Allemagne: Lafontaine et le parti Die Linke virent à droite
Par Ulrich Rippert
31 mai 2012
Un âpre conflit pour la direction du parti allemand Die Linke (La Gauche) continue de faire rage une semaine avant la tenue du congrès du Parti à Göttingen. L’ancien président, Oskar Lafontaine, qui récemment encore avait proposé de reprendre le poste de président, a retiré sa candidature au début de la semaine passée.
Lafontaine avait soumis sa candidature à condition que le parti accepte qu’aucun autre candidat rival ne se présentât contre lui. Cet ultimatum visait Dietmar Bartsch, l’ancien secrétaire national du parti qui avait déposé en janvier sa candidature pour la présidence du parti. Malgré plusieurs discussions dans les instances supérieures, Bartsch a refusé de retirer sa candidature.
Lorsque dans la dispute le président du groupe parlementaire du parti, Gregor Gysi, et l’ancien président du parti, Lothar Bisky, ont déclaré leur soutien pour Bartsch, Lafontaine a fait marche arrière. Ses partisans exigeaient que Bartsch renonce à sa candidature pour qu’un nouveau départ puisse être pris lors du congrès du parti. Mais Bartsch a refusé d’obtempérer. Pour le moment, il reste à savoir qui seront les futurs dirigeants du parti.
Le conflit entre Bartsch et Lafontaine a une longue histoire. Il couvait depuis la création du parti il y a cinq ans.
Bartsch est issu du Parti du socialisme démocratique (PDS), le successeur du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), parti stalinien d’Allemagne de l’Est. Le Parti du socialisme démocratique avait hérité de l’appareil et d’une grande partie des finances du SED. De nombreux anciens fonctionnaires staliniens s’étaient retrouvés dans ses rangs proposant leurs services à l’Etat bourgeois après l’effondrement du Mur de Berlin.
Après une dispute amère avec le chancelier Gerhard Schröder en 1999, Lafontaine – après avoir passé 40 ans de sa vie dans le Parti social-démocrate (SPD) – avait quitté ses postes de président du SPD et de ministre fédéral des Finances pour rejoindre l’Alternative électorale travail et justice (WASG), un groupe basé en Allemagne de l’Ouest. La WASG était composée de membres déçus du SPD, de responsables syndicaux et d’anciens radicaux petits bourgeois.
Sur l’initiative de Lafontaine, le PDS et la WASG ont fusionné en été 2007 pour former La Gauche (Die Linke). Le PDS disposait déjà d’une structure de parti, d’un soutien financier et de milliers de responsables élus au niveau fédéral et local en Allemagne de l’Est. La WASG et tout particulièrement Lafontaine ont offert au PDS la possibilité de s’ancrer en Allemagne de l’Ouest pour pouvoir être représenté au Bundestag (le parlement fédéral). Se présentant comme un parti purement de l’Allemagne de l’Est, il avait été extrêmement difficile pour le PDS d’atteindre le seuil des 5 pour cent requis pour envoyer des délégués au Bundestag.
Depuis sa création en Allemagne de l’Est, le PDS-Die Linke a fonctionné comme une organisation qui a appuyé le statu quo politique. Il a occupé des sièges dans des gouvernements au niveau des Länder et au niveau local en appliquant impitoyablement les réductions des dépenses publiques adoptées par le gouvernement fédéral. Ceci fut le plus clairement illustré à Berlin où le PDS s’allia en 2002 au SPD pour contrôler le sénat et pour perpétrer les attaques les plus brutales contre les programmes d’aides sociales. Le sénat SPD-PDS quitta l’association des employeurs municipaux afin de réduire drastiquement les salaires des travailleurs du secteur public, de privatiser de vastes pans des logements publics de la ville et des services municipaux et de restreindre sensiblement les dispositions sociales.
L’armée de responsables élus d'Allemagne de l’Est – anciens ministres et anciens députés, des membres des autorités locales et des maires – constitue la base sociale et politique de Dietmar Bartsch au sein de Die Linke.
La participation du parti aux gouvernements des Länder à l’Ouest a été controversée. Là, il a tenté de se présenter comme une alternative de « gauche » au SPD afin d’obtenir des mandats politiques et de l’influence. Il a donc été continuellement gêné lorsque des collègues du parti à l’Est, qui détenaient de longue date des postes dans les ministères et les gouvernements locaux, ont collaboré de bonne grâce avec le SPD et même avec le parti conservateur, l’Union démocrate-chrétienne (CDU). En tant que parti au pouvoir à l’Est, Die Linke a souvent appliqué précisément la politique qu’elle avait attaquée en tant que parti d’opposition à l’Ouest.
Aucune contradiction fondamentale n’existait là. Le fait était simplement que Die Linke avait déjà atteint à l’Est ce qu’elle aspirait à obtenir à l’Ouest.
Il serait tout à fait faux d’interpréter la dispute entre Lafontaine et Bartsch comme posant la question d'une évolution future du parti vers la droite ou la gauche. Le conflit a trait à des différences tactiques entre deux courants droitiers dans un parti qui se présente comme un pilier de l’establishment politique à une époque où la crise économique et sociale s’intensifie rapidement.
