Les enjeux de classe derrière les gains électoraux des socialistes démocrates d'Amérique
Par Tom Hall
17 novembre 2017
Les dernières élections étatiques et locales ont produit un nombre non négligeable de résultats d'intérêt pour les candidats représentants les organisations des classes moyennes opérant en périphérie du Parti démocrate.
Les victoires électorales les plus significatives sont allées aux candidats soutenus par les socialistes démocrates d'Amérique (SDA, Democratic Socialists of America), qui ont annoncé via leur site après les élections que 15 de leurs candidats, portant pour la plupart la bannière démocrate, ont gagné leur course, faisant passer à 35 le nombre total d'élus appuyés par les SDA.
La plupart de ces sièges se trouvaient dans les gouvernements locaux de petites localités. Néanmoins, un certain nombre de candidats soutenus par les SDA ont remporté des courses de plus haut rang. Singh Perez, membre des SDA, a obtenu un siège au conseil municipal de Knoxville, la troisième plus grande ville dans le Tennessee. Larry Krasner, un candidat soutenu par les SDA et Black Lives Matter, s'est fait élire comme procureur de district pour Philadelphie.
Dans l'un des plus importants revirements, Lee Carter, un membre des SDA se présentant comme démocrate, a délogé Jackson Miller, le whip républicain et le second plus haut gradé au sein des républicains dans la Chambre des délégués de Virginie. Les républicains ont recherché sans succès à apposer l'étiquette de communiste à Carter en envoyant des courriels le comparant à Marx, Lénine, Staline et Mao.
À Minneapolis, la membre de l'Alternative socialiste, Ginger Jentzen, a perdu de peu la course au conseil municipal qui l'opposait au démocrate Steve Fletcher. La membre des SDA Kshama Sawant est élue au conseil municipal de Seattle depuis 2014.
Le vote pour ces candidats reflète un intérêt grandissant pour les politiques socialistes. Néanmoins, des tendances comme les socialistes démocrates d'Amérique et l'Alternative socialiste ne sont pas d'authentiques socialistes, mais plutôt des groupes de la pseudo-gauche qui se basent sur les couches privilégiées de la classe moyenne supérieure. Ils sont non seulement loin des préoccupations de la classe ouvrière, mais ils sont également organiquement hostiles et effrayés à l'idée de l'émergence d'un véritable mouvement socialiste de la classe ouvrière qui sortirait du carcan de la politique capitaliste.
Aux États-Unis, cela amène la pseudo-gauche à fonctionner comme satellite politique, ou comme faction au sein, du Parti démocrate, et à chercher à présenter ce parti de Wall Street, de l'appareil militaire et du renseignement comme un parti de réforme, ou du moins un parti qui peut y être amené sous la pression populaire. Ceci prend généralement la forme de critiques symboliques envers l'«establishment» du Parti démocrate tout en faisant la promotion ou en participant dans des campagnes d'«insurgés» de la gauche populiste tels que celle de la dernière campagne primaire de Bernie Sanders. En fait, les politiques de droites de l'«establishment» du Parti démocrate expriment son essence sociale en tant que parti de la classe dirigeante.
Les démocrates, de leur côté, sont hautement conscients du rôle joué par la pseudo-gauche. Il y a une réalisation croissante parmi des sections du parti que leur destin électoral et la stabilité du système bipartite pourraient reposer sur leur capacité à intégrer la pseudo-gauche encore plus dans les politiques du Parti démocrate. Le mois dernier, un groupe de hauts placés du Parti démocrate partisans de Bernie Sanders a publié un rapport sur la débâcle du parti lors des élections de 2016, qui affirme que le parti devrait «construire des relations avec les mouvements sociaux» et les groupes qui se nomment eux-mêmes socialistes afin de s'approprier la croissance des sentiments anticapitalistes parmi les jeunes.
L'élection de membres des SDA, qui se sont présentés, en concordance avec une politique de longue date des SDA, comme démocrates ou indépendants, suit la même orientation. Par exemple, malgré le fait que le Parti démocrate de Virginie ait refusé de faire campagne pour Carter, un arrangement qui l'a fait passer pour une figure «anti-establishment», les trois donateurs principaux à la campagne de Carter furent, selon Slate, le Parti démocrate de l'État ainsi que deux comités d'action politique alignés sur le Parti démocrate (CAP).
