Le parti Die Linke offre ses services comme rempart contre la révolution
Par Ulrich Rippert
27 octobre 2011
Le parti Die Linke (La Gauche) tiendra ce week-end son deuxième congrès dans la ville d'Erfurt, la capitale du Land de Thuringe. La question centrale à faire l'objet d'un débat lors de ce « Congrès à Erfurt de Die Linke » sera une résolution relative au programme du parti qui sera soumise au vote avant la ratification du programme par les membres du parti.
Bien que Die Linke existe depuis quatre ans, le parti n'a, à ce jour, pas eu de programme spécifique. Lorsqu'au printemps de 2007, le Parti du socialisme démocratique (PDS) - successeur du parti stalinien de l'Allemagne de l'Est, le Parti socialiste unifié d'Allemagne (SED) - s'était uni avec l'Alternative électorale-travail et justice sociale (WASG), basée en Allemagne de l'Ouest, pour former Die Linke, ils s'étaient uniquement mis d'accord sur des « points fondamentaux. » Ce flou programmatique avait permis à Die Linke de réunir diverses tendances politiques dans ces rangs.
Dès le début, Die Linke fut une construction bureaucratique. Peu de temps après la chute du Mur de Berlin en 1989, les héritiers du SED s'étaient regroupés dans l'Est du pays pour former le PDS qui joua un rôle important en canalisant les protestations à l'encontre du régime de la République démocratique allemande (RDA) en Allemagne de l'Est dans le sens de la restauration capitaliste et de la réunification nationale allemande. Le PDS oeuvra par la suite pour contenir la colère populaire résultant du déclin économique et social en Allemagne de l'Est. De nombreux politiciens conservateurs pro-patronaux occupant des postes importants dans des administrations municipales et régionales se trouvaient dans ses rangs.
En Allemagne occidentale, par crainte que le SPD ne perde le contrôle de la classe ouvrière suite aux réformes Hartz largement méprisées, des fonctionnaires sociaux-démocrates (SPD) et des fonctionnaires syndicaux aguerris se rassemblèrent pour former la WASG. Des groupes se qualifiant à tort de socialistes ou de révolutionnaires, furent également attirés par la WASG bien que s'étant alignés auparavant sur le régime SED et la bureaucratie syndicale.
Cet assemblage de restes de l'appareil stalinien et de sections de la bureaucratie syndicale fut une source de tensions et de conflits politiques permanents au sein de Die Linke. Un effort sera entrepris au Congrès d'Erfurt pour réconcilier ces éléments disparates pour qu'à l'avenir, vu de l'extérieur, le parti paraisse plus uni. Cet objectif fut souligné par les deux dirigeants du parti, Gesine Lötzsch et Klaus Ernst, dans leur lettre d'invitation adressée aux délégués.
C'est ce à quoi servira l'adoption d'un programme dont la version originale, rédigée sous la direction d'Oskar Lafontaine, a été amendée à plusieurs reprises ces derniers mois. Le rôle actuel de Die Linke - parti d'opposition en paroles, parti de l'establishment par les faits - devra être incorporé dans ce programme. Malgré une flopée de phrases, de propositions de réformes et d'appels à une société meilleure, le document de 80 pages cherche à faire l'affaire. Le programme souscrit pleinement à l'ordre existant, à ses lois et à ses institutions.
Le préambule du projet de programme plaide en faveur d'un « système économique et social différent : le socialisme démocratique, » et d'une économie et d'une politique se concentrant sur les « besoins et les intérêts vitaux de la majorité des gens. » Il préconise, « un changement systémique de l'économie parce que le capitalisme - basé sur l'inégalité, l'exploitation, l'expansion et la concurrence - est incompatible avec ces objectifs. »
Toutefois, tout au long du document tous les piliers du capitalisme : la constitution anti-classe ouvrière de l'Allemagne, les rapports de propriété capitalistes et les institutions internationales telles l'Union européenne et les Nations unies sont défendus.
Sous le titre « Projets de réforme de gauche : des mesures pour une transformation sociale, » le programme s'engage résolument en faveur de la constitution et de l'Etat capitaliste existant. Il stipule : « La République fédérale d'Allemagne doit être un Etat démocratique et constitutionnel. » Toute mention d'un Etat socialiste est soigneusement évitée.
