Pourquoi les médias font-ils la promotion des antifas?
Par Gabriel Black
4 septembre 2017
Au cours des dernières semaines, l'affiliation anarchiste antifa («antifasciste») a reçu une large et favorable couverture de la part des grands médias.
Le 18 août, le New York Times, la principale voix journalistique du Parti démocrate, a publié un article important en première page intitulé «Les antifas deviennent la faction de gauche amenée à combattre, littéralement, l'extrême droite». Cet article, écrit par Thomas Fuller, Alan Feuer et Serge F. Kovalevski, démontre les positions de ce mouvement au travers d'entretiens avec ses membres.
L'article présente les antifas comme une force sérieuse pour combattre le fascisme, en invitant quasiment les lecteurs à joindre le mouvement. «Contrairement à la plupart des contre-manifestants à Charlottesville et ailleurs», rapporte le Times, «les membres des antifas n'ont démontré aucun scrupule à user de leurs poings, bâtons ou poivre de Cayenne pour accueillir une panoplie d'opposants de droite qu'ils considèrent comme une menace fasciste pour la démocratie américaine».
Le journal a interviewé plusieurs membres de cette affiliation, qui, le Times affirme, croient «que la nouvelle droite ascendante dans le pays requiert une réponse physique». Les citations sont toutes présentées sous un jour favorable, incluant celle de quelque'un qui se dit membre des antifas et qui affirme que la «confrontation physique» avec les groupes nazis est nécessaire, «parce que les nazis et les suprémacistes blancs ne sont pas là pour discuter».
L'article du Times n'est pas le seul exemple. Le 20 août, l'émission de NBC, «Meet the Press» a présenté un segment mettant en vedette Mark Bray, l'auteur de Antifa: The Anti-Fascist Handbook et conférencier à Dartmouth.
Bray a également été invité à écrire un éditorial dans le Washington Post, propriété du PDG d'Amazon, Jeff Bezos. L'article, «Qui sont les antifas?», publié le 17 août, était en quelque sorte une publicité gratuite, encourageant les lecteurs à appuyer ou à joindre le mouvement. Le descriptif d'une photo indique: «Les antifascistes peuvent paraitre comme une nouveauté, mais ils sont présents depuis très longtemps. Peut-être devrions-nous commencer à les écouter».
La couverture importante et bienveillante des antifas par le Times, le Post et NBC est politiquement sinistre. Le Times a la politique d'exclure toute opinion authentiquement de gauche, alors que «Meet the Press», qui est l'émission d'information du dimanche soir la plus regardée, n'interview ou n'inclut jamais dans ses panels quiconque n'est pas considéré acceptable par l'establishment politique.
Au même moment qu'ils offrent une couverture favorable aux antifas, le Times, le Post et les autres agences de médias collaborent avec Google qui tente d'étouffer toute opposition de gauche authentique, incluant le World Socialist Web Site et d'autres sites.
La promotion des antifas sert plusieurs fonctions connexes. D'abord, la violence physique d'une poignée de protestataires dans n'importe quelle manifestation est utilisée régulièrement comme prétexte pour de la provocation policière. C'est vrai non seulement aux États-Unis, mais aussi en Europe et à travers le monde. La police offre aux «antifascistes» et aux groupes anarchistes carte blanche pour faire de la provocation qui est ensuite exploitée pour mener une répression violente.
Ces groupes sont eux-mêmes facilement infiltrés par des agents provocateurs de la police, qui encouragent les actes violents pour arriver au but désiré.
Les objectifs politiques de ces divers groupes qui comprennent les antifas sont, plus encore, entièrement compatibles avec ceux du Parti démocrate, et remplissent une fonction pour cette section de l'establishment politique.
Avant même l'élection de Trump, le Parti démocrate a cherché à canaliser l'opposition populaire endémique à l'égard Trump derrière l'appareil militaire et de renseignement. En fait, les conflits au sein de la classe dirigeante depuis les violences nazies de Charlottesville ont abouti au renforcement de la mainmise des militaires et de l'élite financière sur l'administration Trump. Le premier produit de cette restructuration a été l'annonce par Trump d'une escalade majeure de la guerre en Afghanistan.
Les démocrates et leurs médias affiliés, particulièrement le Times, ont cherché à enterrer les questions de classes fondamentales – la lutte contre les inégalités sociales, la guerre et l'autoritarisme – à travers la promotion d'une série de sujets de diversion.
Le Times a sans cesse fait la promotion de la campagne antirusse cherchant à diriger l'opposition contre Trump derrière une demande de mesures plus agressives à l'égard du gouvernement de Vladimir Poutine. Il a encouragé la notion selon laquelle les États-Unis sont déchirés par des divisions raciales profondes, promouvant les politiques identitaires des démocrates et offrant une couverture médiatique respectueuse et même admirative à l'égard des «nationalistes blancs». Il a également notablement mis en vedette le magazine Jacobin, affilié aux socialistes démocrates d'Amérique, qui appuient le Parti démocrate.
La promotion des antifas est conforme à ce programme. En effet, plusieurs des groupes impliqués dans les antifas sont essentiellement des factions du Parti démocrate. By Any Means Necessary (littéralement, par tous les moyens nécessaires), BAMN, qui est nommément cité dans un article du Times, est parmi les plus fervents promoteurs des politiques raciales des démocrates. Il a reçu une attention nationale en 2014 lors de sa campagne pour la discrimination positive, qui fut menée en alliance avec les démocrates et des sections de l'élite économique et militaire.
Les adhérents des antifas clament qu'ils combattent la menace fasciste en empêchant physiquement les néonazis d'être entendus, leur bloquant l'accès aux écoles et aux villes où ils pourraient atteindre de potentiels disciples. Toutefois, ils ignorent le rôle des démocrates et celui des conditions sociales et politiques qui créent le fascisme.
Les groupes néonazis sont présentement une force sociale minuscule, incapable de rassembler plus de quelques centaines de personnes à leurs grandes manifestations, incluant celle à Charlottesville. Trump et ses conseillers fascisants (incluant Stephen Bannon, désormais parti), malgré tout, cherchent à exploiter la confusion et l'aliénation politiques afin de développer un mouvement extra-parlementaire de l'extrême droite nationaliste.
Dans la mesure où un mouvement fasciste pourrait se développer, c'est parce qu'il bénéficie du soutien d'une section de l'élite dirigeante dans des conditions où les politiques de la classe politique ne sont pas contestées. Dès lors, c'est la subordination de la classe ouvrière au Parti démocrate et à ses divers affiliés, dans lesquels sont impliqués les antifas, qui crée la possibilité aux groupes fascisants de croitre.
En ce qui a trait à leur base sociale, les antifas attirent les couches désorientées, particulièrement au sein de la classe moyenne, sur la base d'un programme compatible avec les vues du Parti démocrate et de l'élite dirigeante, lesquels sont indifférents et même ouvertement hostiles à une mobilisation de la classe ouvrière. C'est pour cette raison que les médias en font la promotion.
Une lutte de principe contre la menace du fascisme et les attaques de l'administration Trump vis-à-vis des immigrants, des droits démocratiques, des soins de santé et des conditions de vie, requiert un combat contre l'establishment politique en entier et le système capitaliste sur lequel il se base. Ce n'est pas l'empoignade avec les nazis, mais l'organisation politique indépendante et la mobilisation de la classe ouvrière, selon un programme socialiste, qui constituent la tâche urgente.
(Article paru en anglais le 28 août 2017)