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Le président allemand Gauck en visite en Grèce

Par Christoph Dreier
12 mars 2014

Le président allemand Joachim Gauck a effectué la semaine dernière une visite d’Etat de trois jours en Grèce. Le voyage servait à renforcer le gouvernement grec dans ses attaques contre les droits et les acquis sociaux de la population laborieuse. L’ancien pasteur anticommuniste d’Allemagne de l’Est a exposé toute la malhonnêteté et toute l’hypocrisie qui sont devenues sa marque de fabrique politique.

Il s’est dit très préoccupé d’avoir eu à entendre « ce que tant de Grecs ont enduré durant ces sept années de crise et à quel point souffraient le plus ceux qui ne l’avaient pas occasionnée. » Dans le même souffle, il a déclaré que les mesures d’austérité qui sont en grande partie dictées par l’Allemagne étaient dures mais nécessaires et que le cap engagé devait donc être maintenu.

A la fin du voyage, dans le village de Lingiades, qui fut le théâtre de nombreux crimes de guerre perpétrés par l’armée allemande durant la deuxième Guerre mondiale, il versa des larmes de crocodile et demanda pardon aux Grecs, tout en rejetant les appels d’accorder des réparations de guerre aux victimes.

Les circonstances extérieures du voyage de Gauck rappellent les visites d’Etat effectuées dans des Etats totalitaires. Comme ce fut le cas lors de la visite du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble en juin dernier, de vastes zones du centre-ville d’Athènes avaient été bouclées et une interdiction générale de manifester imposée. Lorsque quelque 500 personnes s’approchèrent de la zone d’exclusion pour protester contre les licenciements de masse, elles furent agressées par la police armée de matraques et de gaz lacrymogène.

Gauck remercia plus tard indirectement le gouvernement d’Athènes pour sa répression de toute expression d’une opinion démocratique. Il a aussi fait l’éloge du gouvernement pour avoir empêché le « chaos et l’anarchie » aussi dans des « situations critiques. » Il a aussi expressément remercié les syndicats de ne pas avoir utilisé leur « pouvoir de blocage » et dit qu’ils avaient ainsi servi la Grèce.

Dans le même temps, Gauck a à plusieurs reprises mentionné dans son discours le besoin de « réformes douloureuses », refusant de les décrire comme un « dictat émanant d’intervenants extérieurs. » Lors d’une discussion avec le dirigeant de l’opposition, Alexis Tsipras, il a déclaré que les mesures de réforme n’étaient pas un programme d’austérité mais un programme d’aide.

Il s’agit en fait d’un programme d’aide pour les banques et les créanciers du pays. Ces derniers ont été indemnisés pour leurs investissements toxiques tandis que l’Etat grec a éclaté, que les acquis sociaux de la classe ouvrière ont été détruits et que de vastes sections de la population ont été ruinées.

Les salaires ont chuté en moyenne de 40 pour cent au cours de ces quatre dernières années. Des centaines de milliers d’emplois ont été détruits et le système éducatif et de santé a été anéanti. Avec un taux de 28 pour cent, le chômage bat un nouveau record. Sur plus d’un million de chômeurs inscrits, seuls 16,4 pour cent perçoivent une aide de l’Etat et ont accès à des soins de santé.

En conséquence, chaque nouveau licenciement ou nouvelle réduction des dépenses est une question de vie ou de mort. Le ministre de la Santé Adonis Georgiades avait déclaré fin février que les malades en situation d’urgence continueraient d’être traités gratuitement. Cependant, selon le ministre de la Santé, qui était précédemment membre du parti d’extrême-droite Laos, « des maladies comme le cancer ne sont urgentes qu’en phase finale. »

Gauck n’a pas seulement défendu ces mesures, il a appelé à leur mise en application dans toute l’Europe. Le gouvernement grec est à cette heure en train de négocier de nouvelles coupes avec l’Union européenne. Selon certains rapports, les représentants de l’UE exigent, d’ici la fin du mois, le licenciement de 4.000 fonctionnaires, l’assouplissement de la protection contre les licenciements dans le secteur privé et la réduction des salaires dans le secteur public.

Dans un entretien accordé au quotidien Kathemerini, Gauck a annoncé que « les réformes douloureuses pour relancer l’économie et l’emploi, » appliquées en Allemagne comme partie intégrante du programme de réformes de l’Agenda 2010, devaient être étendues à toute l’Europe. « Bien qu’il n’existe pas d’avant-projet, » a dit le président allemand, « nous transmettrons, partout où nous le pourrons, l’enrichissante expérience allemande, nous apporterons volontiers notre aide. »

Gauck a associé son appel au pillage des travailleurs européens à une résurgence du militarisme allemand. A cette fin, il s’est servi d’une façon répugnante des victimes du régime nazi.

