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Des combats sanglants ont lieu en Syrie alors que les Etats-Unis insistent sur une intervention

Par Patrick Martin
4 juillet 2012

On a fait état dimanche de violents combats et de massives pertes humaines dans les banlieues de la capitale syrienne Damas, un jour après que la conférence des grandes puissances ait discuté à Genève des exigences américaines pour évincer le président Bachar el-Assad.

L’ampleur et l’intensité des combats ont été sans précédent dans la capitale, l’un des deux principaux bastions du gouvernement Assad avec Alep, la plus grande ville de Syrie et un centre financier et commercial.

Des rapports non confirmés ont suggéré que la banlieue de Douma, un foyer des attaques menées par des « rebelles » soutenus par les Etats-Unis, a été reprise par les troupes du gouvernement syrien sur fond de pertes considérables de part et d’autre et d’un quasi exode de la population civile du district, estimée à 500.000 personnes. De nombreux rapports ont dit que l’Armée syrienne libre, la principale milice soutenue par les Etats-Unis, avait fuit hors de Douma.

Un autre district dans la banlieue de Damas, Zamalka, a été le théâtre samedi d’un bain de sang lorsqu’une quarantaine de personnes furent tuées après qu’un obus de mortier ait touché un cortège funéraire anti-Assad.

D’intenses combats ont également été rapportés de la ville centrale de Homs et de Daraa dans le Sud de la Syrie, près des frontières israéliennes et jordaniennes.

La conférence sur la Syrie, qui s’est tenue samedi à Genève, s’est clôturée sans aucune résolution des divergences entre les Etats-Unis et les puissances européennes d’un côté, et de la Russie, soutenue par la Chine de l’autre. La conférence a convenu de lancer un appel en faveur d’un gouvernement de transition en Syrie sur la base d’un « accord mutuel » au sein des forces politiques du pays. Compte tenu de la guerre civile, une telle formulation est absurde.

La formulation a été acceptée sous la pression exercée par la Russie et la Chine qui ont bloqué l’adoption d’un appel explicite pour le retrait d’Assad du pouvoir. La résolution prévoit expressément la participation des membres du régime actuel dans un quelconque arrangement transitionnel.

Néanmoins, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton et le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, ont tous deux déclaré que la formulation de l’« accord mutuel » signifiait l’élimination d’Assad vu que les forces d’opposition n’accepteront jamais la continuation de son régime.

Mentionnant le communiqué final de la conférence, Clinton a dit lors d’une conférence de presse, « Nous sommes convenus de quelques changements qui à notre avis n’affecteraient pas l’essentiel, parce que franchement, nous voyons que les résultats sont les mêmes. Assad doit partir. Il ne pourra jamais passer le test du consentement mutuel à cause du sang qu’il a sur les mains. »

Fabius a enchaîné en disant dimanche sur le plateau de TF, « Jamais l’opposition ne va accepter Bachar el Assad… Donc, ça signifie implicitement que Bachar el Assad doit partir, Bachar el Assad, à terme, c’est fini. »

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, a dit que la formulation n’impliquait pas la démission d’Assad, vu qu’en vertu des termes de la résolution de la conférence Assad lui aussi devrait accepter son propre départ. Il a insisté qu’il « n’était pas mentionné dans le document d’imposer au peuple syrien un quelconque genre de processus transitionnel. »

Avaient participé à la réunion à Genève, les ministres des Affaires étrangères de cinq membres permanents au Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que d’Etats européens et du Moyen-Orient et des organisations incluant la Ligue arabe, à l’exclusion toutefois de l’Iran, le principal allié international d’Assad, et de l’Arabie saoudite, le principal financier des « rebelles » anti-Assad.

S’adressant au groupe, l’envoyé spécial de l’ONU, Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies, a averti qu’une continuation et une expansion de la guerre civile en Syrie risquaient de déborder des frontières du pays et de devenir une guerre régionale plus vaste et d’une « grande sévérité ».

