Syrie: La guerre par procuration des Etats-Unis et de la Russie s’intensifie
Par Thomas Gaist
13 octobre 2015
Dans une offensive conjointe, une coalition de forces militaires des gouvernements russe, iranien et syrien a repris ce week-end des localités stratégiques dans le centre de la Syrie aux milices islamistes appuyées par les Etats-Unis.
Des avions de combat russes ont lancé quelque 70 frappes en soutien aux attaques menées par les troupes gouvernementales syriennes et des milices iraniennes contre des villes tenues par les rebelles dans la région montagneuse de Tal Skik. Les régions reprises avaient été occupées au début de cette année par des groupes islamistes intégristes, dont le Front al-Nosra et d’autres rebelles liés à al Qaïda et directement alliés à Washington et ses alliés. Les affrontements entre forces soutenues par les Etats-Unis et par la Russie montrent l’énorme danger d’une nouvelle escalade de la guerre syrienne. Moins de cinq ans après son début, la guerre civile fomentée par les Etats-Unis a mis les forces américaines et russes dans deux camps opposés d’une guerre par procuration explosive.
La décision de Moscou d’intervenir directement dans la guerre a entraîné une escalade brutale de la propagande antirusse et des annonces que l’engagement américain en Syrie allait s’intensifier.
Dans un communiqué publié vendredi, le Pentagone a confirmé ses plans d’étendre de nouvelles formes d’aide militaire aux milices nationales kurdes et aux combattants islamistes sunnites. L’armée américaine donnera des « équipements et des armes » à un « groupe désigné de dirigeants passés au crible et à leurs unités, » a dit vendredi un responsable du Département d’Etat.
Obama avait confirmé vendredi que la Maison Blanche soutiendrait une nouvelle aide militaire à des groupes de militants combattant dans le Nord de la Syrie. Dans une interview dimanche à l’émission d’informations 60 Minutes diffusée par CBS, Obama a également reconnu que la Maison Blanche renonçait aux restrictions qui limitent, du moins officiellement, l’apport d’aide militaire américaine aux milices « modérées. »
« Mon but a été d’essayer de tester… si nous pouvions entraîner et équiper une opposition modérée qui soit prête à combattre l’Etat Islamique (EI). Et ce que nous avons appris c’est que tant qu’Assad est au pouvoir, il est difficile de faire que ces gens concentrent leur attention sur l’EI, » a dit Obama.
Malgré son engagement pour une nouvelle escalade en Syrie, le gouvernement Obama a continué d’être la cible de dénonciations véhémentes de la part de sections ultra-droitières de la classe dirigeante américaine. Une nuée d’articles et de commentaires récents a clairement montré que de puissantes factions à Washington ne veulent rien moins qu’une intervention militaire en grand des Etats-Unis pour chasser d’Assad par tous les moyens.
Dans un éditorial titré « Ne permettez pas le projet de Poutine pour la Syrie, » le Washington Post a préconisé dimanche la création d’un « abri sûr » militarisé américano-turc au Nord de la Syrie, sous couvert d’une zone d’exclusion aérienne, le tout combiné à de nouvelles initiatives pour la mobilisation contre Assad de milices agissant par procuration.
« Les Etats-Unis n’ont pas besoin de faire la guerre à la Russie pour prendre des mesures face à M. Poutine et préserver les intérêts vitaux des Etats-Unis. L’aide aux forces modérées qui luttent contre le gouvernement Assad devrait être accélérée. Les rebelles ont désespérément besoin de plus de missiles américains antichars. Une zone de sécurité doit être établie dans le nord de la Syrie en coopération avec la Turquie où il est possible de protéger des civils. Plutôt que de donner des leçons à M. Poutine, il faudrait lui fixer des lignes rouges à ne pas franchir; sinon, son agression s’amplifiera, » écrit le Post.
Un article publié vendredi par la Brookings Institution sous le titre « L’enchevêtrement syrien de la Russie : l’Ouest peut-il se contenter d’attendre tranquillement ? » exige une intervention plus directe des Etats-Unis dans le nord de la Syrie.
« La Turquie est profondément contrariée par le soutien direct de la Russie au régime Assad et indignée par les violations de son espace aérien et le danger d’une guerre aérienne si près de ses frontières. Les déclarations de soutien émanant du quartier général de l’OTAN ne suffisent pas; pour le moins il faudrait annuler la décision de retrait des batteries de missiles Patriot sol-air, » a écrit l’auteur de l’article, Paul K. Baev.
Il explique que les Etats-Unis et l’OTAN doivent engager des préparatifs militaires antirusses en Turquie semblables à ceux de l’OTAN en Europe de l’Est et dans les pays baltes après le coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis à Kiev.
