La bande néo-nazie du NSU et les services de renseignement allemands
Par Ulrich Rippert
25 mai 2013
Après une interruption d’une semaine due à des questions de procédure, le procès du gang terroriste néo-nazi NSU (Groupe clandestin nationale-socialiste) a repris à la Cour d’appel provinciale (OLG) de Munich.
Le mardi 14 mai, l’acte d’accusation, long de trente-cinq pages, a été lu. La principale accusée, Beate Zschäpe l’est pour complicité dans tous les crimes commis par le NSU. Avec Uwe Böhnhardt et Uwe Mundlos qui se seraient suicidés pour ne pas être arrêtés, Zschäpe est accusée d’avoir joué un rôle dirigeant dans les activités du groupe néo-nazi qui, entre 2000 et 2007, a assassiné huit personnes d’origine turque, un petit commerçant d’origine grecque et une femme policier.
Ralf Wohlleben, ancien permanent du parti d’extrême-droite NPD (Parti national-démocratique d’Allemagne) et Carsten S. sont accusés d’avoir été des complices de ces meurtres. Ils auraient procuré le revolver avec lequel neuf des dix meurtres ont été commis. André E. et Holger G. sont accusés de soutien à une organisation terroriste.
Pendant les mois qui ont précédé le procès, les débats ont fait rage quant à diverses questions de procédures et au comportement de la cour. Bien que ce procès soit le plus important ayant pour objet des meurtres racistes jamais tenu en Allemagne et que l’intérêt du public soit très fort – outre le procureur de la république, il y a près de quatre-vingt parties plaignantes venant des rangs des familles des victimes qui sont engagées dans ce procès – la Cour provinciale d’appel de Munich insista pour conduire le procès dans une petite salle de la cour.
Cela conduisit à une longue dispute sur la question de l’attribution du tout petit nombre de siéges disponibles pour les médias. Lors d’une première accréditation, la presse turque fut complètement exclue. Des journaux et des politiciens turcs ont protesté avec véhémence parce que huit des victimes du gang étaient originaires de Turquie.
La Cour constitutionnelle fédérale ayant par la suite enjoint au tribunal munichois de garantir « un nombre raisonnable de sièges aux représentants des médias étrangers, ayant des rapports particuliers avec les victimes des crimes… », le tribunal munichois a repoussé le début du procès et organisé l’attribution des places par tirage au sort. Cela a de nouveau conduit à des conflits parce que de petits journaux de province avaient obtenu des places alors que les principales agences de presse en avaient été privées.
Le report du procès et l’interruption d’une semaine qui s’ensuivit signifiaient des problèmes et des inconvénients supplémentaires pour les parties plaignantes et les familles des victimes dont beaucoup devaient à nouveau organiser un voyage et un hébergement onéreux afin de pouvoir participer au procès.
Les actions bureaucratiques et parfois provocantes de la cour furent qualifiées dans les médias d’« insensibles » et décrites comme manquant « d’instinct politique » ( Süddeutsche Zeitung ), mais ils représentent bien plus que cela. La tentative de prendre à tout prix une petite salle de tribunal est directement liée à la campagne menée pour minimiser l’importance politique du procès et d’ignorer le contexte des meurtres en série, avant tout l’implication des agences de l’Etat allemand dans le terrorisme d’extrême-droite.
Le président du tribunal, Manfred Götzl, a souligné a plusieurs reprises qu’il voulait limiter le procès à la question de la stricte responsabilité criminelle des cinq accusés. La question centrale de savoir comment il fut possible au groupe terroriste d’extrême-droite de mener sa campagne de meurtres contre les immigrés sous le nez de la police et des agences de renseignement ne devait pas être touchée à ce procès.
Il a cependant été confirmé que les agences de renseignement tant fédérales (BfV) que régionales (LfV), tout comme le contre-espionnage militaire (MAD) et la police du Land de Berlin, avaient placé au moins 24 indicateurs dans l’entourage immédiat du NSU.
Il est également connu que l’organisation d’extrême-droite de Thuringe «Thuringer Heimatschutz » dont est sorti le NSU dans les années 1990, a été montée par un informateur des services de renseignements, Tino Brandt, et que – selon un article du magazine Der Spiegel – elle a été financée par l’agence de renseignement de Thuringe à hauteur de centaines de milliers de marks.
Lorsque Halit Yozgat fut tué à l’âge de 21 ans dans un café Internet de la ville de Kassel en avril 2006, un employé de l’agence de renseignement de Hesse était présent sur la scène du crime et – selon l’article correspondant sur Wikipedia – a quitté le café quelques secondes seulement après le meurtre.
Les efforts entrepris pour passer sous silence le rôle des services secrets allemands et d ‘autres agences de l’Etat dans l’affaire du NSU montrent clairement que l’objet du procès est de camoufler plutôt que de révéler la vérité.
Même un examen superficiel des faits déjà connus sur les origines du NSU et sur les meurtres montre clairement qu’il existe des liens étroits entre les assassins et l’Etat allemand.
