Votes sur l'entente de principe au Québec:
Les syndicats brandissent la menace d’une loi spéciale pour intimider les travailleurs
Par nos reporters
23 janvier 2016
Avec le début du vote dans le secteur public québécois, les chefs syndicaux agitent la menace d'une loi spéciale pour forcer les travailleurs à entériner l'entente de principe conclue le mois dernier entre le Front commun intersyndical et le gouvernement libéral du Québec. Présentée par les chefs syndicaux comme une «bonne entente», elle signifie en réalité la baisse des salaires réels, la hausse de l’âge de la retraite, des pénalités plus sévères pour les retraites hâtives, et le champ libre à un démantèlement accéléré des services publics.
Lors d'une assemblée des enseignants de la commission scolaire Marie-Victorin sur la Rive-sud de Montréal, qui était convoquée par le Syndicat de Champlain affilié à la Centrale des syndicats du Québec, le président du syndicat, Éric Gingras, a brandi plusieurs fois la menace d’un décret pour intimider les membres de la base. «Lorsqu’on est en mesure de faire certains gains», a-t-il déclaré avec arrogance, «de dire qu'on va préférer une loi spéciale qu’on ne sait pas ce qu’il y aura dedans, c’est du poker».
Faisant référence au contrat de 7 ans décrété par le gouvernement Charest, Gingras a dit qu’en 2005 «on s’est fait imposer l’offre de base» et que «ça fait partie de notre réflexion quand on prend une décision». Il a renchéri en disant que «les infirmières en 97 [sic] ont voulu continuer alors que tout le monde avait des ententes» et qu'elles «se sont fait imposer une loi spéciale» pour laquelle «plusieurs payent encore».
En réalité, autant en 1999 qu’en 2005, les gouvernements péquiste et libéral successifs ont pu imposer de telles lois uniquement parce que les syndicats ont refusé, tout comme dans le conflit actuel, de mobiliser l’ensemble de la classe ouvrière pour la défense des droits sociaux et des services publics. La tentative malhonnête de Gingras d’utiliser ces événements ne sert qu’à camoufler le rôle traitre de la bureaucratie et à effrayer les travailleurs.
Pendant des mois, les syndicats ont maintenu un silence radio sur la menace d’une loi spéciale afin de minimiser le caractère politique de la lutte dans laquelle sont engagés le demi-million de travailleurs du secteur public. Maintenant, agissant en porte-parole du gouvernement Couillard, ils utilisent ouvertement la menace d’un décret pour justifier leur capitulation et mettre les travailleurs au pied du mur.
Tout au long de son discours, Gingras a parlé de «démobilisation» afin de démoraliser son auditoire. «Ce soir, on n’est pas 1500, on est 800», a-t-il déclaré. «À la dernière journée de grève à Québec, on n’était pas 5000, on était 1700». Il s'agit là d'une véritable calomnie contre les employés de l'État qui ont démontré, au cours des derniers mois, une grande détermination à défendre les conditions de travail et les services publics.
Les travailleurs du secteur public ont voté de puissants mandats de grève, ils ont érigé des lignes de piquetage à travers la province lors des journées de débrayage, et ils ont participé par dizaines de milliers à des manifestations contre les mesures d'austérité du gouvernement Couillard. Leur énergie combative s'est ensuite traduite par une vive opposition à l’entente pourrie – que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les conversations entre travailleurs ou par le fait que plusieurs délégués syndicaux aient refusé de recommander l’entente aux membres.
Pendant ce temps, la bureaucratie syndicale pro-capitaliste a tout fait pour maintenir le «dialogue social» et la «paix sociale», c'est-à-dire contenir et étouffer la colère des membres de la base face à l'assaut tous azimuts sur les salaires, les pensions et les services publics. Tout au long du conflit, les syndicats se sont limités à des gestes futiles de protestation, en canalisant l’attention des travailleurs vers un exercice bidon de «négociations» où le cadre budgétaire était fixé d’avance par le gouvernement Couillard.
Des travailleurs qui ont participé à l'assemblée de Champlain ont confirmé au World Socialist Web Site que les membres n’ont été informés des détails de l’offre sectorielle (sur les conditions de travail) qu’à l’assemblée même, ce qui ne leur laissait aucunement le temps de les analyser sérieusement avant de se prononcer. Les chefs syndicaux ont aussi attendu à la dernière minute avant le vote officiel pour annoncer que les délégués avaient pris position contre l’entente intersectorielle.
En se positionnant ouvertement en faveur de l’entente et en intimidant les opposants, Gingras exprimait la position de tous les dirigeants du Front commun. L'ex-président de la CSQ et du Syndicat de Champlain, Réjean Parent, écrivait au début janvier dans le Journal de Montréal que «la négociation du secteur public est terminée», et qu' «à défaut de conclure avec le gouvernement» les «réfractaires courent le risque de se voir imposer leur convention collective».
La nouvelle trahison du Front commun n’est que la continuation de la politique de collaboration que mènent les syndicats depuis des décennies. Ils ont été transformés, à partir des années 80, en agents directs du grand patronat au sein du mouvement ouvrier. Siégeant sur comités tripartites et contrôlant de riches fonds d’investissement comme le Fonds de solidarité, les chefs syndicaux travaillent d'arrache-pied pour imposer les fermetures d'usines, les licenciements de masse et les compressions budgétaires.
Foncièrement nationaliste, la bureaucratie syndicale a également tissé des liens étroits avec le parti de la grande entreprise qu'est le Parti québécois. Durant la grève étudiante de 2012, par exemple, les syndicats ont isolé les étudiants avant de canaliser leur lutte derrière l’élection du gouvernement péquiste de Pauline Marois, qui a rapidement imposé ses propres mesures drastiques d’austérité tout en attisant le chauvinisme anti-musulman.
Afin d'éviter une nouvelle défaite, les travailleurs du secteur public doivent rejeter l'entente de trahison du Front commun et enlever la conduite de leur lutte des mains de la bureaucratie syndicale. Ils doivent bâtir des comités de la base, indépendants des syndicats, afin d'organiser une vaste contre-offensive de tous les travailleurs à travers le Québec et le Canada pour défendre les emplois, les pensions et tous les services publics. Un tel mouvement anti-austérité doit se baser sur la perspective socialiste de l'égalité sociale et la lutte pour un gouvernement ouvrier.