Allemagne: le ministre des Affaires étrangères Westerwelle sur la sellette pour s’être abstenu sur la guerre contre la Libye
Par Peter Schwarz
1 septembre 2011
Le ministre allemand des Affaires étrangères Guido Westerwelle (Parti libéral démocrate, FDP) a été très critiqué après la conquête de la capitale libyenne, Tripoli, par les rebelles soutenus par l’OTAN. Les médias et les politiciens allemands l’ont durement critiqué parce que l’Allemagne n’a pas participé au viol de ce pays méditerranéen et qu’il y a maintenant un risque que l’Allemagne finisse bredouille lors du partage du butin.
En mars, l’Allemagne, aux côtés des pays BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), s’était abstenue lors du vote du Conseil de sécurité de l’ONU qui avait donné le feu vert à une intervention militaire en Libye et n’avait finalement pas participé à la guerre.
L’OTAN a systématiquement bombardé le pays pendant six mois, armé et formé les rebelles en leur dégageant la voie vers Tripoli grâce au soutien de troupes d’élite au sol. Cet état de fait a gravement violé le mandat de l’ONU qui n’autorisait que la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne et la « protection de la population civile. »
L’OTAN a porté au pouvoir un gouvernement fantoche se composant d’anciens responsables du régime Kadhafi, d’islamistes, de représentants de tribus et d’agents occidentaux du renseignement. Il ne se distingue du régime Kadhafi que par le fait qu’il est encore plus servile aux intérêts pétroliers et économiques occidentaux et qu’il n’a aucun lien avec un passé nationaliste-révolutionnaire . Il réprime tout aussi impitoyablement ses adversaires politiques que son prédécesseur et les comptes rendus se multiplient à présent dans les médias internationaux détaillant les massacres de partisans de Kadhafi.
L’asservissement de la Libye à l’OTAN n’a pas été fait pour des raisons humanitaires mais bien plutôt pour des raisons économiques et géopolitiques. Il garantit aux pays en guerre l’accès aux riches ressources énergétiques du pays et renforce leur influence en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. C’est un crime colonial comparable à la conquête de l’Abyssinie par Mussolini ou des Sudètes [aujourd’hui en République tchèque] par Hitler. A l’époque, les médias avaient aussi versé des larmes de crocodiles sur la brutalité inhumaine du négus éthiopien et l’oppression par Prague des Allemands des Sudètes.
Cette fois-ci, par contre, aucune excuse de ce genre n'est utilisée par les médias et les politiciens allemands quant à cette résurgence du colonialisme. Au contraire, ils s'indignent de ce que l’Allemagne n’ait pas été impliquée dès le départ.
Il y avait déjà eu plusieurs critiques sporadiques de l’abstention allemande au Conseil de sécurité. Mais, lorsqu’il est apparu clairement que l’OTAN pourrait renverser le régime Kadhafi – en dépit des difficultés initiales – ces critiques ont pris des proportions assourdissantes. Il semble que certains critiques pensent que l’Allemagne a raté pour la deuxième fois, après la reddition de l’Afrikakorps de Rommel en 1943, l'opportunité de s’établir en Afrique du Nord,
Un commentaire paru samedi dans le journal Süddeutsche Zeitung et intitulé « Le prix élevé de l’abstention allemande » est typique à cet égard. Le commentaire se réfère à l’attitude allemande lors du votre de la résolution de l’ONU comme étant « la plus grande erreur de politique étrangère de ce gouvernement. »
L’auteur, Stefan Kornelius, ne cache pas ses motivations. Il déplore fortement le dommage économique qui en résulte pour l’Allemagne. « L’Allemagne paie le prix fort pour cette abstention, » écrit-il. « Il n’est pas surprenant que le Conseil national de transition libyen ne veuille pas faire des affaires avec nous. » L’Allemagne doit probablement aussi renoncer à prétendre à tout haut poste de commandement dans l’OTAN.
