Ford supprimera jusqu'à 20.000 emplois mondialement
Par Jerry White
19 mai 2017
Seulement quelques jours après les plaintes d'actionnaires et d'investisseurs concernant la «performance pathétique» du cours des actions de Ford Motor Company, le Wall Street Journal a rapporté que Ford prévoyait réduire sa main-d'œuvre mondiale de 10 pour cent. La saignée d'emplois, visant avant tout les salariés, pourrait toucher jusqu'à 20.000 des 201.000 travailleurs embauchés mondialement par l'entreprise.
Le deuxième constructeur d'automobiles américain avait rapporté des profits solides pendant sept années consécutives, incluant des marges opérationnelles et de rendement records durant les deux dernières années, et 1,6 milliard de profits pour le premier trimestre de 2017. Wall Street a cependant puni le constructeur basé à Dearborn au Michigan, en réduisant la valeur de ses actions de 40 pour cent depuis mi-2014.
Anticipant la fin de la longue période de hausse des ventes d'automobiles aux États-Unis, les investisseurs veulent rapidement réduire le nombre d'employés salariés et à taux horaire qu'ils ont embauchés pour faire face à la demande croissante depuis 2010.
Ayant réduit de moitié sa main-d'œuvre à taux horaire, de 88.386 en 2004 à 40.398 en 2010, l'entreprise a rajouté environ 15.000 travailleurs à taux horaire et à bas salaire depuis les sept dernières années. Elle a également 30.000 travailleurs salariés aux États-Unis, où une réduction de 10 pour cent éliminerait 3.000 emplois.
Des personnes connaissant le milieu qui ont parlé au Wall Street Journal ont affirmé que Ford préciserait les réductions d'emplois dès cette semaine. Ils ont dit qu'il était incertain si le plan inclurait des réductions des employés à taux horaire dans les entreprises de Ford aux États-Unis et à l'étranger. «Ford a déclaré qu'il s'attend à une baisse des profits en 2017 et a signalé un ralentissement des ventes aux États-Unis et en Chine, deux des plus importants marchés automobiles au monde», a noté le Journal.
GM a déjà réagi à un inventaire de voitures invendues de plus en plus gros en supprimant des milliers d'emplois et en éliminant des quarts de travail au Michigan, en Ohio et dans d'autres États. La société s'est également débarrassée de ses divisions Opel (Allemagne) et Vauxhall (Grande-Bretagne) qui ont été récupérées par Peugeot-Citroen, mettant fin à presque 90 ans d'industrie GM en Europe.
Les suppressions d'emploi réfutent le mythe propagé par l'administration Trump et les médias que l'économie américaine a atteint le «plein emploi». Trump, avec l'appui total de l'UAW (United Auto Workers, Syndicat des Travailleurs unis de l'auto) et d'autres syndicats, affirme que son nationalisme de l'«Amérique d'abord» et ses menaces de guerre protectionniste contre la Chine et le Mexique, ainsi que ses suggestions de déréglementation draconienne des entreprises, avantageraient les travailleurs américains.
L'essor du marché boursier n'a fait que masquer la crise de l'économie réelle aux États-Unis, qui est profondément touchée par le ralentissement de l'économie mondiale et le déclin de plusieurs décennies de l'industrie américaine. La chute des ventes de voitures, intimement liée à la croissance des taux d'intérêt, un niveau record de défauts de prêts-autos et la croissance de l'achat de voitures usagées ou de location à de nombreux Américains qui ne peuvent se payer des voitures neuves, pourraient signaler un ralentissement économique beaucoup plus important.
Dans une déclaration officielle, le constructeur Ford a dit qu'il n'émettrait pas d'hypothèse sur une possible «nouvelle action d'efficacité du personnel», un euphémisme pour des suppressions d'emplois, mais qu'il continuerait à se concentrer sur ses trois priorités stratégiques afin de «créer de la valeur et encourager la croissance profitable». Cela inclut: «Renforcer les piliers du profit à la base de notre entreprise, transformer des secteurs traditionnellement peu performants à la base de notre entreprise et investir agressivement, mais prudemment, dans les opportunités émergentes.» La déclaration ajoutait que «la réduction des coûts et développer une structure allégée et aussi efficace que possible font également partie de ce travail».
Lors de la journée d'investisseurs de Ford en septembre dernier, le directeur financier du groupe, Bob Shanks, a dit que Ford s'attendait à des réductions des dépenses d'environ «3 milliards $ annuellement en 2016, 2017 et 2018» afin de permettre l'investissement et le développement dans des secteurs qui requièrent un gros capital comme l'électrification, l'autonomie et la mobilité, que Ford qualifie d'«opportunités émergentes».
Reuters, citant une personne qui avait été informée des nouvelles suppressions d'emplois, rapporte que Ford prévoyait «offrir des incitatifs généreux de retraites anticipées» afin de réduire le nombre de salariés pour le 1er octobre, mais ne prévoyait pas de réduction de ses effectifs à taux horaire ou de sa production.
Mais Ford réduit déjà le nombre de ses employés à taux horaire en Europe. En Allemagne, où l'entreprise emploie 24.000 ouvriers, Ford a fait des offres de retrait volontaire à «un nombre limité d'employés durant les derniers mois», d'après le syndicat IG Metall, qui prétend ne pas avoir été informé d'un programme de réduction d'emplois plus vaste.
