Le régime égyptien condamne à mort près de deux cents personnes
Par Mike Head
6 décembre 2014
Sûr de l’appui des Etats-Unis et de leurs alliés, le régime militaire égyptien a présidé jeudi, lors d’un seul procès de masse, à la condamnation à mort d’environ 200 personnes.
Il s’agit de la troisième sentence de masse depuis avril, en apparence pour le meurtre de quelques policiers lors d’émeutes. Elle survient dans le contexte d’une répression grandissante de la junte dirigée par le président Abdel Fattah al-Sissi dans le but d’intimider et de terroriser la classe ouvrière égyptienne. A eux seuls, ces seuls trois procès-spectacle eurent pour conséquence la condamnation à mort de 1.397 personnes.
Par ce verdict, les autorités égyptiennes ont déclaré une nouvelle fois leur intention d’écraser toute résistance à la dictature militaire. Elles reprennent les méthodes employées par la dictature de l’ancien président Hosni Moubarak dont les tribunaux avaient condamné à mort quelque 709 personnes entre 1981 et 2000, dont au moins 248 furent exécutées.
Un juge a prononcé les 185 condamnations à la peine capitale cinq jours seulement après qu’un tribunal du Caire rejeta pour ‘raison techniques’ les accusations portées contre Moubarak (Voir: « L’acquittement de l’ex-dictateur égyptien Hosni Moubarak »). L’ancien dictateur, soutenu par les Etats-Unis, était poursuivi pour le meurtre de 846 manifestants non armés et pour les blessures infligées à 6.000 autres par des tireurs d’élite de la police et des hommes de main durant la première phase de la révolution égyptienne début 2011.
Le moment choisi pour prononcer ces deux verdicts montre l’usage que fait le régime des tribunaux dans la poursuite de son programme. Le dernier procès en date, tout comme les deux sentences de masse précédentes, fut une nouvelle parodie de justice.
Au total, 188 prisonniers ont été accusés d’être des partisans des Frères musulmans (FM), qui sont frappés d’interdiction, et inculpés du meurtre de 11 policiers en août 2013 durant l’attaque d’un commissariat de police dans la ville de Kardasa. Deux des accusés sont morts durant leur détention en prison ; un autre, qui est mineur, ne peut pas être condamné à mort, a déclaré un avocat au New York Times.
Selon le même rapport, aucun effort ne fut entrepris pour prouver que les accusés avaient personnellement tué un des policiers. Plus d’une centaine d’inculpés n’eurent pas droit à des avocats. Des dizaines de témoins de la défense ne furent pas admis dans la salle d’audience. Une cinquantaine d’accusés, qui n’étaient même pas présents, furent condamnés par contumace
En plus des précédents procès à grande échelle du mois d’avril – l’un impliquant 529 prisonniers et l’autre 683 – les tribunaux du régime ont prononcé de nombreuses condamnations à mort pour des groupes de partisans des FM plus petits, partout en Egypte.
Le jugement de mardi fut prononcé relativement à des émeutes et à des attaques menées contre des postes de police après que les forces de sécurité du régime aient massacré le 14 août 2013 près d’un millier de personnes rassemblées sur la place Rabaa al-Adawiya au Caire. Les personnes tuées par les forces de sécurité étaient des partisans de Mohamed Morsi, le président élu que la junte militaire avait évincé du pouvoir lors du coup d’Etat militaire de juillet 2013.
Le New York Times a rapporté que les recours en appel contre les précédentes condamnations à mort continuaient et a affirmé qu’« il [était] peu probable qu’aucune des peines de mort prononcées l’année dernière pour des actes de violence politique ait été appliquée ou le sera dans un avenir proche. »
De telles assurances sont fausses. Les groupes contre la peine de mort rapportent qu’au moins neuf personnes ont été pendues en Egypte depuis juin – les premiers condamnés à mort exécutés depuis le 1er octobre 2011. Bien qu’aucune de ces exécutions n’auraient en fait été une affaire politique, elles créent un véritable précédent.
Depuis le limogeage de Morsi par l’armée l’année dernière, au moins 1.400 des partisans de ce dernier ou d’autres personnes ont été tués lors de la répression brutale contre des manifestations s’opposant à la prise de contrôle de l’armée. Quelque 22.000 personnes ont été arrêtées, dont la plupart des hauts dirigeants des FM. Des milliers restent emprisonnés sans inculpation pour des raisons politiques et nombre d’entre eux sont détenus dans des centres de torture clandestins.
