Le parti allemand Die Linke s’affirme comme parti de guerre
Par Ulrich Rippert
18 octobre 2014
L’un des changements politiques les plus significatifs en Allemagne est l’intégration de Die Linke (La Gauche) dans la campagne de guerre du gouvernement.
Lorsque le président allemand Gauck et la direction de la coalition gouvernementale ont annoncé le retour à une politique de grande puissance au début de cette année, le parti Die Linke était déjà impliqué dans ce tournant de la politique étrangère.
Le représentant de ce parti au Comité parlementaire des Affaires étrangères, Stefan Liebich, fut parmi les cinquante politiciens de premier plan, journalistes, universitaires et représentants influents de l’armée et du patronat à avoir participé à l’élaboration du document de stratégie « Nouveau pouvoir, nouvelle responsabilité » sous la conduite de la fondation Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP, Institut allemand pour les affaires internationales) et du laboratoire d’idées German Marshall Fund (GMF) sis à Washington.
Depuis lors, le parti soutient de plus en plus ouvertement la politique agressive du gouvernement. En avril, plusieurs députés de Die Linke avaient voté pour la première fois, au nom du désarmement et de la paix, en faveur d’une intervention de l’armée allemande en Syrie. Durant l’été, Gregor Gysi, fut l’un des premiers politiciens allemands à exiger la fourniture d’armes aux Kurdes et réclama une intervention massive des troupes de l’ONU. Ulla Jelpke, la porte-parole de la tendance Anti-Kapitalistische Linke (AKL, Gauche anticapitaliste), a attaqué le gouvernement sur sa droite lors d’une séance parlementaire consacrée à la fourniture d’armes allemandes à l’Irak, disant, « Nous demandons en fait bien plus pour l’Irak et la Syrie qu’il n’a été décidé ici. »
La semaine passée, quatorze politiciens influents du parti Die Linke ont publié une déclaration intitulée « Sauver Kobané » qui appelait à une importante intervention militaire contre l’Etat islamique en Irak et au Levant (EI). Douze membres du groupe parlementaire de Die Linke, dont le vice-président du groupe, Dietmar Bartsch, Jan Korte, la vice-présidente du parlement Petra Pau, et bien sûr, Stefan Liebich, figuraient parmi les signataires.
S’appuyant sur des articles des médias relatant des atrocités commises par l’EI, Die Linke a battu tambour pour la guerre. Elle utilise le sort de la minorité kurde comme prétexte d’un soutient à une politique de guerre impérialiste.
L’une des fédérations locales de Die Linke à Berlin a recueilli des signatures sur un site internet afin de soutenir la fourniture d’armes et une aide militaire aux groupes kurdes en Irak et en Syrie. On peut y lire que « la guerre contre l’EI » n’est que le début et qu’il n’existe jusque-là « pas de scénario convaincant » montrant comment repousser les djihadistes et leur faire échec sans recourir à la violence militaire et à l’aide de l’Occident.
Plus loin il est mentionné, « Nous savons tous le rôle que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont joué au cours de ces dix dernières années en Irak. Mais, nous prenons acte de ce que, face à la situation concrète que pose la menace de l’EI, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et les autres pays au sein de la coalition anti-EI font quelque chose de juste : aider les Kurdes et la population irakienne… [N]ous pensons également qu’il est juste de combattre l’EI dans les airs et sur la terre. »
Ne laissant aucun doute sur le fait qu’ils soutiennent la politique gouvernementale, les auteurs de l’« Appel des 200 » de Die Linke ont de plus écrit, « C’est pour ces raisons que nous estimons qu’il est juste que le gouvernement CDU/SPD décide de fournir des armes aux Kurdes. »
Face à une opposition persistante au sein de la population à un retour du militarisme allemand et à une politique de grande puissance, le parti Die Linke accomplit une tâche très spécifique. Die Linke cherche à camoufler le retour au militarisme allemand grâce à un discours sur la paix, la démocratie et les droits humains tout en réprimant toute opposition. Les tendances soi-disant de gauche, telles Marx21 et SAV jouent, ce faisant, un rôle important. Ces groupes sont les promoteurs les plus agressifs de l’impérialisme humanitaire. Ils fournissent les arguments grâce auxquels l’élite dirigeante masque et légitime idéologiquement sa politique de guerre.