Vendredi, Gauck s’était rendu à Ioannina, une localité dans le nord-ouest de la Grèce et située près du village de Lingiades où, en octobre 1943, l’armée allemande avait commis un terrible crime de guerre.

Suite à la mort, aux mains de partisans grecs, d’un officier de la tristement célèbre 1ère division de montagne ‘Edelweiss’ de la Wehrmacht, le général Hubert Lanz avait ordonné en guise de représailles l’extermination de la population entière du village. Les soldats de la Wehrmacht avaient entassé les villageois dans des caves, les avaient fusillés et finalement mis le feu aux bâtiments. 82 personnes moururent, en premier lieu des femmes et des enfants. Le plus jeune avait deux mois. Lanz fut condamné pour crimes de guerre à Nuremberg mais ne passa que quatre ans en prison avant de devenir expert pour les questions militaires du Parti libéral démocrate (FDP) et président d’honneur des Troupes alpines.

Les soldats allemands ont organisé la déportation à Auschwitz de 1.725 Juifs d’Ioannina et des environs, dont un dixième seulement survécurent les camps de concentration.

A Lingiades, Gauck prononça un discours et déposa une couronne au monument aux morts dédié au villageois. L’Allemagne était doublement coupable, a dit Gauck, parce que les auteurs n’avaient pas demandé pardon pendant longtemps. C’est ce qu’il voulait faire en leur nom.

L’hypocrisie de ces paroles est dure à avaler. Rien que la veille, Gauck avait catégoriquement affirmé qu’aucun droit à l’indemnisation des victimes ne saurait découler de la culpabilité morale de l’Allemagne.

Lorsque le président grec Carolos Papoulias, qui avait combattu à l’âge de 14 ans les occupants allemands, avait déclaré jeudi lors d’une conférence de presse conjointe, que la Grèce n’avait jamais renoncé au versement de réparations, Gauck avait répondu, « Vous savez que je ne peux répondre qu’en disant que le processus juridique est achevé. »

Parmi les revendications grecques figure un prêt imposé en 1942 par les occupants à l’Etat grec et obtenu au moyen du chantage. Même le Troisième Reich avait reconnu ce prêt comme une dette officielle s’élevant à près de 500 millions de Reichsmark. Mais la République fédérale l’avait déclaré nul et non avenu et est aujourd’hui d’avis que toutes les revendications grecques ont été satisfaites lors de l’accord de 1960 relatif aux réparations dans leur ensemble. A l’époque, l’Allemagne avait viré à Athènes la somme dérisoire de 115 millions de marks. Le gouvernement allemand dit également que le renflouement reçu par la Grèce en tant que membre de l’UE a rendu obsolètes toutes les demandes de réparation.

Gauck a fait de la visite de monuments commémoratifs des crimes nazis une composante centrale de ses voyages à l’étranger. Avant Lingiades, il s’était rendu à Oradour sur Glane en France, à Lidice en République tchèque et à Sant’Anna di Stazzama en Italie. Ce faisant, il a systématiquement utilisé les terribles crimes des nazis pour justifier la résurgence du militarisme allemand.

Alors que le ministre Vert des Affaires étrangères, Joschka Fischer, avait jadis justifié la participation allemande à la guerre contre la Serbie en se référant à la responsabilité de l’Allemagne face à Auschwitz, Gauck légitime lui, chaque intervention militaire allemande, ainsi que l’actuelle collaboration du gouvernement allemand avec les fascistes en Ukraine, par la nécessité d’éviter de prétendus crimes.

« Nous ne devons jamais croire, » a dit Gauck il y a deux semaines lors d’une interview avec Deutsche Welle, « qu’après que la brutalité allemande, la criminalité allemande et les actes meurtriers de l’Allemagne ont été vaincus, le danger ait disparu. Ce n’est pas du tout le cas. Et nous avons constaté qu’en Europe et à Srebrenica, le simple fait de parler ne suffit parfois pas. Et au Rwanda, nous avons vu ce qui s’est passé lorsque nous n’intervenons pas. »

L’Allemagne ne pouvait plus se servir des crimes des nazis comme « justification » d’une retenue en matière d’intervention militaire, a dit Gauck.

Lors de la même interview, Gauck avait explicitement justifié l’intervention en Ukraine, où le gouvernement allemand a étroitement collaboré avec le parti fasciste Svoboda qui se fonde sur le collaborateur antisémite et nazi, Stépan Bandera, et jouit de liens étroits avec le Parti national démocrate (NPD) fasciste allemand. « En tant que force la plus puissante en Europe », l’Allemagne ne pouvait pas se permettre de « se retenir de manière bienséante », a déclaré le président. « Il n’y a pas de raisons concrètes qui pourraient être avancées contre notre intervention. »

(Article original paru le 11 mars 2014)