Le ministre turc des Affaires étrangères réclame une guerre au nom des « droits de l’homme »
Par Niall Green
23 octobre 2012
Le gouvernement turc a une fois de plus exhorté les Etats-Unis et les puissances européennes à intervenir directement militairement contre la Syrie.
Dans un entretien accordé au journal The Guardian, le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a affirmé qu’une telle intervention était indispensable pour mettre fin à « l’effusion de sang » et pour résoudre la crise des réfugiés en Syrie.
« Nous [la Turquie] allons faire tout notre possible pour aider ces gens en utilisant tous les moyens diplomatiques afin de stopper ce bain de sang, » a dit Davutoglu au chroniqueur et rédacteur en chef adjoint du Guardian, Simon Tisdall. « Mais, il devrait y avoir un effort beaucoup plus concerté de la part de la communauté internationale. Le meilleur moyen que nous avons actuellement est une intervention humanitaire directe. »
Cette déclaration revient à marcher sur la tête, comme Davutoglo et les rédacteurs du Guardian le savent très bien. Ce sont la Turquie et les alliés de l’OTAN, de pair avec les monarchies du Golfe de l’Arabie saoudite et du Qatar et agissant tous sous l’égide du gouvernement des Etats-Unis, qui sont les principaux commanditaires du conflit syrien qui dure depuis 18 mois.
Ces puissances qui sont conduites par Washington ont fourni des centaines de millions de dollars d’argent, d’armes et autre matériel au milices « rebelles » pour lutter contre le gouvernement de Bachar al-Assad en Syrie. Une grande partie de cette aide militaire est allée directement à des groupes extrémistes sunnites, y compris ceux qui ont des liens avec al Qaïda.
Comme le rapportait la semaine passée le New York Times, de hauts responsables des services de renseignement à Washington ont reconnu que « la plupart des armes expédiées sur l’ordre de l’Arabie saoudite et du Qatar pour approvisionner les groupes rebelles combattant le gouvernement de Bachar al-Assad vont aux djihadistes islamistes purs et durs. »
Ces groupes islamistes soutenus par les Etats-Unis ont transformé le conflit en Syrie en une guerre civile sectaire dans laquelle les forces « rebelles » basées sur les Sunnites prennent pour cible les membres des minorités alaouites, chiites, druzes et chrétiennes ainsi que d’autres civils qui refusent de rejoindre ou de soutenir leur « djihad. » Les forces pro-régime ont réagi de la même manière et il existe des rapports faisant état de représailles perpétrées contre des villages et des quartiers servant de bases aux combattants de l’opposition.
A une question posée par Tisdall sur la place qu’occupaient les groupes islamistes purs et durs dans l’opposition syrienne, Davutoglu a répondu en réclamant un déploiement encore plus rapide des forces militaires : « La présence de quelques groupes au sol ne devrait pas servir de prétexte à ne pas être actif. La prolongation de la crise créera un environnement nettement plus critique à ces groupes. Nous devons trouver une solution et agir dès que possible pour éviter un vide du pouvoir en Syrie. »
Davutoglu a réclamé une action militaire directe à l’intérieur des frontières syriennes. « Tous les moyens peuvent être discutés… Il faut qu'il y ait un accès à l’aide humanitaire, une mission humanitaire à l’intérieur de la Syrie et la communauté internationale doit se tenir prête à la protéger. La question est là, s’agit-il d’une zone d’exclusion aérienne ou d’un accès humanitaire – comment ces gens doivent-ils être protégés à l’intérieur de la Syrie. Nous réclamons une mission humanitaire internationale qui aille en Syrie pour endiguer le flot de réfugiés et qui soit protégée. »
L’établissement par la Turquie et ses alliés de « couloirs humanitaires » ou de « zones d’exclusion aérienne » à l’intérieur du territoire syrien correspondrait à une déclaration de guerre contre le régime d'Assad. Ceci nécessiterait une campagne aérienne massive en vue de surmonter les systèmes de défense aériens de la Syrie et qui devra très vraisemblablement être suivie par une invasion de forces terrestres.
« La communauté internationale doit prendre une décision. L’accès humanitaire doit être garanti par tous les moyens appropriés, » a dit le ministre turc des Affaire étrangères.
En faisant référence au rôle militaire plus direct qu’Ankara attend de voir ses alliés à Washington et en Europe jouer dans le conflit syrien, Davutoglu a affirmé qu’il s’attendait à ce que « les grandes puissances de la communauté internationale soient plus fermes, plus décisives et plus claires dans leur politique relative à l’oppression de la Syrie. »
Le fait que Davotuglu a choisi le Guardian pour formuler sa demande belliqueuse n’est pas accidentel. Le journal britannique exprime les opinions libérales et de « gauche » dont la fonction toute particulière est de draper la brutalité impérialiste d’une rhétorique « humanitaire. »
En s’adressant à cette population, Dovutoglu a comparé les combats en Syrie à la guerre en Bosnie et en Herzégovine dans les années 1990, affirmant que la « communauté internationale » ne devrait pas « rester inactive. »
La décennie de brutalité inter-communautaire et qui avait accompagné l’éclatement, soutenu par l’Occident, de la Yougoslavie en 1991, y compris le conflit bosniaque et la guerre aérienne de 1999 menée par les Etats-Unis contre la Serbie, avait fourni l’occasion à toute une couche de politiciens pseudo-gauches, d’universitaires et de journalistes de virer nettement à droite.
Cette couche de gens, dont bon nombre se sont fait un nom grâce à leur implication dans les milieux anti-guerre ou radicaux, se sont forgés des carrières lucratives et sont actuellement totalement intégrés au sein de l’establishment bourgeois. Préoccupés par leurs portefeuilles d’actions, leurs postes dans les groupes de réflexion et leurs articles dans les rubriques des journaux, etc. ils ont pris le prétexte des « droits de l’homme » pour soutenir les interventions impérialistes en Libye et actuellement en Syrie et qui visent à mettre en place des régimes plus complaisants et à renforcer la mainmise des Etats-Unis et des grands groupes occidentaux sur les richesses pétrolières du Moyen Orient et d'Afrique du Nord.
L'impérialisme au nom des « droits de l’homme » trouve ses racoleurs les plus enthousiastes parmi les groupes pseudo-gauches tels le Socialist Workers Party (SWP) en Grande-Bretagne, l’International Socialist Organization (ISO) aux Etats-Unis et le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France, qui tous occultent les véritables intérêts et activités des grandes puissances dans le conflit syrien, tout en présentant la guerre par procuration soutenue par les Etats-Unis en Syrie comme une « révolution ».
(Article original paru le 22 octobre 2012)