Plus loin, dans une autre section, le projet de programme s'engage à vouloir « vaincre le capitalisme. » Mais, ceci devra se faire à l'aide de réformes progressives dans le cadre des limites de l'ordre social existant. Le document déclare que « des conditions initiales de transformations démocratiques socialistes » seront créées « en conséquence de luttes sociales et politiques et de changements dans les rapports de force. »
Tout ceci ne se différencie en rien des vieux programmes réformistes de la social-démocratie. Chaque réforme ringarde, peu importe son âge, qu'elle soit dépassée ou inefficace, fait partie du programme : de la « démocratie économique » à l'« actionnariat salarié » en passant par la « participation des travailleurs à la gestion de l'entreprise. »
La tentative de ressusciter la phraséologie éculée de la politique de réforme n'est pas seulement grotesque, elle sert à créer le plus de confusion politique possible afin d'empêcher tout développement socialiste au sein de la classe ouvrière.
Le parti Die Linke est intimement impliqué dans l'actuelle transformation du paysage politique en Allemagne. La crise financière et économique internationale est en train de manifester dans des formes de plus en plus dramatiques. D'un côté, des milliards sont alloués aux banques sous forme de soi-disant plans de sauvetage, et de l'autre, des programmes d'austérité draconiens imposant des coupes dans les dépenses de tous les secteurs sociaux plongent des pays entiers dans un abîme économique en suscitant des conflits sociaux et nationaux à travers l'Europe entière.
Dans le même temps, l'opposition à ces développements est en train de croître. Les plus grandes manifestations depuis la chute de la junte militaire, il y 35 ans, se sont déroulées ces derniers jours en Grèce. Des centaines de milliers de gens sont descendus dans la rue en Espagne, en Italie et dans d'autres pays. Ce mouvement fait partie d'une mobilisation internationale naissante de la classe ouvrière qui avait commencé avec les soulèvements en Tunisie et en Egypte et qui englobe à présent de grandes parties de l'Europe et des Etats-Unis.
Cette radicalisation a eu un double effet sur Die Linke. D'abord, de nombreux électeurs ont délaissé le parti, notamment là où il avait fait partie des gouvernements régionaux et municipaux. Le congrès du parti a lieu quatre semaines seulement après la défaite cuisante de Die Linke à Berlin. Au bout de dix années de partage de pouvoir avec le SPD à Berlin, Die Linke a perdu près des deux tiers de ses électeurs lors des récentes élections au Sénat (chambre basse) de la ville-Etat de Berlin.
D'autre part, l'intérêt pour Die Linke est en train de croître au sein de la bourgeoisie. Le congrès a suscité un intérêt exceptionnellement grand en attirant l'attention des médias. De nombreux commentateurs n'ont pas caché leurs opinions à savoir que Die Linke est un instrument utile non seulement pour imposer des mesures d'austérité selon le modèle berlinois - d'autres partis sont capables d'en faire autant - mais de maintenir aussi le contrôle sur une opposition grandissante de la population en stabilisant par conséquent le statu quo bourgeois.
Sahra Wagenknecht, la vice-présidente de Die Linke, a été décrite ces dernières semaines dans les médias comme la nouvelle vedette de l'organisation. Wagenknecht, qui aime souvent faire ses apparitions publiques vêtue de rouge, est invitée à presque tous les talkshow, mise en valeur dans les grands journaux et continuellement interviewée.
Elle est l'incarnation même du cynisme de Die Linke. Juste avant la chute du Mur de Berlin, elle avait adhéré au SED stalinien à l'âge de 20 ans. Elle continua ensuite pendant de nombreuses années à servir de figure de proue de la faction du PDS, la Plate-forme communiste (Die kommunistische Plattform). Au début des années 1990, sa nostalgie de l'ancienne Allemagne de l'Est et ses vues staliniennes ont failli entraîner son expulsion du parti. Aujourd'hui, ces caractéristiques servent à la fabrication d'une image gauchiste.
En début d'année, Wagenknecht a publié un livre sur la crise économique dans lequel que Karl Marx est inexistant et où elle préfère chanter les louanges de l'économie de marché, de la concurrence et de la société « fondée sur le rendement individuel ». Au centre de la critique du capitalisme de Wagenknecht il y a l'idée que le libre marché n'a pas été suffisamment contrôlé par une règlementation étatique. Son appel pour un Etat fort est en train d'obtenir l'appui de la classe dirigeante vu qu'une règlementation étatique de l'économie capitaliste est impossible à réaliser sans réprimer la classe ouvrière.
Le congrès de Die Linke à Erfurt marque une nouvelle étape dans l'évolution d'un parti qui est de plus en plus déterminé à devenir un rempart contre un développement socialiste révolutionnaire de la classe ouvrière.
(Article original paru le 24 octobre 2011)