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Les bureaucrates d’Unifor accueillent Trudeau en héros

Par Roger Jordan
31 août 2016

Trudeau a été présenté au président d’Unifor Jerry Dias, qui supervise présentement les négociations de conventions collectives avec les trois géants de l’automobile de Detroit, au cours desquelles le syndicat offre à nouveau des coupes et des reculs en échange de fausses garanties d’emplois.

Dias a dénoncé le gouvernement conservateur de Stephen Harper, avant de faire l’éloge de Trudeau, proclamant que l’élection du dirigeant libéral aux élections d’octobre dernier l’avait à nouveau rendu «fier» d’être canadien.

«La première fois que j’ai rencontré Justin Trudeau, a dit Dias, il parlait de l’importance des travailleurs – il parlait de l’importance du mouvement ouvrier – un mouvement ouvrier puissant qui jouerait un rôle incroyable dans une économie forte.»

Dias ment de manière éhontée quand il présente Trudeau comme un politicien dévoué aux travailleurs. Les libéraux sont le parti de gouvernement préféré de la grande entreprise canadienne de longue date. Lors de leur dernier mandat, ils ont imposé les coupes sociales les plus importantes dans l’histoire du pays et déployé les Forces armées canadiennes dans des guerres menées par les États-Unis en Yougoslavie et en Afghanistan.

Lors des élections de l’automne dernier, l’élite dirigeante s’est à nouveau tournée vers les libéraux, calculant qu’ils seraient mieux placés pour imposer l’austérité au pays et la guerre à l’étranger que le vieux gouvernement Harper discrédité.

Il y a eu un virage rhétorique sous le nouveau gouvernement. Trudeau fait semblant d’être touché par «la classe moyenne et ceux qui peinent à en faire partie» et présente le Canada comme un pays du «maintien de la paix», plutôt qu’une nation de «guerriers» à la Harper. Mais les libéraux tentent également d’entretenir systématiquement la bureaucratie syndicale et, en particulier à travers la politique identitaire, d’autres sections privilégiées de la classe moyenne supérieure, afin d’avoir une base sociale plus large pour l’assaut contre la classe ouvrière. Alors que Harper provoquait les «chefs syndicaux», Trudeau sollicite leur collaboration pour renforcer la «compétitivité», c’est-à-dire les profits de la grande entreprise canadienne, et réprimer toute opposition des travailleurs.

Il est peu surprenant que les applaudissements les plus retentissants pour Trudeau aient été entendus lorsqu’il a promis d’abroger les lois C-377 et C-525 du gouvernement Harper, des lois antidémocratiques qui ont eu un impact négatif sur les représentants syndicaux en imposant de lourdes contraintes sur les dépenses et activités syndicales, et en rendant l’accréditation syndicale plus difficile. Les libéraux ont déjà entrepris de rétablir les allégements fiscaux pour les fonds d’investissement contrôlés par les syndicats dont le gouvernement Harper voulait entièrement se débarrasser l’an prochain.

Lors de son discours mercredi, Trudeau a de nouveau souligné qu’il apprécie les syndicats en tant que partenaires et qu’il compte sur eux pour étouffer l’opposition quand le gouvernement sera forcé de prendre des décisions impopulaires. «Nous ne sommes peut-être pas toujours d’accord sur tout», a dit le premier ministre. «En fait, nous serons parfois en désaccord. Mais notre relation plus large repose sur des buts communs – voulant dire par là assurer les profits et la position mondiale du capitalisme canadien.

Trudeau a également fait l’éloge de la première ministre néodémocrate de l’Alberta, Rachel Notley, qui a pris la parole devant le Congrès d’Unifor plus tard mercredi.

Les syndicats – et particulièrement les Travailleurs canadiens de l’auto (TCA), le prédécesseur d’Unifor – étaient traditionnellement identifiés au NPD social-démocrate. Mais au cours des deux dernières décennies, les syndicats se sont de plus en plus ouvertement ralliés aux libéraux.

Le NPD, pour sa part, s’est également orienté encore plus vers la droite. Lors de la dernière campagne électorale fédérale, il a défendu une plate-forme de budgets équilibrés et d’augmentation des dépenses militaires très semblable à celle de Harper.

L’accueil par Unifor et toute la bureaucratie syndicale du gouvernement de la grande entreprise et proguerre de Trudeau révèle le caractère anti-ouvrier de ces organisations. Les syndicats se sont transformés au cours des trois dernières décennies en divisions du patronat et de l’État, appliquant les ordres de l’élite corporatiste et financière contre ses propres membres tout en s’enrichissant au passage.

En présentant Trudeau, Dias a célébré les politiques de son gouvernement, les décrivant comme «un départ exemplaire pour les travailleurs». En fait, le nouveau gouvernement a maintenu le cadre financier réactionnaire créé par des décennies de coupes dans les dépenses publiques et de réductions d’impôt pour la grande entreprise que les riches ont mises en place à travers des gouvernements libéraux et conservateurs successifs.