Alors que cette répression vise en premier lieu les FM, elle a une portée plus grande – la classe ouvrière égyptienne qui s’est soulevée par deux fois depuis 2011, d’abord contre Moubarak puis de nouveau contre Morsi. La presse a également été ciblée dans le but d’étouffer toute couverture médiatique des méthodes d’Etat policier employées par le régime.
Le même juge qui a imposé les dernières peines de mort, Mohammed Nagi Shehata, avait condamné dernièrement trois journalistes d’Al Jazeera à au moins sept ans de prison pour avoir prétendument conspiré avec les FM afin de diffuser de fausses informations et déstabiliser l’Egypte. Et ce, malgré l’absence de toute preuve montrant qu’ils auraient collaboré avec les FM ou publié des informations fausses.
Tout comme Washington avait soutenu la répression de Moubarak de 1981 à 2011, les récents jugements n’auraient pas pu être rendus sans l’appui du gouvernement Obama. La Maison Blanche n’a fait aucune déclaration sur les récentes sentences capitales et le Département d’Etat a refusé de commenter l’acquittement de Moubarak, renvoyant directement les journalistes au gouvernement égyptien.
Plus la junte d’al-Sissi augmente ses brutalités, et plus le gouvernement Obama la défend. Après avoir initialement fait allusion après le coup d’Etat militaire à une éventuelle suspension d’aide à l’Egypte, comme le prescrit la loi américaine, la Maison Blanche a garanti le maintien du flux d’aide annuelle de 1,5 milliards de dollars, la plus grande partie sous forme d’aide militaire.
En avril dernier, après que les précédentes condamnations de masse à mort ont été prononcées, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a souhaité la bienvenue à Washington (voir : « Le régime égyptien, qui est soutenu par les Etats-Unis, condamne 683 personnes à mort ») à son homologue égyptien, le ministre des Affaires étrangères Nabil Fahmy. A cette occasion, Kerry avait déclaré que l’Egypte restait « un partenaire stratégique crucial » des Etats-Unis et fait l’éloge du régime pour ses « mesures positives » vers la démocratie.
Après des rencontres en septembre entre al-Sissi et Bill et Hillary Clinton, l’ancien président et l’ancienne secrétaire d’Etat, suivies de rencontres avec les anciens secrétaires d’Etat Henry Kissinger et Madeleine Albright, le président Barack Obama lui-même eut des entretiens avec le dictateur et déclara que « les relations entre l’Egypte et les Etats-Unis constituent depuis très longtemps une pierre angulaire importante de notre politique de sécurité et de notre politique au Moyen-Orient. »
Dopé par ce soutien, al-Sissi est allé plus loin. Il a promulgué des décrets pour consolider le pouvoir de l’armée, ce qui comprend la restauration des procès en cour martiale pour toute personne accusée de s’en prendre à des installations clé du secteur public, telles les centrales électriques, le réseau de distribution électrique, les oléoducs, les installations pétrolières et gazières et le réseau de transport en commun, qui sont tous actuellement placées sous la garde de l’armée.
A chaque étape de la révolution égyptienne qui a renversé Moubarak en février 2011 l’armée, soutenue par les Etats-Unis, a concentré ses efforts pour étouffer l’opposition et empêcher un soulèvement politique indépendant de la classe ouvrière. Après avoir initialement accepté de destituer Moubarak pour barrer la route à la classe ouvrière, les généraux ont, après l’arrivée au pouvoir de Morsi en juin 2012, collaboré étroitement avec les FM pour contenir la révolution.
Les organisations libérales et soi-disant de gauche ont ensuite canalisé à nouveau les grèves de masses et les manifestations des travailleurs contre Morsi et les FM derrière l’armée affirmant que le coup d’Etat organisé par cette dernière en juillet 2013 faisait partie d’une « seconde révolution. » Comme le confirment une fois de plus les condamnations à mort prononcées mardi, la montée d’al-Sissi marque le retour aux méthodes brutales de la dictature de Moubarak.
(Article original paru le 4 décembre 2014)