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Le parti allemand La Gauche vire encore plus à droite

Par Christoph Dreier et Peter Schwarz
4 décembre 2012

Il y a une semaine, les responsables du parti allemand La Gauche (Die Linke) se sont rencontrés à Elgersburg en Thuringe. Il en a résulté un document programmatique qui ne laisse pas de place à l’imagination. Die Linke propose son soutien au Parti social-démocrate (SPD) et aux Verts pour la constitution d’un gouvernement représentant plus conséquemment que l’actuel gouvernement, dirigé par la chancelière Angela Merkel, les intérêts du patronat allemand tant sur le plan national qu’international.

Ce qui est remarquable dans les « Eléments de construction pour un programme de reprise socio-environnemental, » présentés la semaine passée à la presse par les co-présidents du parti, Katja Kipping et Bernd Riexinger, c’est leur abandon total du discours socialiste que Die Linke emploie d’habitude. L’on cherche en vain des termes tels que « socialisme » ou même « capitalisme. » Au lieu de cela, il est question d’une « crise des relations financières européennes » que Die Linke veut surmonter à l’aide d’un ensemble de mesures de relance économique.

Die Linke accuse la chancelière Angela Merkel d’accorder trop d’importance aux coupes et aux mesures d’austérité qui entravent la reprise. Mais, Die Linke est d’accord avec Merkel et tous les autres partis siégeant au Bundestag (parlement fédéral) pour dire que la tâche de l’Allemagne est de préserver l’Union européenne et de repenser les intérêts de l’Allemagne. Le document dit : « L’Allemagne, en tant que plus grande économie de la zone euro et aussi dans son intérêt personnel éclairé, a la responsabilité, dans sa position de locomotive pour la renaissance européenne, de promouvoir activement la croissance économique. »

« Intérêt personnel éclairé, » « locomotive », « plus grande économie de la zone euro » – ce sont là des formules que comprennent tous les banquiers, patrons et politiciens bourgeois. Elles indiquent que Die Linke soutient les intérêts du patronat allemand et que le parti les défend à la fois vis-à-vis des rivaux internationaux et de la classe ouvrière.

A l’image du politicien vert Daniel Cohn-Bendit, Die Linke considère que la crise est une opportunité pour l’Allemagne de refaire l’Europe. « A chaque fois que dans l’histoire, la gestion de crise a été abordée avec courage et d’une main formative, les soulèvements ont donné naissance à des réformes indispensables, » peut-on lire ensuite.

D’un point de vue purement économique, les mesures proposées pour la croissance par Die Linke sont risibles. Eu égard à l’ampleur de la crise économique, elles ne sont qu’une goutte dans l’océan. Sous des formes identiques, on les retrouve aussi dans les programmes de tous les autres partis et elles ont aussi partiellement été concrétisées. De telles mesures comprennent les primes à la casse que Die Linke veut à présent appliquer aux vieux lave-linge et aux vieux réfrigérateurs ; une réglementation particulière pour une introduction facile du chômage technique que Die Linke veut rétablir ; et un programme d’aide de l’Etat pour la rénovation de bâtiments afin de permettre une plus grande efficacité énergétique.

L’expérience faite dans plusieurs Länder (Etats) en Allemagne a montré que de telles revendications ne sont pas faites pour être prises au pied de la lettre. Die Linke a toujours laissé tomber les promesses électorales qui grèvent le budget dès qu’il assume une responsabilité gouvernementale.

Les « éléments de construction » pour la croissance économique de Die Linke ne sont pas motivés par l’économie mais par des considérations politiques. Ils visent la clientèle petite bourgeoise des Verts et du SPD et ils sont censés leur rendre Die Linke acceptable en tant que partenaire de coalition.

La proposition de faire poser des panneaux solaires photovoltaïques sur tous les bâtiments officiels est également présente dans le manifeste électoral du parti des Verts. Il en va de même de la prime pour le covoiturage pour récompenser ceux qui renoncent à posséder un véhicule privé. Dans le même temps, Die Linke n’aborde pas la question des conséquences de telles mesures pour ce qui concerne les emplois dans l’industrie automobile.

La proposition du parti de suspendre l'approvisionnement de repas aux écoles et aux jardins d’enfants par des traiteurs privés pour qu’ils soient cuisinés sur place grâce à une subvention annuelle de 5 milliards d’euros à l’échelle nationale vise pour l’essentiel une clientèle de la classe moyenne. Cette proposition est tout à fait cynique parce que Die Linke a systématiquement supprimé les cuisines dans les écoles et les jardins d’enfants dans les Länder où le parti était au pourvoir ces dernières années.

Les « éléments de construction » de Die Linke ne présentent aucune menace pour les banques et les marchés financiers qui sont en train d’imposer leur dictat partout en Europe. Au contraire, les principaux bénéficiaires des « incitations » que Die Linke vise à stimuler seraient les banques, les fonds spéculatifs et autres investisseurs financiers. Pour dissimuler cette escroquerie, Die Linke réclame la « réintroduction d’un impôt modéré sur la fortune de un pour cent » pour le patrimoine imposable dépassant un demi-million d’euros. Les riches s’accommoderaient facilement de cette imposition très modérée.