Dimanche, l’ancien ministre des Affaires étrangères, Joschka Fischer, a donné une interview au magazine Der Spiegel et s'est aussi attaqué à Westerwelle. Le politicien du parti des Verts a décrit l’abstention allemande au Conseil de sécurité de l’ONU comme « la plus grande débâcle de la politique étrangère depuis la création de la République fédérale. » La position de l’Allemagne dans le monde a, dit-il, ainsi été « considérablement endommagée. »
En tant que ministre des Affaires étrangères, Fischer avait fait adopter la première mission de combat à l’étranger de l’armée allemande (en Yougoslavie) et la participation militaire allemande en Afghanistan en dépit d’une opposition considérable au sein du parti. A présent, il accuse Westerwelle d’offenser les partenaires occidentaux de l’Allemagne en poursuivant une « politique internationale distincte » et en recherchant de nouveaux partenariats stratégiques.
Fischer fait explicitement référence à l’ancien chancelier Helmut Kohl (Union chrétienne-démocrate allemande, CDU) qui, dans un récent article destiné au journal Internationale Politik, a reproché au gouvernement fédéral le fait que l’Allemagne « n’est plus une puissance fiable depuis quelques années déjà– tant sur le plan interne qu’externe. »
Le président du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), Sigmar Gabriel, a dit la même chose, qualifiant l’attitude de Westerwelle relative à la Libye de « désorientée » et de « peu digne. »
Westerwelle a même subi les critiques de son propre parti. Il s'est déroulé à la fin de la semaine passée une course bizarre à qui s’avilirait le plus devant l’OTAN.
Après que Westerwelle a salué la conquête de Tripoli par les rebelles, sans pour autant rendre hommage au rôle joué par l’OTAN, le dirigeant du Parti libéral démocratique, Philipp Rösler, a donné une interview vendredi dans laquelle il a exprimé son « profond respect » et sa « gratitude » envers les partenaires de l’OTAN qui « avaient stoppé la progression des unités meurtrières de Kadhafi. » La chancelière Angela Merkel (CDU) a publiquement déclaré son « profond respect » pour la prestation de l’OTAN.
Ces remarques ont largement été interprétées comme étant des critiques à l'encontre le ministre des Affaires étrangères. Après plusieurs conversations téléphoniques avec le chef du parti Rösler et des rumeurs grandissantes au sujet de son limogeage imminent, Westerwelle s’est finalement prosterné dimanche devant l’OTAN.
Dans une rubrique du journal Welt am Sonntag il a écrit : « Nous nous réjouissons de voir que les Libyens ont pu renverser le régime Kadhafi avec l’aide de la mission militaire internationale. Nous éprouvons du respect pour ce que nos partenaires ont fait. »
La direction du FDP a réagi par écrit en déclarant que le « remplacement imminent » de Westerwelle n’était qu’une rumeur.
Les appels à sa démission continuent toutefois. Lundi, Spiegel Online a déclaré que Westerwelle avait depuis longtemps perdu sa dernière chance de rester en fonction en raison de « son attitude pompeuse, suffisante et de son manque d'acuité quant au contexte historique et politique » et a exigé sa démission immédiate.
Le dilemme de la politique étrangère allemande
Dans les débats relatifs à Westerwelle, les médias se concentrent surtout sur les traits de son caractère et occultent les principales questions politiques. Ce qui est en jeu n’est rien moins que la future orientation de la politique étrangère allemande. La raison de l’abstention allemande au Conseil de sécurité de l’ONU n’avait rien à voir avec des scrupules à l’égard de la belligérance de l’OTAN mais était plutôt une tentative de ne pas s’aliéner la Chine, la Russie et les autres pays BRIC.
La Russie et la Chine en particulier entretenaient d’intenses relations économiques avec la Libye – des relations qui ont été durement affectées par la guerre et le renversement de Kadhafi. Au début des attaques de l’OTAN, 36.000 travailleurs chinois ont fui la Libye. La plupart des Chinois étaient employés dans d’importants projets de construction.
Rosoboronexport, fournisseur d’armes russe, a estimé avoir perdu quelque quatre milliards de dollars américains en ventes d’armes en raison de l’embargo contre la Libye. La Russie était également active dans le secteur pétrolier libyen et entretenait une coopération militaire de longue date avec la Libye. Il est peu probable que le nouveau régime renouvelle ces relations.
Pour leur part, la Russie et la Chine ne voulaient pas risquer une confrontation politique ouverte avec les puissances de l’OTAN au sujet de la guerre en Libye. Les deux pays ont renoncé à leur droit de veto au Conseil de sécurité et ont permis par leur abstention l’adoption de la résolution sur la Libye.
