Grève des travailleurs portugais du secteur public
Par Jordan Shilton
15 novembre 2013
Des milliers de travailleurs des hôpitaux, des écoles, des services municipaux et des transports publics de tout le Portugal ont participé à une grève de 24 heures vendredi dernier pour protester contre le projet de budget du gouvernement pour 2014.
Ce budget comprend des coupes de 3,9 milliards d'euros dans les dépenses.
Cette grève fait suite à une série de manifestations qui ont commencé quand le budget a été présenté au Parlement le 15 octobre par le gouvernement de coalition droitier du Parti social-démocrate (PSD) et du Parti populaire (CDSPP).
Organisée par la principale centrale syndicale, la Confédération générale des travailleurs portugais (CGTP), qui est alignée sur le Parti communiste (PCP), cette grève a reçu le soutien de 70 pour cent de la population active. Elle vient s'ajouter à une grève des employés des ferries de Lisbonne qui dure depuis déjà une semaine et a entraîné l'annulation d'une partie des dessertes, ainsi que d'autres grèves des travailleurs des bus et des chemins de fer.
Le budget, qui sera finalisé au Parlement le 26 novembre, appliquera certaines des coupes les plus graves imposées jusqu'ici dans le cadre de l'accord de renflouement passé entre la troïka de la Commission de l'Union européenne (UE), la Banque centrale européenne (BCE), et le Fonds monétaire international (FMI). Les mesures comprennent des coupes dans les salaires des fonctionnaires allant jusqu'à 12 pour cent, une réduction des effectifs du service public de 2 pour cent, des coupes dans les retraites, et une augmentation de la semaine de travail des employés du secteur public qui passera de 35 à 40 heures.
Le secteur public a été ciblé pour destruction par les gouvernements successifs. Les estimations indiquent que les suppressions d'emplois dans le secteur public depuis 2005 s'élèvent à 173 000, dans un pays de seulement 10 millions d'habitants. Vendredi, les travailleurs brandissaient des pancartes portant des slogans comme « contre la destruction des services publics. »
Avec le démantèlement des services publics, la course à l'austérité vise à mettre en place des changements fondamentaux sur le marché du travail pour réduire les coûts et augmenter la flexibilité. Les réformes déjà appliquées ont vu les indemnités de licenciement réduites des deux tiers ; les travailleurs reçoivent 12 jours de salaire par année d'ancienneté au lieu de 37 précédemment. Le taux le plus élevé d'indemnisation du chômage a été également baissé, quatre jours fériés ont été supprimés, et le taux de paiement des heures supplémentaires a été réduit.
Les coupes dans les allocations chômage s'accompagnent de nouvelles règles qui imposent aux chômeurs de suivre des formations. De cette manière, 56 000 personnes ont été recrutées dans ces programmes.
Les salaires moyens ont fortement baissé. Cela a été réalisé non seulement par des coupes gouvernementales dans les dépenses, mais aussi par des changements dans la structure des contrats de travail. En 2013, pour la première fois, il y a eu plus d'accord d'entreprises que de conventions collectives en matière de salaires, ce qui donne aux employeurs plus de liberté pour augmenter la pression à la baisse sur les salaires.
Bien que le programme de renflouement se termine en juin prochain, le gouvernement a l'intention de poursuivre les mesures d'austérité au-delà de cette date. Le vice-Premier ministre et dirigeant du CDSPP Paulo Portas, qui a reçu la responsabilité de l'application du programme de la troïka cet été pour qu'il ne quitte pas la coalition, a récemment fait remarquer que les dépenses publiques du Portugal étaient toujours de 30 pour cent supérieures à la moyenne de l'UE, et son taux d'imposition était toujours de 20 pour cent au-dessus de la norme. « le but principal et la raison de la réforme de l'Etat est de réduire le fardeau fiscal et la bureaucratie étatique, » a-t-il déclaré à l'International Business Times. « Les dépenses du Portugal sont excessives au regard de nos revenus. »
Portas a défendu l'adoption d'une pause de la dette, qui engagerait constitutionnellement les prochains gouvernements à rester dans des limites strictes sur les dépenses. Il a promis avec le ministre des finances Maria Luis Albuquerque que le niveau de taxe sur les entreprises serait fortement réduit par rapport à son niveau actuel de 31 pour cent, de 2 à 2,5 points au cours des quatre à cinq prochaines années. Portas a expliqué que cette pause de la dette « serait dans l'intérêt national du Portugal et donnerait un message clair de confiance aux partenaires européens et aux marchés. »
La crise mondiale prolongée et l'augmentation de la dette publique portugaise produites par les coupes dans les dépenses provoquent des inquiétudes sur la capacité du Portugal à quitter le programme de renflouement l'année prochaine sans aide supplémentaire. Vendredi dernier, l'agence de notation Moody a modifié son évaluation de la dette de Lisbonne de négatif à stable. Mais la dette publique reste trois niveaux en-dessous du statut valable pour les investisseurs et les taux d'intérêt pour les obligations d'Etat ont été régulièrement à plus de 6 pour cent ces derniers mois. Jeudi dernier, ils ont un peu baissé en-dessous de ce niveau quand Mario Draghi a annoncé la décision de la BCE de réduire le taux d'intérêt d base au minimum historique de 0,25 pour cent.