Les comptes-rendus de la presse occidentale ont reconnu que les Etats-Unis et leurs alliés européens avaient manqué leurs objectifs à Genève. Le Los Angeles Times a rapporté : « Les Russes sont sortis victorieux samedi au terme d’une bataille cruciale de mots. Sur l’insistance de Moscou, Washington a accepté de retirer le projet de formulation excluant quiconque du gouvernement transitoire proposé ‘dont la présence et la participation prolongées mineraient la crédibilité de la transition en mettant en danger la stabilité et la réconciliation’ en Syrie. Le texte était manifestement conçu pour exclure Assad bien qu’il ne fut pas mentionné spécifiquement. Les Russes se sont dérobés. Les Américains ont fléchi. La formulation controversée fut biffée du communiqué final. »

Les tensions continuent de monter le long de la frontière turque dans le Nord de la Syrie où la majorité des forces anti-Assad ont des bases d’approvisionnement et d’entraînement. Après l’incident survenu la semaine passée dans lequel un avion de chasse de reconnaissance a été abattu par la défense aérienne syrienne alors qu’il espionnait les positions syriennes près de la ville portuaire de Latakia, l’armée turque a dit avoir regroupé samedi des avions de combat à sa frontière suite à des mouvements d’hélicoptères syriens.

L’armée turque a proféré la menace que tout mouvement syrien se dirigeant vers la frontière, au sol ou dans les airs, sera considéré comme une éventuelle attaque sur le sol turc et traité comme tel, une formule impliquant plus tôt que prévu un affrontement militaire direct entre les deux pays.

Selon des articles de presse, les agences de renseignement américaines ont conclu que l’assertion de la Turquie que son avion avait été abattu dans l’espace aérien international par des missiles était fausse et que l’affirmation de la Syrie que l’avion a été abattu dans son espace aérien par des canons anti-aériens à courte portée était vraie.

Un article rédigé par le journaliste Robert Fisk dans le quotidien britannique The Independent a suggéré que l’escalade des attaques armées soutenues par les Etats-Unis contre le régime d’Assad est fortement passée sous silence par les médias aux Etats-Unis et en Europe. Fisk a cité des évaluations selon lesquelles 6.000 soldats et policiers ont été tués depuis le début de la campagne contre Assad en mars 2011, un chiffre qui placerait presque le nombre des victimes du régime sur un pied d’égalité avec celui rapporté (sur la base surtout d’informations fournies par des groupes anti-gouvernementaux) par les adversaires d’Assad, et qui est bien différent du massacre tendancieux présenté régulièrement comme un « fait » par les médias occidentaux contrôlés par le grand patronat.

La rubrique de The Independent a rapporté que jusqu’à un millier de Syriens étaient entraînés militairement par des mercenaires chaque semaine dans des camps en Jordanie, pour ensuite retourner en Syrie et se joindre aux attaques menées contre le régime Assad. Un tel entraînement est sans aucun doute assuré par des agents originaires des Etats-Unis, de Grande-Bretagne et d’autres puissances impérialistes qui sont probablement payés par l’Arabie saoudite et le Qatar, deux riches monarchies pétrolières étroitement alignées sur la politique étrangère américaine.

Fisk a aussi souligné que les discussions ayant lieu en coulisses entre les Etats-Unis, la Russie et les puissances européennes se concentraient sur l’accès aux ressources pétrolières et gazières dans le Golfe persique, en particulier dans les conditions d’un conflit grandissant avec l’Iran qui rendrait particulièrement crucial l’accès aux voies d’acheminement par oléoduc du Golfe vers l’Occident et passant par l’Irak et la Syrie.

Il n’y a presque pas eu de débat dans les médias américains et européens sur les réels intérêts impérialistes qui sous-tendent la politique irresponsable et illégale du gouvernement Obama non seulement en Méditerranée orientale mais en Afrique du Nord, dans le Golfe persique et partout dans le monde.

Washington a ciblé le régime Assad en Syrie pour être renversé en s’inspirant d’une variante du schéma libyen dans lequel une combinaison de subversion interne et de force militaire impérialiste externe est utilisée pour se débarrasser d’un régime considéré être à présent un obstacle à la politique étrangère américaine.

Un résultat positif en Syrie pour ce qui concerne l’impérialisme américain créerait de meilleures conditions pour une confrontation agressive contre l’Iran dont la position stratégique serait considérablement affaiblie par l’éviction de son unique allié arabe.

(Article original paru le 2 juillet 2012)

Voir aussi:

L’étincelle dans la poudrière syrienne

[30 juin 2012]