Un jour après le retrait de sa candidature, Lafontaine a participé à une émission débat à la télévision allemande pour laisser libre cours à ces différences avec Bartsch. Il a dit qu’un parti qui échoue à faire une distinction entre lui-même et le SPD en ce qui concerne d’importantes questions de politique sociale se rendait superflu, en ajoutant : « La perte douloureuse de voix lors des dernières élections parlementaires met ceci en évidence. » Après seulement un mandat législatif, Die Linke ne fut pas en mesure de réintégrer les parlements des Länder de Schleswig-Holstein et de Rhénanie du Nord/Westphalie (NRW) aux élections qui se sont déroulées début mai.
Lafontaine a poursuivi en déclarant qu’il considérait qu’une politique « comme celle de Mélenchon en France et de SYRIZA en Grèce » était nécessaire.
Jean-Luc Mélenchon, candidat présidentiel français du Front de Gauche [une coalition formée du Parti communiste français (PCF), de groupes issus de scissions du PS tels que le Parti de Gauche (PG) de Mélenchon et d’une section du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA)], a été pendant de nombreuses années membre du Parti socialiste (PS) et ministre dans le gouvernement de Lionel Jospin. Ce n'est qu’en 2009, qu’il fonda un Parti de Gauche de style allemand pour rejoindre alors le Parti communiste et former une coalition de gauche. Une série de discours démagogiques de gauche lui ont permis de recueillir 11 pour cent des voix au premier tour des élections présidentielles françaises en avril. Immédiatement après, il s'est rangé derrière le candidat social-démocrate, François Hollande, en accordant un soutien inconditionnel au PS au deuxième tour des élections.
Il en va de même pour SYRIZA en Grèce. En raison de ses critiques émises contre les programmes d’austérité de l’UE, SYRIZA a réussi à tripler ses voix lors des dernières élections parlementaires. Depuis, le président de SYRIZA, Alexis Stipras, a assuré à l’élite européenne qu’il reconnait l’autorité des institutions européennes et des banques et qu’il ne cherche qu’à apporter quelques changements cosmétiques aux plans d’austérité.
De la même façon, Lafontaine veut endiguer l’opposition grandissante contre la politique antisociale du gouvernement Merkel en la canalisant dans le giron du SPD et des syndicats. Il ne cesse d’entretenir des illusions selon lesquelles il est possible de faire pression sur le SPD pour qu’il adopte une politique de réforme sociale, comme celle des années 1970. Ce faisant, il ignore le fait qu’à l’époque de la mondialisation une telle politique a échoué dans le monde entier et que chaque parti réformiste – y compris Die Linke au pouvoir au niveau local et régional – a fortement viré à droite.
Lafontaine ne rechigne certainement pas à participer à un gouvernement de coalition avec le SPD – c’est en fait son but. Il est simplement d’avis que Die Linke de devrait pas catégoriquement sacrifier sa capacité à influencer les couches mécontentes de la population en s’adaptant entièrement dès à présent au SPD. Selon Lafontaine, le fait qu’au parlement Die Linke a soutenu le gouvernement minoritaire composé de sociaux-démocrates et de Verts a contribué à sa défaite catastrophique en Rhénanie du Nord/Westphalie.
Le caractère bourgeois de Die Linke est visible en ce qu’il présente tous les symptômes d’une société capitaliste en déclin. Il est profondément divisé, il manque de direction, il est désorienté, déchiré par des tensions internes, par des luttes intestines et assailli de doutes, à l’image de toutes les autres institutions bourgeoises.
Après dix ans au gouvernement, Die Linke a perdu l’année dernière à Berlin la moitié de ses électeurs. Son taux de participation au scrutin a chuté de 22,6 pour cent (2001) à 11,7 pour cent mettant ainsi un terme à son mandat dans le gouvernement de la ville de Berlin. La même année, le parti a perdu 5.000 membres au plan national et cette année-ci son score a baissé dans les Länder à chaque élection. Il a dégringolé de 5,6 à 2,5 pour cent en Rhénanie du Nord/Westphalie où le parti a perdu 10 pour cent de ses membres.
Le déclin de Die Linke réfute tous ceux qui avaient célébré sa création il y a cinq ans en saluant ce parti creuset de vieux staliniens, de sociaux-démocrates déçus, de bureaucrates syndicaux et de pseudo-gauchistes petits bourgeois comme étant la renaissance du mouvement ouvrier socialiste.
Il y cinq ans, nous, par contre avions écrit: « Les vagues espoirs qui sont liés à la fondation de La Gauche [Die Linke] sont toutefois bâtis sur du sable. Le parti est fermement décidé à entraver l’évolution vers la gauche dont il a profité lors des élections pour la faire passer dans le giron du SPD. Sa perspective n’est pas de façonner un nouvel avenir, mais de faire revivre le passé. » (https://wsws.org/francais/News/2007/juin07/200607_lagauche.shtml)
Ce point de vue a été entièrement confirmé.
(Article original paru le 28 mai 2012)