La Chine a depuis tenté de garder un pied dans chaque camp. En juin, le ministre des Affaires étrangère de Kadhafi, Ubaidi et un porte-parole de la politique étrangère du conseil de transition, Mahmoud Jibril, ont été reçus à Beijing. Dans leur couverture de la guerre, toutefois, les médias chinois ont souligné que les intérêts pétroliers occidentaux étaient les principales raisons de l’intervention de l’OTAN.
La majorité de la population russe rejette aussi la guerre. En mars, 78 pour cent de la population étaient opposés au bombardement de la Libye par l’OTAN, et le ministre des Affaires étrangères Sergei Lavrov avait accusé l’OTAN de violer la résolution de l’ONU. Le premier ministre Poutine avait même été plus explicite en parlant d’une « croisade » de l’OTAN.
Toutefois, en mai, lors du sommet du G8 à Deauville, le président russe Dmitri Medvedev avait donné des signes d'adaptation à l’OTAN dans le but de garantir les intérêts de la Russie en Libye en cas de défaite de Kadhafi.
Le ministre allemand des Affaires étrangères Westerwelle a évité une confrontation ouverte avec ses critiques pour ne pas affaiblir davantage la coalition gouvernementale qui est déjà perturbée. Dans plusieurs communiqués, il a toutefois, clairement fait comprendre que la question cruciale était l’orientation stratégique vers les pays BRIC.
En milieu de semaine dernière, il avait dit à la télévision allemande que l'important n’était pas simplement d’entretenir d’anciens partenariats et d’approfondir les liens d’amitié existants « mais, il est aussi nécessaire dans le monde du 21ème siècle, de prendre au sérieux les nouveaux centres de pouvoir et de forger de nouveaux partenariats stratégiques. » Ceci, a dit Westerwelle, était « la simple reconnaissance d’une nouvelle ère. »
Dans sa longue contribution programmatique au journal Welt am Sonntag, Westerwelle a aussi souligné l’importance de ces « nouveaux centres de pouvoir » pour la politique étrangère allemande. Mis à part la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil, il a nommé l’Afrique du Sud, le Vietnam, le Mexique, la Colombie et la Turquie.
Westerwelle a fait connaître son engagement à l’OTAN et à l’Europe « comme la première pierre de la politique étrangère allemande. » L’avenir de l’Europe était « la question cruciale de la politique étrangère allemande. » Il a ensuite relativisé immédiatement ses commentaires en associant cette relation à « la discipline fiscale, la consolidation budgétaire et au renforcement de la compétitivité. »
A l’adresse de ceux qui sont réticents à demander aux pays endettés de sortir de l’UE, il a dit : « Quiconque n’arrive pas à suivre le rythme, ne devrait pas retarder les autres. »
Il a accordé davantage de poids à « la construction de partenariats stratégiques avec les nouvelles puissances du monde. »
« Nos exportations là-bas se sont multipliées ces dix dernières années, » a-t-il écrit. « De par leur avance économique ces Etats sont devenus une force politique sans laquelle nous ne pouvons pas négocier et nous entendre sur des solutions mondiales. »
Le débat sur Westerwelle reflète le dilemme de la politique étrangère allemande. Ce débat se poursuivra, que Westerwelle reste ou non en fonction.
Etant donné la crise de l’UE et du déclin des Etats-Unis, l’économie allemande est à la recherche de nouveaux marchés et de possibilités d’investissement dans ces « nouveaux centres de pouvoir ». Cette politique étrangère met l’Allemagne en conflit avec ses alliés européens et américains traditionnels qui eux aussi poursuivent agressivement leurs propres intérêts mondiaux.
Les éloges intarissables des Verts, des sociaux-démocrates et de la majorité des partis gouvernementaux à l’OTAN pour son « succès » en Libye, devraient faire réfléchir. Leurs éloges et leur enthousiasme ne sont pas tant dirigés à l’adresse des gouvernements français, britannique ou américain qui feront tout leur possible pour exploiter le succès militaire en leur propre faveur. Au contraire, leur admiration se concentre sur les méthodes brutales, illégales et risquées utilisées par les puissances de l’OTAN. Ils considèrent ceci comme un exemple de la manière dont l’Allemagne devrait à l'avenir promouvoir ses propres intérêts impérialistes.
(Article original paru le 30 août 2011)