalisme.

Pour que les nazis puissent mettre en œuvre leur antisémitisme meurtrier, toute une série de changements sociaux majeurs avaient été nécessaires. Le plus important a été la destruction du mouvement ouvrier organisé, qui avait, surtout en Allemagne, formé un rempart contre l'antisémitisme et la guerre, et le commencement de la guerre d'extermination contre

l’Union soviétique.

Dans le temps, il était bien connu chez les gens politiquement éduqués et avec une conscience de classe que la montée du fascisme européen après la Première Guerre mondiale était une réponse de l'ordre capitaliste au danger révolutionnaire du mouvement de masse ouvrier socialiste qui le menaçait.

Mussolini en Italie, Hitler en Allemagne et Franco en Espagne ont mobilisé une classe moyenne enragée contre le mouvement ouvrier socialiste. Pour ce faire, l'antisémitisme s'est avéré un moyen efficace, tout comme l'agitation contre les musulmans aujourd'hui.

Avec l'approfondissement des tensions sociales, en particulier après le crash de la bourse en 1929, le soutien pour le fascisme a grandi dans l'élite dominante. Hitler n'a pas été obligé de saisir le pouvoir par la violence – il lui a été donné par les niveaux les plus hauts de l'Etat, de

l'entreprise et de l'armée en janvier 1933. Deux mois plus tard, tous les partis bourgeois ont voté pour une loi qui donnait à Hitler des pouvoirs d'urgence. Le Parti communiste (KPD), le Parti social-démocrate (SPD) et les syndicats ont été détruits.

Par opposition au discours méprisant de Gauck sur « l'homme ordinaire », c'est un fait historique que le mouvement ouvrier des années trente s'est opposé à la montée d’Hitler. Ceci n'est pas changé par le fait que les dirigeants du KPD, du SPD et des syndicats aient échoué totalement, ont démobilisé la classe ouvrière avec une politique fausse et ont ainsi facilité la prise du pouvoir par Hitler sans qu'un mouvement de masse s'y oppose.

En dernière analyse, l’Holocauste fut le prix que la population juive et l'humanité entière ont payé pour le fait que la classe ouvrière n'a pas renversé le capitalisme.

Mais même après que les nazis ont fermement détenu le pouvoir, ils n'ont pas pu imposer leurs plans meurtriers sans entrave. Pour cela, il a fallu la guerre mondiale. L'extermination des Juifs a fusionné avec la guerre d'extermination à l'Est, qui envisageait l'élimination physique de la direction politique et intellectuelle de l'Union soviétique afin d’assurer une domination allemande pendant des siècles. L'assassinat à sang froid de six millions de Juifs fut la culmination d'une campagne d'extermination dans laquelle des millions de communistes, partisans, intellectuels et gens ordinaires ont été tués en Pologne, dans toute l'Europe orientale et en Union soviétique.

Avec son offensive contre la Russie en Ukraine, où il collabore avec d'anciens alliés des nazis, l'impérialisme allemand prend la même direction aujourd'hui. C'est vrai aussi par rapport au Moyen-Orient et à l'Afrique, où Berlin soutient des guerres de plus en plus ouvertement criminelles sous prétexte d'intervention humanitaire. La tentative cynique de Gauck de justifier le retour de l'impérialisme allemand avec le slogan « jamais plus Auschwitz » doit être rejeté énergiquement.

(Article original publié le 30 janvier 2015)