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Irlande: des milliers de personnes manifestent contre la redevance sur l’eau

Par nos reporters
6 février 2015

Une manifestation contre les plans de la coalition de Fine Gael et du Parti travailliste pour introduire une redevance sur l’eau a réuni samedi 20 000 personnes à Dublin, selon ses organisateurs. Des milliers de personnes ont également manifesté dans d’autres villes irlandaises dont Cork, Donegal, Galway, Letterkenny, Limerick, Sligo et Waterford.

La redevance sur l'eau courante a été adoptée par le gouvernement de Dublin dans le cadre du programme de renflouement à hauteur de dizaines de milliards d'euros conclu avec la troïka (Fonds monétaire international, Union européenne et Banque centrale européenne) en 2010. Elle n’est que la dernière attaque en date d’une campagne acharnée pour faire payer aux travailleurs la crise économique déclenchée par l'effondrement du système bancaire irlandais en 2008. Depuis que le plan de renflouement a été mis en place, tous les principaux partis politiques ont soutenu des mesures d’austérité dévastatrices qui ont entraîné la perte de milliers d’emplois dans les secteurs public et privé, des baisses de salaires de 20 pourcent et plus, des milliards en coupes budgétaires dans les services essentiels, et des hausses d'impôts.

En conséquence, Fine Gael et le Parti travailliste, tout comme le principal parti d'opposition Fianna Fail, ne sont plus soutenus que par moins de la moitié des électeurs. Sinn Fein obtient environ 20 pour cent des voix et les « indépendants » -- de petits partis ou encore des hommes politiques locaux généralement sortis des grands partis – ont autour de 30 pour cent.

Malgré l’ampleur de l’opposition à l'austérité et de la désaffection politique, la manifestation de samedi était beaucoup plus petite que les 80 à 100 000 personnes qui manifestaient encore en décembre dernier contre la redevance sur l’eau à Dublin. Elle a été organisée par des groupes disparates, comme le groupe « Dublin Dit Non » – fondé en février l’an dernier et le Mouvement populaire pour le changement. Derrière les titres ronflants et l’insistance sur le « pas de politique » on trouve des individus qui adhérent à une politique anarchiste, républicaine, écologiste ou autre.

Ils cherchent à exploiter non seulement l’hostilité envers les grands partis, mais aussi la frustration et la colère vis-à-vis de groupes tels que Right2Water (Le droit à l’eau) ou l’Alliance anti-austérité et de la véritable direction de la contestation jusqu'à présent, les partis de la pseudo-gauche comme le Socialist Party (SP) et le Socialist Workers Party (SWP). Ces groupes s’opposent à ce que les manifestations deviennent le point de départ d’une lutte politique contre le capitalisme basée sur une politique socialiste. Ils parlent au contraire de « pouvoir populaire », slogan derrière lequel ils cherchent des alliances avec divers bureaucrates syndicaux et des parlementaires ‘indépendants’« de gauche » ou pas tant de gauche que ça. Ceci a eu pour effet de démobiliser l’opposition et a livré les travailleurs à divers charlatans politiques qui ont fait en sorte que la manifestation de samedi reste assez petite, désorganisée et sans direction politique.

Il y a eu beaucoup de colère au sujet des évènements de cette journée. La réaction d’Eric était typique. Il a expliqué, « J’ai assisté à toutes les manifestations contre les redevances sur l’eau. Mais celle-ci est jusqu’ici la pire. Personne ne sait où aller ou ce qui se passe. Certains se dirigent vers le bureau de poste principal, d’autres vers le parlement de Leinster House, ou vers l’agence pour l’emploi. Je veux que les organisateurs expliquent comment ils ont pu organiser une telle pagaille.

« Maintenant les politiciens peuvent se payer le luxe de dire, c’était une manif insignifiante, le mouvement s’enlise. Mais les gens ne cèdent pas. Ils veulent se battre, » ajouta Eric.

Des dirigeants du SP et du SWP étaient sur place et ont insisté pour dire que « le pouvoir populaire » serait en mesure de vaincre la redevance grâce à une campagne militante de non-paiement des factures quand elles arriveraient dans les boîtes aux lettres au mois d’avril. La perspective de faire pression sur le gouvernement pour qu’il change de cap n’est qu’une répétition de la politique avancée par ces mêmes partis lors de campagnes de protestation précédentes, telles les manifestations contre la taxe sur les ménages et la taxe d’habitation. L’absence d’une perspective politique pour diriger cette opposition de masse a permis au gouvernement d’imposer ces deux mesures profondément impopulaires.