Le document de Die Linke représente un virage vers la droite. Six mois après que Kipping et Riexinger ont pris la présidence du parti dans le contexte d’une lutte factionnelle féroce, l’orientation du parti est évidente.

Au moment de sa création, Die Linke avait cherché à se présenter comme un adversaire des coupes sociales. Il avait cherché à lancer un appel à ceux qui se détournaient du SPD en raison du rôle joué par ce dernier dans l’introduction des punitives « réformes » sociales et du marché du travail des lois Hartz et de l’agenda 2010. Die Linke avait cherché à empêcher que les travailleurs ne se radicalisent et ne se tournent vers une perspective révolutionnaire.

Oskar Lafontaine était le principal représentant de cette voie. En tant qu’ancien président du SPD et maire et ministre-président de longue date du Land de Sarre déchiré par la crise, il dispose d’une expérience considérable dans la suppression des tensions sociales. Il a pu mobiliser le soutien d’un groupe de bureaucrates syndicaux et de groupes pseudo-gauches expérimentés tels Sozialistische Alternative (SAV, la section allemande du Comité pour une Internationale ouvrière liée au Socialist Party britannique) et Marx21 (le satellite allemand de l’International Socialist Tendency, lié au parti britannique le Socialist Workers Party, SWP).

A l’autre pôle du parti, se trouvent des responsables exerçant une fonction officielle et des ministres régionaux de l’Allemagne de l’Est qui se sont affairés à imposer des mesures d’austérité contre une population de plus en plus appauvrie et pour qui la rhétorique populiste de Lafontaine est allée trop loin.

Après quelques premiers succès électoraux – lors des élections fédérales au Bundestag en 2009, le parti avait obtenu 12 pour cent des suffrages et avait aussi fait son entrée dans plusieurs parlements régionaux en Allemagne de l’Ouest – Die Linke a commencé à subir des pertes. Il n’était plus possible de dissimuler aux yeux des électeurs le gouffre entre son discours de gauche et sa politique droitière. De plus, le soutien en faveur des Verts était monté en flèche en 2011 et une coalition fédérale entre le SPD et les Verts semblait possible en rendant de ce fait superflu le soutien de Die Linke nécessaire à l’obtention d’une majorité.

Mais depuis lors, la crise économique et sociale s’est spectaculairement intensifiée. Des sections de la classe dirigeante sont en train d’exercer des pressions pour mettre fin au gouvernement Merkel qui est de plus en plus paralysé tant du point de vue de la politique intérieure qu’étrangère en raison de tensions et de querelles internes. Elles aspirent à un retour de la soi-disant coalition « rouge-verte » du dirigeant du SPD, Gerhard Schröder, qui avait mieux réussi à imposer les coupes sociales que n’importe quel autre gouvernement. Mais, pour le moment, ni une coalition entre les chrétiens-démocrates et le Parti libéral démocrate (FDP) ni une coalition entre le SPD et les Verts n’a de grande chance de remporter une majorité lors des élections fédérales de 2013. C’est pourquoi l’on a une fois de plus besoin de Die Linke.

Die Linke ne se contente plus de simplement garder sous contrôle le mécontentement social; il fait pression pour être inclus dans le gouvernement fédéral. Il ne se borne plus à faire de la démagogie sociale mais fait activement campagne pour obtenir le soutien des couches plus nanties de la classe moyenne.

Le parti a déjà accepté de laisser tomber son slogan réclamant la fin des lois Hartz. La présidente du parti Kipping a dit au magazine politique Cicero que Die Linke voulait « reconquérir les groupes sociaux en situation de précarité » pour les intégrer tout en cherchant « une entente ciblée avec les milieux créatifs écologiques en plus du populiste de gauche. »

Depuis que Kipping et le responsable syndical de Stuttgart, Bernd Riexinger, sont devenus coprésidents, Die Linke oeuvre visiblement pour établir une coalition avec le SPD et les Vert. Même lorsque le SPD a désigné l’ultra droitier Peer Steinbrück comme principal candidat à la chancellerie, les représentants de Die Linke ont continué à souligner qu’ils recherchaient tout de même la collaboration du SPD. C’est une affaire de contenu et pas de personnalité ont-ils dit.

Die Linke vire vers la droite suite à l’extrême intensification des antagonismes de classe partout en Europe. Compte tenu de l’ampleur historique des attaques perpétrées par l’élite financière contre tous les droits sociaux des travailleurs européens, Die Linke ne se limite plus à simplement étouffer la résistance sociale ; le parti se prépare à appliquer la prochaine série d’attaques prévues par l’agenda 2020 au moyen de nouvelles lois Hartz.

(Article original paru le 3 décembre 2012)