« L’année dernière, quand l’Estonie et la Lettonie étaient soumises à des pressions de la part de la Russie, l’OTAN avait mobilisé les ressources et la volonté politique pour renforcer leur sécurité – et les provocations aériennes russes sur la scène des pays baltes ont quasiment cessé. La Turquie a pleinement le droit d’en attendre tout autant, » a conclu Baev.
Témoignant la semaine passée devant le Comité des forces armées du Sénat, sous le thème « La stratégie russe et les opérations militaires, » la vice-présidente du Centre for Strategic & International Studies, Heather Conley, avait fait des dénonciations tous azimuts de la Russie et affirmé que Moscou était « redevenu un acteur géopolitiquement déstabilisateur, » résolu à « reconstruire une version 21ème siècle du rideau de fer. »
« Le Kremlin récuse les règles internationales de l’ordre post-Deuxième Guerre mondiale et les règles relatives à l’intégrité territoriale et à la transparence et que les prédécesseurs soviétiques de Poutine avaient acceptées. La question est la suivante : est-ce que les Etats-Unis et leurs alliés acceptent les nouvelles règles et le nouveau rideau de Poutine pour qu’[il] obtienne son grand compromis ou est-ce que l’Occident est disposé à défier et à rejeter pleinement ce concept, comme il l’avait fait durant la période de la guerre froide, » a demandé Conley.
Pour sa part, Poutine et son gouvernement agissent dans l’intérêt de l’oligarchie capitaliste russe corrompue issue de la dissolution de l’Union soviétique. L’entrée de la Russie dans la guerre syrienne toutefois, découle des impératifs de la lutte entre Etats-nations rivaux. La politique de Moscou est une réponse à la politique étrangère de l’élite dirigeante américaine qui a activement œuvré dans le but de limiter la sphère d’influence de la Russie et finalement de réduire le pays même à une mosaïque de mini-Etats néocoloniaux.
Selon un récent rapport, « Le contexte des actions de Poutine en Syrie, » produit par Anthony Cordesman, un influent analyste au Centre pour les études stratégiques et internationales, l’engagement russe en Syrie fait partie d’une stratégie développée par le gouvernement Poutine en réaction aux « révolutions de couleur » organisées par les Etats-Unis en Europe de l’Est et en Asie centrale. Parmi les plus importantes figurent la révolution orange en Ukraine en 2004, la révolution des tulipes en 2005 au Kirghizistan, la révolution rose en Géorgie en 2003 et le coup d’Etat ukrainien en 2014 ainsi que le conflit en cours en Syrie.
Les « révolutions » fomentées par les Etats-Unis sont considérées au sein des cercles dirigeants russes comme « représentant à court terme une menace potentielle pour la Russie, la Chine et les Etats asiatiques non alignés sur les Etats-Unis, ainsi qu’un moyen de déstabiliser les Etats du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Asie centrale et d’Asie méridionale, » selon Cordesman.
« De hauts gradés et des fonctionnaires-clés russes ont exprimé l’opinion que les Etats-Unis et l’Occident voulaient délibérément déstabiliser, à leurs propres fins, des Etats d’Afrique du nord, du Moyen-Orient et du reste du monde… Ils considèrent que l’Occident rejette tout partenariat et constitue une menace pour la Russie le long de ses frontières avec l’Europe, » écrit Cordesman.
« Les officiers militaires russes ont lié le terme révolution de couleurs à la crise en Ukraine et à ce qu’ils ont jugé être une nouvelle approche américaine et européenne de la guerre, axée sur la création de révolutions déstabilisantes dans d’autres Etats, » a-t-il conclu.
Autre indication des dangers mondiaux posés par la guerre syrienne, de récents articles ont suggéré que l’Armée de libération du peuple chinois s’apprêterait peut-être à déployer des navires de guerre, des forces de l’aéronautique navale et de petits groupes de contingents terrestres et de conseillers militaires en soutien aux opérations militaires menées par la Russie en Syrie. Selon un responsable de l’armée syrienne cité par le journal Al-Masdar al-’Arabi basé au Liban, des dizaines de conseillers militaires chinois doivent se déployer à partir de navires de guerre s’approchant de la côte syrienne.
Selon de récents articles, des bâtiments de guerre chinois, dont un porte-avion nommé Liaonon, patrouillent déjà dans certaines zones de la Méditerranée. La Chine cherche à étendre sa présence navale sur les principales voies maritimes commerciales en participant à des « opérations antipirates » organisées par l’Union européenne dans le cadre d’une réponse militarisée à l’afflux de réfugiés en provenance de Libye et de Syrie.
(Article original paru le 12 octobre 2015)