Un de ces derniers, un super-CAP nommé Toward Majority (Vers la majorité), a des liens intimes avec l'ancienne administration Obama et inclue deux membres du congrès en fonction ainsi que le gouverneur du Colorado en tant que coprésidents honoraires. David Cohen, le cofondateur et directeur général de Forward Majority, était une figure de proue au sein de la campagne présidentielle d'Obama en 2008. «Depuis plus de 15 ans, David a dirigé des campagnes politiques et de revendication pour le compte de candidats, d'organisations progressistes et de compagnie dans le Fortune 25», indique le super-CAP sur son site internet.
Dans une entrevue avec le magazine Jacobin, aligné avec les SDA, Carter a défendu sa décision de se présenter comme démocrate, déclarant que le faire en tant qu'indépendant aurait été «prohibitif», ajoutant «cela a fait plus de sens pour moi de construire une coalition de groupes centrés sur des choses que la base de votants du Parti démocrate et des socialistes démocrates d'Amérique ont en commun».
Carter s'est vanté que sa campagne reposait sur des «organisations dirigées par des membres du Parti démocrate autant que des syndicats et les SDA».
Il est également significatif que Carter, un ancien soldat de la marine, n'ait pas soulevé la question de la guerre, ni dans son entrevue avec le Jacobin, ni lors de sa campagne, en dépit du fait que sa campagne se tenait en pleine campagne belliqueuse de Trump contre la Corée du Nord, dans un district situé dans la région de Washington DC, seulement à quelques kilomètres du Pentagone et du quartier général de la CIA, à Langley en Virginie. Faire cela aurait impliqué le Parti démocrate, qui a mené deux termes présidentiels en guerre sous l'administration Obama et a fait de l'agitation pour une approche plus agressive de la part de Trump contre la Russie.
D'autres organisations de pseudo-gauche, comme l'Alternative socialiste, ont mené des campagnes ou leurs candidats étaient nominalement indépendants, et même contre des nominés du Parti démocrate. À Colombus, dans l'Ohio, une liste de candidats appelée la Yes We Can Coalition, qui était soutenue par le Working Families Party, s'est présentée contre des adversaires démocrates aux élections municipales et scolaires.
Toutefois, cela ne diminue pas pour autant leur orientation politique fondamentale envers le Parti démocrate. Alternative socialiste jouit de liens étroits avec le Parti démocrate et s'est pratiquement dissoute dans ce parti lors de la campagne de Bernie Sanders.
La branche locale de l'International Socialist Organization, qui ne présente généralement pas de candidats aux élections, a refusé d'appuyer la Yes We Can Coalition (nommée d'après le slogan de campagne d'Obama en 2008), faisant valoir «l'orientation stratégique de cette dernière vis-à-vis du Parti démocrate, plutôt qu'une indépendance claire». Au même moment, ils appuyaient et faisaient la promotion dans les faits de leurs politiques, démontrant par là que leurs principaux différents sont de caractère tactique.
Les stratégies électorales divergentes entre les SDA et l'Alternative socialiste d'un côté, et de l'ISO de l'autre constituent des débats au sein de la pseudo-gauche à savoir s'il serait plus avantageux de participer dans des élections ouvertement en tant que faction du Parti démocrate, ou de se constituer en organisations nominalement séparées tout en fonctionnant de facto en tant que tendances au sein du Parti démocrate.
La question fondamentale des socialistes a toujours été de mobiliser la classe ouvrière sur la base d'un programme indépendant, révolutionnaire et internationaliste en opposition à tous les partis capitalistes, incluant ses factions de gauche nominales. Aux États-Unis, cela a impliqué une longue lutte pour éloigner la classe ouvrière des démocrates, qui au début étaient capables d'acquérir un appui de masse à cause de leur réputation de parti de réforme sociale.
Maintenant, dans des circonstances où les démocrates ont depuis longtemps répudié ce programme et sont largement détestés par les travailleurs et les jeunes Américains, la pseudo-gauche entre en jeu pour tenter de raviver ces vaines illusions, dans une forme ou une autre. Cela confirme leur perspective procapitaliste, anti-classe ouvrière et anti-socialiste.
(Article paru en anglais le 14 novembre 2017)
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