Suite à des tirs perdus la Turquie attaque la Syrie
Par Bill Van Auken
5 octobre 2012
L’armée turque a attaqué mercredi, 3 octobre, la Syrie après que des tirs d’obus en provenance de la Syrie ont tué cinq personne dans une ville frontalière turque. Suite à l’invocation de l’accord de l’OTAN qui prévoit la défense collective, le risque d’une intervention directe de l’Occident est en train de croître dans cette guerre civile qui fait rage en Syrie depuis 18 mois.
Les services du premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan ont publié mercredi soir une déclaration écrite annonçant que l’artillerie turque a ouvert le feu sur les forces syriennes.
Des sources de Damas ont rapporté que diverses cibles avaient été touchées à Idlib, une ville d’environ 100.000 habitants située dans le Nord-Ouest de la Syrie et qui a été le théâtre de combats féroces durant la guerre civile.
« Cette attaque horrible a fait l’objet d’une riposte immédiate de nos forces armées dans la région frontalière, conformément à leurs règles d’intervention, » a précisé le communiqué. « Des cibles ont été touchées par des feux d’artillerie sur des endroits identifiées par radar en Syrie. La Turquie ne laissera jamais sans riposte de telles provocations du régime syrien contre notre sécurité nationale. »
La déclaration ajoute que la Turquie a contacté le patron de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, pour demande une « réunion d’urgence » des membres de l’OTAN. Membre de longue date de l’alliance menée par les Etats-Unis, la Turquie est habilitée à convoquer une telle réunion en vertu de l’article 4 de la convention de l’OTAN qui permet aux Etats membres d’engager des consultations lorsque leur sécurité est menacée.
Après une réunion tardive à Bruxelles, l’OTAN a publié un communiqué disant qu’elle « condamn[ait] fermement la Syrie » et affirmait « sa solidarité » à la Turquie, en prévenant la Syrie de cesser immédiatement de « tels actes agressifs et de mettre un terme à ses violations du droit international. »
L’attaque turque a été ordonnée en réponse à ce qui fut apparemment une frappe accidentelle d’un tir de mortier syrien sur la ville d’Akçakale dans le Sud-Est de la Turquie près de la frontière syrienne. Un obus a touché une maison dans la partie résidentielle de la ville en tuant une femme et quatre enfants. On ne sait pas avec certitude quel camp a été responsable du bombardement, cependant, certains commentateurs ont suggéré en Turquie que cela aurait pu être délibérément mis en scène dans le but de provoquer une intervention turque.
Le ministre syrien de l’Information, Omran Zoabion, a présenté ses condoléances pour les pertes de vie en appelant à la retenue et en disant que le gouvernement était occupé à mener une enquête sur l’incident. Il a attribué les tensions existantes à une situation « frontalière impliquant des groupes terroristes répartis tout au long de la frontière et qui constituent un danger non seulement pour la sécurité nationale syrienne mais aussi pour la sécurité régionale. »
Selon la déclaration qui a émané des services d’Erdogan, la réaction au bombardement tombait sous le coup de la modification des règles d’engagement annoncée par le gouvernement turc après qu’un avion de combat avait été abattu après avoir envahi, le 26 juin, l’espace aérien syrien. A l'époque, la Turquie avait annoncé que toute approche de la frontière par des forces syriennes serait traitée comme un acte d’agression. L’armée turque a depuis renforcé sa présence dans la région.
Les réseaux de télévision turcs ont rapporté mercredi que davantage de chars et de troupes des forces spéciales ont été dépêchés à la frontière.
La menace de représailles avait déjà été lancée par Ankara le week-end dernier après qu’un autre incident lors duquel des tirs égarés avaient touché Akçakale le 28 septembre mais sans faire de victime. La Turquie a averti que toute répétition d’un tel tir entraînerait une riposte.
Ces trois dernières semaines de lourds combats ont fait rage du côté syrien entre les forces du gouvernement syrien et les insurgés soutenus par l’Occident.
Les tensions s’étaient accrues à tel point que précisément mardi, la Russie a lancé un appel à faire preuve de modération et un avertissement pour que les puissances occidentales ne profitent pas de la situation pour prétexter une intervention.
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Gennady Gatilov, a prévenu que les « rebelles » soutenus par l’Occident pourraient délibérément provoquer des combats à la frontière dans le but d’entraîner la Turquie dans le conflit.
« Durant nos contacts avec les partenaires de l’OTAN et dans la région, nous en appelons à eux de ne pas chercher de prétexte pour procéder à une intervention militaire ou pour lancer des initiatives telles des couloirs humanitaires ou des zones tampon, » a dit Gatilov.