Le président Anibal Cavaco Silva demande de l'aide au programme d'Opérations monétaires sur titre (OMT) de la BCE, que Draghi a annoncé à l'été de 2012 pour calmer les craintes des marchés sur un éclatement de la zone euro. Dans le cadre des OMT, la BCE peut acheter la dette d'un Etat membre pour éviter des taux d'intérêt insoutenables sur les marchés ouverts.
Les politiciens de Lisbonne seraient attentifs au résultat des négociations en cours entre l'Irlande et l'UE sur une éventuelle aide post-renflouement qu'ils pourraient demander également.
Certains au gouvernement ont accueilli favorablement la pression additionnelle des marchés, puisque cela va permettre encore plus de réformes de grande ampleur et de coupes dans les dépenses. Comme Portas l'a dit, « tout le monde ne vit pas avec la pression de la troïka, mais tout le monde vit avec la pression des marchés, et cette pression est de loin préférable pour moi. »
Des discussions ont lieu sur le besoin de se débarrasser de toutes les concessions sociales faites après la révolution des œillets de 1974, afin d'être compétitifs mondialement. Un article récent du quotidien allemand Die Welt a décrit la crise au Portugal comme « une crise des occasions manquées et un manque de créativité. »
Depuis 1974, le Portugal a « importé bien plus qu'il n'a exporté, » et après avoir rejoint l'euro, il avait « financé ces importations avec de l'argent qui était peu cher à emprunter. » Le gouvernement était alors en mesure de protéger les citoyens et les entreprises du pays contre «les rigueurs de la mondialisation. »
Tout cela a changé maintenant. Comme Miguel Poiares Maduro, ministre du gouvernement au développement régional qui est responsable de l'allocation de financements de l'UE, a déclaré au journal, « nous allons changer les structures de notre économie. Nous voulons être compétitifs à l'international. »
Les attaques sociales du gouvernement sont pleinement soutenues par l'opposition. Le chef du Parti socialiste (PS) Antonio José Seguros a réagi aux dernières manifestations et aux grèves en déclarant, « je suis un homme de dialogue. Les manifestations ne sont pas la solution. »
Réitérant son engagement en faveur du renflouement, auquel le précédent gouvernement PS avait donné son accord avant de perdre le pouvoir, il a déclaré, « c'est une question d'honnêteté de remplir les obligations qui nous avons contractées auprès de la troïka. »
La peur monte quant aux conséquences de la politique de contre-révolution sociale adoptée par l'ensemble de l'élite politique. L'organisation humanitaire catholique Charitas a estimé que plus d'un Portugais sur cinq vit dans la pauvreté et des couches plus larges de la population sont appauvries par les attaques du gouvernement. L'organisation distribue de plus en plus de colis alimentaires, et même les personnes qui ont un emploi ne gagnent généralement pas assez pour joindre les deux bouts.
Le président de Charitas au Portugal a prévenu dans un entretien accordé à Die Welt que ce type de développements produirait inévitablement une instabilité sociale et politique. « La crise a affaibli ceux qui faisaient tenir le pays : la classe moyenne, qui doit vivre uniquement de son travail, » a-t-il dit.
(Article original paru le 14 novembre 2013)