Ford a déjà négocié des réductions d'emplois avec le syndicat Unite en Grande-Bretagne. L'entreprise prévoit des suppressions de 1160 emplois à son usine de Bridgend d'ici 2021, ne laissant que 600 travailleurs à l'usine de moteurs galloise, rendant son avenir incertain. Le site fabrique de petits moteurs pour Ford et d'autres moteurs plus puissants V6 et V8 pour Jaguar Land Rover.
«La performance de l'entreprise a ralenti, même pendant que le marché américain se portait extrêmement bien», a dit Sascha Gommel, un analyste du secteur de l'automobile de Commerzbank, à Reuters. «Ford, tout comme les autres constructeurs automobiles, est sous pression pour endiguer les investissements dans les technologies futures, alors ils doivent faire des ajustements ailleurs», a-t-il dit, ajoutant que les États-Unis et l'Amérique du Sud pourraient être les plus touchés.
À la clôture des marchés américains mardi, Ford et General Motors valaient 10,94 $ et 33,42 $ l'action respectivement, une fraction du prix des actions du constructeur automobile spécialisé Tesla (317,01 $ par action), qui n'a toujours pas réalisé de profit.
Le déclin du cours des actions des constructeurs automobiles de Detroit, malgré des profits sans précédent, fait partie d'une tendance à long terme, où le parasitisme financier a surpassé la production industrielle comme moyen principal par lequel l'élite américaine accumule ses vastes fortunes.
Les suppressions d'emplois de Ford ont été annoncées le même jour que le New York Times rapportait que le gestionnaire de fonds spéculatif Ray Dalio avait empoché 1,4 milliard $ en 2016. Résumant le mépris de l'élite pour la production et la classe ouvrière, Dalio a dit, «L'argent qui est fait sur la base de l'industrie manufacturière est ridicule comparé à ce que l'on peut faire en brassant de l'argent.»
Tout comme le PDG de Ford Mark Fields, Mary Barra, cadre de General Motors, a subi les pressions de Wall Street pour transférer encore plus d'argent dans les poches de ses plus gros investisseurs. N'ayant pas réussi à faire augmenter le cours de l'action, malgré la dilapidation de près de 10 milliards $ pour un programme de rachat d'actions, Greenlight Capital Inc., un fonds spéculatif géré par David Einhorn, fait pression sur Barra pour qu'elle restructure la dette de GM et accueille de nouveaux membres au conseil d'administration.
En 2015, Harry Wilson, un ancien membre du groupe de travail auto d'Obama, a, au nom de quatre fonds spéculatifs, exigé que GM développe son programme de rachat d'actions. Ceci illustre la signification essentielle de la restructuration de l'industrie par Obama en 2009, quand le président démocrate livrait GM et Chrysler aux requins de Wall Street tels que Wilson, afin de réduire de moitié les salaires des jeunes travailleurs, détruire des dizaines de milliers d'emplois et imposer des accélérations brutales du rythme de travail afin d'enrichir l'aristocratie financière. Bien que Ford n'ait pas fait faillite, le constructeur a suivi le même trajet de réductions des coûts avec l'appui de l'UAW.
Le Wall Street Journal a noté sur le PDG de Ford que «M. Fields, un vétéran de 28 ans de l'entreprise, a dirigé le centre de l'unité nord-américaine durant plusieurs années et a été l'architecte de beaucoup de ses compressions. Il a supervisé plusieurs négociations tendues avec les représentants de l'United Auto Workers. Il a également réduit les opérations européennes de l'entreprise plus tôt cette décennie, se construisant une réputation de dirigeant qui a du flair et qui est prêt à s'attaquer à la lourde structure de coûts qui pèse depuis longtemps sur les constructeurs de voitures de Detroit.»
Loin de mener des «négociations tendues» avec l'UAW, Ford s'est toujours appuyé sur l'appareil syndical pour étouffer l'opposition contre ses plans de restructuration. Après la signature du contrat UAW-Ford en 2015, qui, selon les travailleurs, a passé uniquement à cause d'un bourrage des urnes par l'UAW, les patrons de Ford ont félicité leurs partenaires syndicaux pour avoir défendu l'entente qui a permis des augmentations de coûts salariaux sous le taux de l'inflation – malgré la pression des travailleurs pour récupérer les revenus perdus après une décennie de gel salarial – et augmenté le nombre d'employés à temps partiel et temporaires qui pouvaient être mis à pied au premier signe de déclin dans les ventes.
«Nous venons tout juste d'embaucher du monde», James, un travailleur avec cinq ans d'expérience à l'usine d'assemblage de Ford, a dit au World Socialist Web Site. «Je ne peux pas imaginer quelqu'un dans cette situation, quelqu'un qui vient tout juste de mettre de l'ordre dans ses affaires, et qui se fait dire qu'il va perdre son emploi.»
«En fin de compte, les dividendes des investisseurs battent des records. Ils ont plein d'argent. L'entreprise et nous, on a des besoins différents, mais ils se préoccupent plus des profits des investisseurs. C'est ça le problème avec le capitalisme, toute cette société et ceux qui la dirigent.»
(Article paru en anglais le 17 mai 2017)