Eoin et sa famille

Eoin, un informaticien de la campagne « Clonmel dit non » a expliqué pourquoi il s’était rendu à la manifestation de Dublin avec sa famille. « La réalité de l’Irlande moderne, c’est une société à deux vitesses. Je suis censé avoir une semaine de 40 heures mais la plupart du temps ma semaine est bien plus longue. J’ai commencé à m’engager dans la contestation contre l’austérité avec l’école de mes garçons. Ils ont été placés dans un bâtiment condamné où on avait même interdit aux agents techniques de la mairie de travailler. Puis, je me suis associé aux gens de Clonmel engagés dans la lutte pour les sans-abris et contre les expulsions.

« On aurait dû laisser les banques faire faillite. Cela aurait été une perte privée. Cela s’est déjà produit par le passé et cette fois la banque Anglo-Irish aurait dû y passer. Nous devons retirer le pouvoir exercé par les grandes entreprises sur la politique, utiliser leur revenu et donner le pouvoir au peuple. Les trois choses absentes de chaque direction d’entreprise en Irlande ce sont, la responsabilité, la transparence et la disposition à rendre des comptes. Je crois que les indépendants ont fait du bon travail lorsqu’ils ont révélé cela et obtenu une enquête comme celle impliquant le policier McCabe [un lanceur d’alerte contre la corruption].

« C’est la première fois que j’entends parler du groupe de l’Egalité socialiste. Il faudrait le promouvoir par tous les moyens. Nous devons soutenir ceux qui défendent le bien public, les gens ordinaires. »

Oisin, un étudiant en histoire moderne a dit, « C’est bien que vous teniez une réunion au sujet de Trotsky. Il fut l’un des grands révolutionnaires de l’histoire et nous avons besoin de quelqu’un comme lui maintenant. C’est évident que le capitalisme n’a rien à offrir aux gens aujourd’hui et que les vielles structures et paradigmes politiques se désagrègent ».

« Il y a de nombreux indépendants à qui je ne fais pas confiance. Certains ont quitté le navire des vieux partis moribonds mais ils n’ont pas vraiment changé de point de vue. Il y a quelques gens de gauche, mais il me semble qu’ils sont de plus en plus absorbés par le système. Ils parlent de pouvoir populaire. Mais le vrai pouvoir du peuple est une révolution et je pense que beaucoup de gens en ont assez marre pour la faire.

Oisin et Barbara

Barbara a dit, « Le paysage politique a changé. L’Irlande a toujours un système social relativement protégé, mais maintenant on est en train de le faire reculer comme c’est le cas dans tous les pays occidentaux. La Grèce avait beaucoup plus à perdre et c’est pourquoi ils ont pris un autre chemin avec Syriza. »

« Ce dont les gens ont peur c’est qu’on commence à vendre les services publics. Ils savent qu’une fois l’eau partie, ce sera le tour de la santé publique à être complètement privatisée. Alors, tout cela va filtrer vers le bas. Les réductions budgétaires sont sans fin et c’est la raison pour laquelle les gens cherchent une alternative plus qu’ils ne l’ont fait il y a deux ou trois ans ».

« Mon opinion est que nous ne devons pas seulement nous soucier de l’eau; il faut avoir une vue plus globale de la justice sociale. Ce n’est pas juste une question d’eau, il s’agit d’égalité. Il s’agit de pauvreté. Il s’agit des sans-abri. Ici, c’est ‘Irlande, Société anonyme’. Ce n’est plus un pays qui représente le peuple ».

Oisin dit encore, « Pour le moment, je suis coincé dans le système éducatif irlandais, alors j’en sais autant sur la politique que sur l’éducation élémentaire, c’est-à-dire quasiment rien. Mais je pense que la seule façon de faire est de quitter le navire et d’annuler la dette, comme les grecs le disent. C’est le gouvernement et les politiciens qui ont emprunté l’argent, à l’insu du peuple. Le peuple irlandais va se réveiller et comprendre que le gouvernement commence par des coupes budgétaires de 10 pourcent pour ensuite couper à 100 pour cent. Et nous devrons nous battre ».

(Article original publié le 2 février 2015)