Début 1995, le MAD (contre-espionnage militaire) a essayé de recruter Uwe Mundlos comme employé et comme informateur. Selon ce service, Mundlos a décliné son offre. Puis, en 1997, le service de renseignement de Thuringe avait tant Mundlos que Böhnhardt sous sa surveillance au moment où ils achetaient des pièces capables de constituer une bombe.
Deux mois plus tard, la police mena une fouille dans un garage loué par Beate Zschäpe et y découvrit un atelier servant à faire des bombes ainsi que quatre bombes tuyau en état de fonctionner. Böhnhardt se trouvait dans le garage au moment de la fouille mais put disparaître sans problème.
Plus tard, il apparut que l’explosif destiné aux bombes tuyau, environ 1,4 kilogramme de TNT, avait été fourni par Thomas Starke, un ancien ami de Zschäpe. Starke était un agent infiltré du LKA (Office régional de police criminelle) du Land de Berlin.
Sous le titre « Le fournisseur d’explosif du NSU était un agent infiltré de la police berlinoise », le magazine Spiegel Online écrivait en septembre dernier que « le contact entre le LKA et la source S. » était de toute évidence très intensif. Starke a plus tard aidé le trio (Zschäpe, Mundlos, Böhnhardt) à chercher un appartement-refuge dans la ville de Chemnitz.
Une collaboration de Zschäpe avec les services de renseignement n’est pas avérée. En novembre 2011, Focus Online écrivait en se réclamant de la Leipziger Volkszeitung: « Des informations font état de ce que Beate Zschäpe a effectivement travaillé pour les services de renseignement du Land de Thuringe », ces informations provenant du LKA de Thuringe. Selon l’article, Zschäpe a fourni des informations sur les milieux d’extrême-droite et donc agi en tant qu’agent infiltré. En contrepartie elle a été protégée par les services de renseignement de Thuringe. Elle a durant cette période utilisé pas moins de cinq faux noms.
Le service secret de Thuringe a nié ces informations, admettant qu’il avait été en contact avec Zschäpe et qu’il avait envisagé de la recruter comme agent, mais cela n’avait pas été possible à cause de son instabilité et du fait qu’elle consommait de la drogue.
La situation reste peu claire, dû au refus des agences de renseignement de fournir des informations importantes. Immédiatement après avoir appris, en novembre 2011, les meurtres en série commis par le NSU, et encore par la suite, les responsables des services secrets ont détruit en masse des dossiers qui auraient pu faire la lumière sur les rapports entre la cellule terroriste et les autorités. Durant toute cette période on parla de décisions de routine, d’informations insuffisantes, de ‘pannes’ et d’‘erreurs’ regrettables dues à des gens qui ‘ne réfléchissent pas’.
Néanmoins, le comportement illégal des agences de sécurité était tellement évident que le président du BfV Heinz Fromm et les chefs du renseignement de quatre agences provinciales (Thuringe, Saxe, Saxe-Anhalt et Berlin) ont déjà été contraints à démissionner.
Malgré ces faits, personne dans les milieux politiques ni celui des média n’ose prononcer des conclusions qui sont évidentes : que les meurtres commis par le NSU ont eu lieu dans le contexte d’une collaboration étroite entre leurs auteurs et une partie de l’appareil de renseignement allemand.
Cet appareil soit soutient, soit couvre les milieux d’extrême-droite parce qu’il partage en grande partie l’idéologie. Les révélations ayant vu le jour jusqu’ici, ont déjà indiqué l’existence d’un Etat dans l’Etat, libre de tout contrôle parlementaire et poursuivant des objectifs racistes et d’extrême-droite.
En même temps, de tels liens ont une tradition dans les services secrets allemands. L’histoire toute entière de cette agence gigantesque, dont le personnel et les agents secrets se comptent par milliers et qui opère centralement et dans pas moins de seize agences régionales, est marquée par son passé droitier.
Fondé en 1950 par les Etats-Unis et leurs alliés dans le but d’en faire un instrument dans la Guerre froide, l’agence allemande de renseignement employait de nombreux anciens membres du régime nazi et de la Gestapo.
Lorsque le gouvernement de Konrad Adenauer (1949-1963) a pris le contrôle des services secrets, prenant le relais des alliés, il a nommé à leur tête un ancien nazi important, Hubert Schrübbers (CDU). Celui-ci avait servi le régime nazi en tant que membre des SA [organisation paramilitaire du parti nazi] et en tant que procureur général durant 17 ans. Selon Wikipedia, Schrübbers a alors recruté « un grand nombre d’anciens membres des SS et du SD [service de renseignement des nazis] à des postes en vue de l’agence. »
Le premier vice-président du BfV a été Ernst Brückner, un autre membre des SA. Brückner était aussi membre du NSDAP et à partir de 1941 il fut le chef de la sécurité policière à Tschenstochau, en Pologne occupée, où les Nazis ont commis certains de leurs pires crimes de guerre.
Ces traditions droitières, racistes et profondément antidémocratiques de l’appareil d’Etat allemand, qui suggère des liens étroits entre les membres du NSU et les agences de renseignement, doivent être tenues secrètes dans ce procès. C’est la seule conclusion qu’on puisse tirer de celui-ci jusque là.