Sur fond de coupures d'eau et de crise de l'eau à Flint
Les enseignants de Détroit ferment les écoles pour protester contre le non-paiement de leurs salaires
Par Thomas Gaist
7 mai 2016
Au début de la semaine, plus de 1500 enseignants des écoles publiques de Détroit continuaient leur grève-maladie commencée lundi, fermant 94 sur 97 écoles dans la ville. Ils protestaient contre la menace annoncée le week-end dernier par le gestionnaire de transition des DPS (Detroit Public Schools - Ecoles publiques de Detroit) désigné par l'Etat du Michigan, le juge Steven Rhodes, de retenir leur salaire pendant les mois d'été et d'éliminer les cours d'été.
Pour les trois quarts des enseignants de Detroit qui reçoivent une partie de leur salaire durant l'été, la suspension des paiements serait égale à la perte de cinq versements de salaire couvrant près de 40 jours ouvrables.
Cette nouvelle attaque des enseignants de Détroit fait partie d'un assaut plus large sur la classe ouvrière du Michigan mené par les deux partis de la grande entreprise, soutenus par le gouvernement Obama. Le 2 mai, la municipalité démocrate de Detroit a commencé à couper l'eau à 23.000 ménages de la partie pauvre de la ville en retard de paiements, tandis qu'à une centaine de kilomètres au nord, à Flint, autre zone urbaine dévastée par les fermetures d'usines automobiles et les coupes budgétaires, 100.000 habitants continuent de souffrir de l'empoisonnement au plomb de leur eau par les responsables républicains de l’Etat et les démocrates de la municipalité.
L'attaque des travailleurs de Flint, comme celle des enseignants de Detroit, est menée sous les auspices d'un « gestionnaire d'urgence » non élu, nommé par le gouverneur républicain du Michigan, Rick Snyder.
Le gouvernement Obama est directement complice de ces attaques. La Maison Blanche et son secrétaire à l'Education ont agressivement favorisé l'extension des charter schools, écoles à but lucratif, au nom de la « réforme » de l'éducation. L'ancien secrétaire à l'Education Arne Duncan, nommé par Obama, a qualifié Détroit de « ground zero » (point de départ) de la campagne de privatisation des écoles publiques.
Obama a soutenu la faillite de Detroit supervisée par le juge Rhodes en 2013, utilisée pour violer la Constitution de l'Etat, imposer des coupes claires dans les retraites et les prestations de santé des travailleurs de la ville et pour privatiser les biens publics comme le Musée d’Art de Detroit.
A Flint, l'Agence de protection de l'environnement du gouvernement Obama a caché pendant des mois le fait que la décision de faire passer l'alimentation en eau de la ville à la Flint River polluée a produit des taux élevés et désastreux de plomb dans l'eau utilisée par les habitants pour la boisson, la cuisine et le bain.
Le président Obama a fait une apparition type relations publiques mercredi pour prétendre qu’il soutenait les habitants de Flint. En fait, son gouvernement a alloué une somme dérisoire pour faire face à une crise de santé qui affectera des milliers de jeunes et de travailleurs pendant des décennies. Il a annoncé qu'il mettrait fin à toute aide fédérale à Flint en août.
L'action des enseignants, largement soutenue par les parents et élèves de Détroit, fait partie d'un mouvement continu et croissant de résistance combative contre les attaques sur les emplois, les salaires et les besoins sociaux comme l'éducation et les soins de santé. Des attaques commencées avec les réductions salariales et les licenciements imposés aux travailleurs de l'automobile par le plan de sauvetage de Chrysler en 1979 mis en place par le gouvernement Carter avec la collaboration du syndicat United Auto Workers (UAW).
Des milliers de travailleurs et de jeunes ont manifesté à Flint contre l'empoisonnement de leur approvisionnement en eau, exigeant le remplacement des conduites d'eau en plomb pourries de la ville par un système moderne et sûr, ainsi que la gratuité et le plein accès aux soins médicaux pour toutes les personnes touchées par l'intoxication au plomb. L'an dernier, les travailleurs de l'automobile s’étaient rebellés contre les contrats au rabais des constructeurs automobiles de Détroit signés par l'UAW.
À l'échelle nationale, la croissance de l'opposition de la classe ouvrière se reflète dans la grève des 39.000 travailleurs contre le géant des télécommunications Verizon.
Les syndicats, dont la Fédération américaine des enseignants (AFT) et sa branche de Detroit, la Fédération des enseignants de Detroit (DFT), ont fait tout leur possible pour bloquer une lutte par les enseignants et le reste de la classe ouvrière. Plus tôt cette année, les enseignants ont organisé une série de grèves-maladie indépendamment du syndicat pour s'opposer aux conditions insalubres et dangereuses dans les écoles.
Le syndicat a appelé officiellement aux grèves-maladie lundi et mardi pour tenter de devancer et de contenir des actions sauvages prévues. Maintenant, il cherche à mettre fin à la lutte sur la base d'assurances sans valeur de la part du juge Rhodes
.Des centaines d'enseignants ont manifesté pour la deuxième fois devant le siège du DPS le mardi 3 mai. L’après-midi du même jour, quelque 700 enseignants ont participé à une réunion convoquée par la DFT à laquelle s’est adressé le président de l’AFT Randi Weingarten. On avait dit aux enseignants qu’on voterait sur une grève mais au lieu de cela Weingarten a lu une déclaration du juge Rhodes déclarant que le DPS était contractuellement tenu de payer les salaires dus aux enseignants.
