L’OTAN et la Turquie défendent la destruction en vol du bombardier russe
Par Thomas Gaist
3 décembre 2015
Lors de remarques conjointes avec le premier ministre turc Ahmet Davutoglu lundi, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a défendu la destruction en vol d’un bombardier russe par l’aviation turque la semaine dernière.
L’OTAN « soutient pleinement les efforts de la Turquie pour défendre son intégrité territoriale et son espace aérien », a déclaré Stoltenberg. Il a conclu en disant « La Turquie a le droit de se défendre y compris son espace aérien ».
Stoltenberg a annoncé qu’en réponse à l’attaque l’OTAN allait accroître son soutien à la défense militaire de la Turquie et prendre des décisions spécifiques concernant de nouveaux déploiements de forces de l’Alliance en Turquie dans un avenir immédiat.
Il a également déclaré que l’OTAN devait se préparer à des opérations militaires lointaines le long de ses deux flancs, méridional et oriental.
Les commentaires de Stoltenberg suivaient une défense catégorique et similaire de l’attaque de l’avion russe par Davutoglu, qui se tenait à côté de lui.
« La frontière turco-syrienne est une frontière de sécurité nationale, et c’est aussi une frontière de l’OTAN. Sa violation est également une violation contre l’OTAN » a déclaré Davutoglu. « Aucun pays ne devrait nous demander de nous excuser. »
Les remarques de deux dirigeants contenaient des références inquiétantes à des attaques similaires à l’avenir ; leur langage montrait clairement leur conviction que d’autres engagements et accidents hostiles se produiront entre diverses armées se disputant les morceaux de la Syrie.
« S’il y a deux coalitions opérant contre l’EI dans le même espace aérien, ce type d’incident sera difficile à éviter », a déclaré Davutoglu.
Stoltenberg a averti à plusieurs reprises que de nouveaux « mécanismes de réduction des risques » étaient nécessaires pour réglementer les opérations de guerre de toute une série de gouvernements à l’intérieur de la Syrie.
Le secrétaire général de l’OTAN a également reconnu que les incidents explosifs et l’éruption de conflits entre diverses puissances étaient pratiquement inévitables et demanda des garanties destinées à contenir de telles explosions en dehors d’une guerre véritable.
Alors même qu’il cherchait à défendre l’attaque comme une simple question de procédure militaire Davutoglu a pratiquement admis dans le même souffle que la frappe avait été menée comme une mesure politique en réponse au ciblage par la Russie des milices turkmènes soutenues par Ankara.
Davutoglu a insisté pour dire que les avions russes dans la région où l’attaque a eu lieu, n’étaient pas en train de bombarder l’EI (ou ‘Daech’). « Il n’y a pas de position de Daech dans cette partie de la Syrie. Le bombardement que faisait [l’avion russe] n’était pas contre Daech » a déclaré Davutoglu.
Le Premier ministre turc a dénoncé la Russie pour avoir bombardé Idlib, disant que l’EI n’était pas présente là-bas; il a accusé les avions russes d’avoir frappé un convoi de ravitaillement humanitaire en route pour Alep.
Presque simultanément à la dénonciation par Davutoglu des raids russes contre Idlib de nouvelles informations indiquaient que les forces spéciales américaines tenaient depuis des mois dans cette ville un centre d‘opérations secrètes.
Selon un article paru lundi dans le Guardian, Idlib servait de base d’opérations à des missions de combat dirigées par des commandos américains. Les forces américaines basées à Idlib dirigeaient directement les combats, ce qui contredit les assurances répétées de l’Administration Obama que les forces américaines n’étaient pas engagées dans les combats au sol.
À la lumière de ces révélations, les bombardements russes contre Idlib soulignent les immenses dangers posés par les interventions croissantes de l’OTAN et de la Russie en Syrie. Étant donné le caractère secret de la base américaine, les frappes russes auraient facilement pu entraîner des pertes américaines importantes.
Lors de leurs déclarations de lundi les dirigeants de l’OTAN et de la Turquie ont formulé leurs remarques de façon conciliante. La Turquie a été jusqu’à récupérer et restituer la dépouille d’un des pilotes russes à Moscou, a rapporté CNN lundi.
Malgré ces gestes symboliques de sympathie envers Moscou, le contenu essentiel des remarques de Davutoglu et Stoltenberg fut de défendre la destruction de l’avion russe, présentant la frappe comme une procédure standard pour toute intrusion dans l’espace aérien turc.
Les données disponibles suggèrent fortement cependant que l’attaque a été ordonnée à l’avance par le gouvernement turc, après consultation avec les dirigeants des États-Unis et ceux de l’OTAN, comme une provocation intentionnelle. L’avion russe avait pénétré dans l’espace aérien turc pour quelques secondes avant d’être abattu ce qui ne laisse guère que la conclusion que les forces turques avaient ordre de se saisir du moindre prétexte pour effectuer une telle frappe.
L’incident a servi à mettre des bâtons dans les roues des négociations entre les puissances occidentales et la Russie, par lesquelles des factions de la bourgeoisie européenne cherchaient un rapprochement avec Moscou sur la Syrie.
Ces manœuvres diplomatiques ont été dès le début regardées avec suspicion et hostilité par les militaristes et les éléments extrémistes anti-russes les plus durs au sein de l’élite dirigeante. Vu que le principal effet politique de la destruction de l’avion a été de faire échouer ces négociations et de préparer les conditions d’une nouvelle escalade militaire englobant de larges parties de la Syrie et de l’Irak, il n’est pas difficile d’y voir la main des États-Unis et de l’OTAN.
La Russie a réagi à l’attaque en équipant ses avions de chasse en Syrie de nouveaux missiles air-air en plus du déploiement d’unités de missiles antiaériens. Cela survient juste après de nouveaux déploiements d’avions américains F-16 Dogfighters à la frontière turco-syrienne.
Après avoir utilisé le bâton, l’OTAN prépare une nouvelle série de pressions diplomatiques sur la Russie pour complémenter le renforcement imminent de ses armées et opérations secrètes au Moyen-Orient et en Europe de l’Est.
Des conférences de l’OTAN devaient mardi et mercredi se concentrer sur « l’affrontement de la Russie sur le plan pratique et politique », avait déclaré Stoltenberg.
Les entretiens de mercredi devaient être précédés de l’annonce probable de l’admission du Monténégro dans l’Alliance atlantique, un événement qui marquera une nouvelle extension du contrôle occidental sur l’ex-Yougoslavie au détriment de la Russie.
(Article paru d’abord en anglais le 1er décembre 2015)