En s’adressant à la presse durant une visite officielle au Kazakhstan, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a dit que Washington était « indigné » par le bombardement syrien et ajouté qu’elle s’entretiendrait avec le ministre turc des Affaires étrangères pour déterminer « la meilleure voie à suivre. » Elle a qualifié le débordement de la guerre civile syrienne en Turquie de « situation très, très dangereuse. »
Contrairement à la femme et aux enfants tués à Akçakale, le gouvernement est loin d'être une victime innocente. Et Washington non plus ne peut se réclamer un droit moral pour se proclamer « indigné » par l’effusion de sang.
La Turquie a fourni son territoire comme base pour les opérations de la soi-disant Armée syrienne libre tout en permettant aux Etats-Unis d’installer un centre de commandement et de contrôle de la CIA à Adana, ville du Sud de la Turquie qui abrite aussi la base américaine Incirlik. C’est de là qu’ils coordonnent le flux des armes, de l’équipement, de l’argent et des combattants étrangers pour mener une guerre destinée à renverser le régime du président syrien Bachar al-Assad pour le remplacer par un régime fantoche plus complaisant.
Le gouvernement turc demande vigoureusement l’imposition d’un « couloir humanitaire » qui nécessiterait inévitablement l’intervention directe des avions de combat et des forces terrestres de l’OTAN.
Des officiers de l’armée turque auraient été envoyés en Syrie pour diriger les opérations militaires des insurgés.
La politique belliqueuse d’Ankara envers la Syrie est profondément impopulaire parmi de vastes couches de la population turque qui considèrent que la Turquie sert de pion dans la stratégie de l’impérialisme américain qui cherche à garantir son hégémonie au Moyen-Orient.
La presse turque a rapporté que les morts à Akçakale avaient occasionné une manifestation de colère des habitants qui ont exigé la démission du gouvernement régional. La police a utilisé des gaz lacrymogènes et des bombes au poivre contre la foule avant que le gouverneur du district ne soit emporté dans une voiture blindée.
Des tensions frontalières ont aussi été attisées par la demande d’autonomie grandissante de la population kurde de la Syrie dans le Nord-Est du pays, près de la frontière turque. Ankara a accusé le mouvement kurde syrien de permettre aux guérillas kurdes turques du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) d’opérer là en avançant la menace d’une intervention. Les combats entre l’armée turque et le PKK sont des plus intenses depuis des décennies, suite au déclenchement de la guerre civile en Syrie.
Les affrontements à la frontière turco-syrienne sont survenus le jour même où une attaque terroriste massive a tué près de 50 personnes en en laissant au moins 100 de plus blessés dans le centre d’Alep, la plus grande ville syrienne et sa capitale commerciale. De nombreuses victimes étaient des civils.
Une série d’explosions engendrées par au moins deux attentats suicide à la voiture piégée et des frappes de mortiers, ont dévasté la place Saadallah al-Jabiri près d’un hôtel et du club des officiers de l’armée syrienne à Alep. La force des explosions a démoli les façades des bâtiments donnant sur la place et creusé un trou béant dans la voie publique.
La télévision d’Etat syrienne a condamné les bombardements comme étant des attaques terroristes et a diffusé les images des corps de trois hommes qui y auraient été impliqués. Tous portaient des uniformes militaires et auraient été vêtus de gilets d’explosifs mais ils ont été abattus avant d’avoir pu les faire exploser.
Les attentats suicides à Aled ont eu lieu à peine une semaine après une attaque identique perpétrée contre les quartiers généraux de l'armée syrienne à Damas.
De telles attentats suicides sont la marque de fabrique des forces islamistes liées à al-Qaïda, y compris des milliers de combattants qui ont afflué en Syrie en provenance de la Libye, d’Irak, d’Arabie saoudite et de pays aussi lointains que le Pakistan et la Tchétchénie. Ces éléments jouent un rôle de plus en plus déterminant dans ce qui est devenu une lutte sectaire amère encouragée par Washington et ses alliés.
L’un de ces groupes djihadistes, le soi-disant Front Al-Nusra qui a joué un rôle majeur dans les combats à Alep, a publié une déclaration mercredi revendiquant la responsabilité pour l’exécution sommaire de 20 soldats syrien capturés à la caserne militaire d’Hanano. Le communiqué a qualifié les conscrits assassinés d’« hérétiques », une caractérisation utilisée pour décrire la secte alaouite minoritaire dont Assad est un membre ainsi que d’autres populations musulmanes non sunnites.
(Article original paru le 4 octobre 2012)