Christine Buchholz joue un rôle tout particulièrement odieux et démagogique. En tant que membre de Marx21, elle siège depuis cinq ans pour Die Linke à la Commission du parlement allemand sur la Défense et est donc parfaitement bien informée des plans de guerre de l’impérialisme allemand. En février, elle s’était envolée, en compagnie de la ministre de la Défense, Ursula von der Leyen (CDU), à bord d’un avion militaire à destination d’une région d’Afrique où l’armée allemande est engagée dans une mission. Elle devait relater plus tard avec enthousiasme les discussions qu’elle avait eues avec les stratèges et les gradés de l’armée.
Le week-end dernier, Buchholz a publié une déclaration appelant au soutien des forces de défense populaires kurdes dans la ville syrienne de Kobané, près de la frontière turque. Elle a demandé au gouvernement allemand de lever son interdiction du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et d’appuyer la résistance du PKK contre l’EI.
Parallèlement, elle a critiqué les frappes aériennes américaines comme étant non ciblées et contre-productives. Elle écrit, « Les frappes américaines ont politiquement renforcé l’EI. La raison en est que nombre de Syriens qui vivent dans les zones libérées du régime Assad, se sentent menacés par elles. Cette évolution menace de détruire le reste de la révolution qui avait débuté en 2011 contre le régime Assad. »
En d’autres termes, Buchholz exige la poursuite de la lutte contre le régime Assad. Elle décrit le combat mené par les forces mandataires impérialistes contre le régime à Damas comme une « révolution » bien que le groupe terroriste de l’Etat islamique qui est sorti de ces forces ait été armé et financé par les Etats-Unis et leurs alliés de la région du Golfe.
Buchholz continue ainsi la politique réactionnaire que Marx21 et Die Linke poursuivent depuis quelques années en Syrie. Il y a deux ans, ils avaient joué un rôle décisif dans la construction d’une soi-disant « résistance syrienne » et la mise en place de réseaux reliant divers groupes d’opposition. Ils ont soutenu et fait l’éloge de l’alliance d’opposition « Adopter une révolution » (Adopt a Revolution, AaR) en cherchant à dissimuler le caractère pro-impérialiste de ce mouvement.
Mais, en réalité, Adopt a Revolution a servi à soutenir l’opposition syrienne et, tout comme le Conseil national syrien et le Comité de coordination national pour le changement démocratique (NCC), était étroitement lié à l’Armée syrienne libre (ASL) qui avait appuyé une intervention de l’OTAN en Syrie. Ce mouvement d’opposition pro-impérialiste a permis au groupe terroriste al Qaïda d’étendre ses activités à la Syrie et d’établir l’Etat islamique en Irak et au Levant. La politique de Die Linke et de Marx21 est dans une bonne mesure responsable de la situation actuelle et de la terreur de l’EI.
La tentative actuelle de poursuivre les intérêts impérialistes en alliance avec le Parti des travailleurs du Kurdistan ne vaut pas mieux. Die Linke essaye une fois de plus de présenter la résistance kurde comme un mouvement démocratique populaire. Le combat du PKK et celui mené par les forces de défense populaires kurdes syriennes est « devenu un phare pour les opprimés de la région entière, » écrit Buchholz.
En début de semaine, Volker Kauder, le président du groupe CDU au Bundestag, a montré ce qu’il fallait penser de cela. Dans une interview accordée au magazine allemand Der Spiegel, ce proche de la chancelière Merkel a salué la détermination de lutter du PKK en suggérant que la livraison d’armes allemandes aux combattants du PKK devrait être envisagée.
Alors que le gouvernement allemand cherche des moyens de renforcer son influence en Syrie et au Moyen-Orient, Die Linke joue un rôle de pionnier, dissimulant les intérêts impérialistes derrière un barrage de formules pseudo-démocratiques sur la libération du peuple et l’autodétermination nationale.
La formation de mini-Etats sur une base ethnique n’a rien à voir avec la « libération du peuple » mais résulterait en une balkanisation du Moyen-Orient, permettant aux puissances impérialistes de monter les divers groupes nationaux les uns contre les autres dans le but d’intensifier l’exploitation de la région.
Les intérêts de la population ne peuvent être représentés ou défendus sur une base nationaliste par la division et une soi-disant indépendance. Dans une région comme le Moyen-Orient précisément, où de nombreux groupes ethniques et religieux vivent en étroite communauté, une telle politique aboutit inévitablement à des massacres et au nettoyage ethnique. A la place de divisions nationales, il faut l’unification de la classe ouvrière sur la base d’un programme internationaliste et socialiste.
(Article original paru le 17 octobre 2014)