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Egypte : vague de grèves des travailleurs du textile

Par Johannes Stern
24 février 2014

Mettant au défi la junte militaire, qui est soutenue par les Etats-Unis, des dizaines de milliers de travailleurs du textile sont en grève en Egypte pour obtenir des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail.

Jeudi 20 février, Ahram Online a rapporté que 20.000 travailleurs de la plus grande usine de textile de Mahalla, ville du delta du Nil, ont refusé de mettre fin à leur grève après l’annonce du ministre de l’Investissement Osama Saleh que les revendications des grévistes avaient été satisfaites et que la grève était terminée.

« Est-ce que cela a l’air d’une journée de travail ? » aurait dit l’un des grévistes. Un autre travailleur a dénoncé la déclaration de Saleh en faisant remarquer : « Le présent papier ne correspond pas à nos revendications et ne nous accorde aucun de nos droits. »

Les travailleurs sont en grève depuis le 10 février pour exiger que la junte militaire verse un salaire minimum promis de 1.200 livres égyptiennes (172 dollars US) ainsi que les primes dividendes impayées depuis deux mois. Ils exigent aussi la démission de Fouad Abdel Alim, le chef de la Holding du tissage et de la filature qui supervise toutes les entreprises publiques du secteur du textile en Egypte, ainsi que le licenciement d’Abdel Fattah Al-Zoghba, le commissaire de la société.

Abdel Alim et Al-Zoghba incarnent la corruption et la criminalité de l’élite dirigeante égyptienne. Vendredi, lors d’une apparition à la télévision, Al-Zoghba avait affirmé que les travailleurs à Mahalla gagnaient 30.000 livres égyptiennes (4.300 dollars US) par an. En réalité, des milliers de travailleurs ne gagnent que 500 livres par mois (72 dollars US) et n’ont pas perçu l’augmentation du salaire minimum pour les travailleurs du secteur public, comme promis à partir de janvier.

La couverture médiatique de la grève donne une idée de l’humeur qui règne parmi les ouvriers. Mohamed Fathy a été cité par le Daily News Egypt pour avoir dit, « Nous sommes préoccupés par les déclarations faites aux médias par le commissaire et le président à propos de notre grève. Ils nous accusent de sabotage et de soutenir les Frères musulmans, rien ne saurait être plus éloigné de la vérité. »

Les accusations portées par la junte et ses partisans selon lesquelles les travailleurs sont des adhérents des Frères musulmans (FM) montrent que l’objectif ultime du coup d’Etat militaire du 3 juillet contre le président islamiste Mohamed Morsi et la répression qui s’en est suivie contre les FM était la classe ouvrière, la force motrice de la révolution égyptienne.

Les organisations libérales et de « gauche » de la riche classe moyenne en Egypte qui avait aidé à canaliser les protestations de masse de la classe ouvrière contre Morsi derrière le coup d’Etat militaire, jouent à présent un rôle actif dans la répression de la classe ouvrière.

Kamal Abu Eita, un dirigeant syndical « indépendant » et un héros de longue date des Socialistes révolutionnaires (SR) pseudo-gauches a rejoint la junte militaire en tant que ministre de la Main-d’œuvre. Il a à maintes reprises attaqué les grévistes pour être des partisans des FM et approuvé leur dispersion brutale.

Actuellement, Eita collabore étroitement avec le syndicat local de l’usine afin de mettre un terme à la grève. Le syndicat est contrôlé par la Fédération syndicale égyptienne (ETUF) qui est tristement célèbre pour travailler main dans la main avec le gouvernement contre les intérêts des travailleurs. En 2011, durant les luttes de masse de la classe ouvrière, qui avaient entraîné l’éviction du dictateur de longue date Hosni Moubarak, l’ETUF avait contribué à mobiliser des voyous rémunérés pour attaquer, dans la fameuse « Bataille des chameaux », les protestations de masse sur la Place Tahrir.

Mardi dernier, des échauffourées mineures avaient éclaté entre les grévistes et un groupe de personnes liées à Mohamed Sannad, le chef du syndicat des ouvriers de Mahalla, alors qu’elles tentaient de convaincre les travailleurs de mettre fin à la grève. Sannad aurait dressé une liste des travailleurs en grève.

Malgré une campagne d’intimidation concertée du gouvernement, des médias et des syndicats, les travailleurs sont déterminés à poursuivre la grève. Un communiqué de presse émanant des travailleurs de Mahalla a souligné qu’ils « exigent que justice soit rendue non seulement pour eux-mêmes mais pour tous les travailleurs d’Egypte. »

Selon des informations de la presse égyptienne, les travailleurs du textile de 16 entreprises affiliées ont débrayé ces derniers jours en solidarité avec les travailleurs de Mahalla. Parmi eux se trouvent plusieurs milliers de travailleurs du textile des sociétés Kafr Al-Dawwar Spinning & Weaving Company, Tanta Delta Textile Company, Zaqaziq Spinning & Weaving Company, et Misr Helwan Textiles Company. Ces travailleurs ont formulé les mêmes revendications que ceux de Mahalla.

Les grèves actuelles reflètent l’opposition grandissante de la classe ouvrière à l’encontre de la junte militaire qui a tué et emprisonné des milliers de personnes et imposé une loi anti-manifestation. La junte cherche à relancer les formes de pouvoir qui étaient en vigueur sous l’ancien régime de Moubarak.

Elle cherche à empêcher l’éclatement de nouvelles luttes ouvrières en recourant à la terreur, à une propagande nationaliste et à des promesses creuses de concessions sociales, tel le salaire minimum pour le secteur public. Sept mois à peine après le coup d’Etat, il devient toutefois de plus en plus difficile pour la junte et ses partisans politiques d’apaiser la colère sociale montante. Les contradictions sociales explosives en Egypte qui, en dernière analyse, avaient déclenché la révolution égyptienne, sont plus aiguës que jamais.

Un récent rapport publié par l’Organisme central pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS) d’Egypte a constaté que le chômage a nettement augmenté au cours de ces trois dernières années. Le chômage était déjà élevé avant la révolution, mais il a encore augmenté. Le nombre de chômeurs a augmenté de 1,3 million au dernier trimestre de 2013 pour atteindre 3,65 millions de personnes. Le chômage est omniprésent parmi les jeunes entre 15 et 29 ans.

Dimanche dernier, la principale chaîne d’informations allemande ARD a diffusé un reportage sur les conditions sociales en Egypte en prévenant que l’appauvrissement des masses égyptiennes pourrait déclencher une nouvelle révolution. Les journalistes de l’ARD avaient filmé une famille de cinq personnes vivant avec 10 livres égyptiennes (1,40 dollar US) par jour dans l’un des quartiers les plus pauvres du Caire. Le père, qui est actuellement sans emploi, a prévenu : « Il y aura tôt ou tard une autre révolution, mais une bien plus grande. Personne ne s’occupe de nous… Ceux d’en haut ne pensent qu’au pouvoir. »

(Article original paru le 22 février 2014)