Le premier budget de Trudeau du mois de mars contenait un plan pour transférer des milliards de dollars des fonds publics vers des projets d’infrastructure afin de renforcer les profits des entreprises et élargir l’économie.

Mais l’économie que dirigent les libéraux est en profonde crise en raison de la chute des prix du pétrole et d’autres matières premières ainsi que du ralentissement mondial du capitalisme. Les libéraux ont promis d’imposer au moins 6 milliards $ par an en mesures d’austérité avant la prochaine élection, et ce nombre va sans aucun doute augmenter avec la croissance du déficit et les prévisions sans cesse à la baisse.

En politique étrangère, les libéraux continuent pleinement les politiques militaristes et proguerres de Harper. Ils ont intensifié les déploiements canadiens dans la guerre au Moyen-Orient, envoyé des troupes en Europe de l’Est pour confronter la Russie et se préparer à la guerre, et, sous le prétexte du «maintien de la paix», ils proposent d’envoyer jusqu’à 1000 soldats et des avions de guerre en Afrique pour soutenir les intérêts de l’impérialisme canadien dans la région. De plus, le gouvernement utilise sa révision de la politique de défense, la première en plus de deux décennies, pour préparer le terrain à des augmentations considérables des dépenses militaires – des dépenses qui devront être financées en confisquant davantage de ressources à la classe ouvrière à travers des réductions dans les dépenses sociales.

Les syndicats ont joué un rôle clé pour placer ce gouvernement de droite au pouvoir. Après la défaite des libéraux en 2006, ils ont systématiquement travaillé pour les ramener au pouvoir, les présentant comme une solution de rechange progressiste aux conservateurs.

À partir de septembre 2014, avec Unifor en tête, les syndicats ont mené une campagne prolibérale «N'importe qui sauf Harper», dépensant des millions pour la promotion du «vote stratégique». Pendant ce temps, le NPD, avec l’encouragement des syndicats, a dit qu'il était prêt à former un gouvernement de coalition avec les libéraux pour soutenir un gouvernement libéral minoritaire.

À peine une semaine après l’entrée au gouvernement de Trudeau, plus de 100 bureaucrates syndicaux de haut rang ont rencontré le premier ministre en privé pour confirmer leur volonté de coopérer avec le gouvernement. En même temps, Hassan Yussuf, le président du Congrès du travail du Canada (CTC), s’est réjoui de la visite de Trudeau: «Tout le monde qui a quitté la salle était ravi de sa visite, et on sentait vraiment qu’il était sincère dans ce qu’il disait.»

Les syndicats se sont appuyés sur la complicité de leurs apologistes dans la pseudo-gauche qui, qu’ils aient appuyé ouvertement la campagne «N'importe qui sauf Harper» ou gardé leur distance pour des raisons tactiques, ont maintenu un silence total sur l’appui des syndicats pour les libéraux et les plans du NPD de rejoindre ou appuyer un gouvernement libéral. Parmi les plus fervents défenseurs du «vote stratégique», on peut nommer le président du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) Mike Palecek, un ancien dirigeant de Fightback, la section canadienne de la Tendance marxiste internationale mal nommée. Au cours des dernières semaines, Palecek a défendu l'idée que les travailleurs de la poste ne devaient pas se mettre en grève pour s'opposer aux demandes de reculs majeurs de Postes Canada afin de ne pas faire obstruction au processus de révision de la poste par le gouvernement libéral – une révision dont le point de départ est que la poste doit fonctionner comme une entreprise à profit.

La campagne «N'importe qui sauf Harper» était le résultat d’une décennie de collaboration entre les syndicats et les libéraux en Ontario, la province la plus peuplée du Canada. Terrifiés par une insurrection de masse contre la «Révolution du bon sens» des progressistes-conservateurs dans les années 1990 qui a provoqué des protestations de masse et des grèves contre le programme de droite de Mike Harris, les syndicats se sont tournés vers les libéraux pour favoriser l’élection d’un gouvernement mené par Dalton McGuinty en 2003.

Au cours des treize dernières années, les libéraux, avec l’appui et la complicité des syndicats, ont déclenché un vaste assaut contre les emplois et le niveau de vie des travailleurs. Parmi les mesures les plus dévastatrices, on doit noter l’imposition d’un salaire horaire de 20 dollars et la réduction des avantages sociaux dans l’industrie de l’automobile avec l’assistance du gouvernement Harper au lendemain de la crise financière de 2008, la privatisation de services publics tels qu'Hydro One, et des coupes dévastatrices dans les dépenses publiques.

Plusieurs employés clés du gouvernement Trudeau ont bâti leur carrière politique dans le gouvernement libéral de l’Ontario et sont déterminés à utiliser les services des syndicats afin de mener des attaques tout aussi destructrices contre les travailleurs à travers le Canada.

(Article paru d'abord en anglais le 27 août 2016)