Weingarten, qui collabore avec Rhodes, les députés démocrates de l'Etat et le gouverneur républicain Snyder pour faire adopter un projet de loi de financement d'urgence comprenant une restructuration du système scolaire à Detroit, a qualifié la déclaration de Rhodes de « victoire » et a dit aux enseignants de mettre fin à leur action et de reprendre le travail le lendemain.
Les enseignants présents à la réunion étaient visiblement en colère et sceptiques envers Weingarten et la DFT et l’affirmation que les assurances de Rhodes étaient crédibles. Il y eut des cris de « grève » dans la salle et plusieurs enseignants se sont vus retirer le microphone par des responsables syndicaux quand ils ont critiqué le syndicat et l'accord de restructuration qu’il soutient. Un enseignant dissident a été éjecté par la force.
Niles Niemuth, le candidat du Parti de l’égalité socialiste à la vice-présidence, a distribué une déclaration aux enseignants appelant à une lutte de masse unie des enseignants et de toutes les catégories de travailleurs et de jeunes à travers l'Etat et au niveau national.
Le plan de restructuration soutenu par le syndicat, qui produirait quelque 715 millions de dollars pour aider à couvrir le déficit du DPS, comprend la mise en place d'un conseil financier ayant pour mandat de superviser le DPS pour une période de cinq ans. Ce système fournira un cadre pour de nouvelles attaques plus vastes sur les emplois, les titularisations, les salaires et les conditions de travail des enseignants.
Le syndicat enseignant soutient ce projet, adopté par le Sénat du Michigan contrôlé par les Républicains, aux dépens d’un plan rival soutenu par les députés républicains de la Chambre, qui ôterait au syndicat DFT son statut juridique d’intermédiaire dans les négociations des conventions collectives. Le contrat actuel avec le DPS expirant le 30 juin (après quoi la loi « droit au travail » du Michigan adoptée récemment entre en vigueur, permettant aux enseignants de refuser de verser des cotisations au syndicat), la seule préoccupation de l'AFT et de la DFT est de préserver leurs intérêts institutionnels et le flux de revenus venant des cotisations. En contrepartie, ils sont prêts à offrir de nouveaux « sacrifices » devant être imposés aux syndiqués.
Pendant que les enseignants manifestaient mardi, des milliers d’habitants de Detroit se précipitaient pour trouver de l’argent dans un ultime effort pour éviter une coupure de leur eau courante. Dans toute la ville, les entrepreneurs embauchés par le Service des eaux de Detroit se préparent à couper l'eau des ménages considérés être en retard de paiement.
Démentant les affirmations d'Obama dans une récente interview que sa politique économique avait largement profité au peuple américain et ses plaintes d’être « incompris », les statistiques publiées la semaine dernière par la Brookings Institution montrent que la population américaine a connu une croissance massive de la « concentration de la pauvreté » durant les années Obama, les taux les plus élevés se trouvant précisément dans le sud-est du Michigan.
Pour riposter, les travailleurs doivent comprendre la nature politique et de classe fondamentale de l’attaque à laquelle ils sont confrontés. Detroit et Flint sont les manifestations particulièrement marquées d'une agression tous azimuts de la classe ouvrière dans les villes et les quartiers de tout le pays. Les écoles, la santé, les retraites, les emplois, les salaires et le logement sont tous la cible d’une oligarchie patronale et financière qui contrôle les deux partis et le gouvernement dans son ensemble, et ne reculera devant rien pour faire payer à la classe ouvrière les guerres sans fin à l'étranger et la manne financière allant aux riches et aux super-riches.
Ces attaques ne peuvent pas être combattues avec succès sur une base catégorielle et au coup par coup. Toutes les sections de travailleurs et de jeunes doivent être réunies dans une lutte unie pour une politique socialiste et un gouvernement ouvrier.
À Detroit et dans le Michigan, les enseignants devraient se tourner vers les jeunes et les chômeurs, les victimes des coupures d’eau et d’électricité, les habitants de Flint, les travailleurs de l’automobile et de la ville pour monter une offensive sociale et politique unie. L’affirmation selon laquelle « il n'y a pas d'argent » doit être rejetée avec le mépris qu'elle mérite. L’argent suffit largement, mais il est monopolisé par une nouvelle aristocratie et gaspillé pour financer des guerres régionales et le réarmement en préparation d'une nouvelle guerre mondiale.
Il est temps que les travailleurs cesse d'écouter ce que la classe capitaliste dit être en mesure de donner. Les travailleurs doivent dresser leur propre liste de revendications non négociables, dont les droits sociaux de base que sont un emploi stable, un salaire décent, une école publique de qualité et un logement décent, des soins de santé gratuits, une retraite garantie et l'accès à la culture et aux arts.
Cela requiert qu’on répudie les dettes envers les banques et les fonds spéculatifs et qu’on transforme tous les services publics, les grandes entreprises et les banques en propriété publique démocratiquement contrôlée – autrement dit, cela requiert la lutte pour un programme socialiste.
(Article paru en anglais le 4 mai 2016)