Home » Nouvelles internationales » Afrique » Afrique du Nord » Libye

Tripoli confronté à une crise humanitaire

Par Bill Van Auken
2 septembre 2011

Plus de deux semaines après que les « rebelles » menés par l’OTAN ont envahi la capitale libyenne Tripoli, les deux millions d’habitants de la ville sont confrontés à une crise qui ne cesse de s’aggraver. Ils sont privés d’eau, d’électricité, d'approvisionnement adéquat de nourriture et ont grand besoin d'accès aux soins médicaux.

Alors que la chute du régime de 42 ans du colonel Mouammar Kadhafi a été universellement proclamée, le lieu où se trouve Kadhafi même n’est toujours pas connu. Les principaux dirigeants du Conseil national de transition (CNT) sis à Benghazi – reconnu par les principales puissances comme étant le gouvernement « légitime » de la Libye – n'ont pas encore mis les pieds à Tripoli.

L’on continue de faire état de combats sporadiques dans la capitale alors que l’OTAN et les forces insurgées qu’elle soutient planifient un siège de Syrte, ville côtière de 100.000 habitants qui est la ville natale de Kadhafi et le centre de sa propre tribu, les Gaddafa.

Les avions de combat de l’OTAN ont effectué une dizaine de frappes aériennes contre Syrte qui longe l’autoroute menant de Tripoli à l’Ouest vers la deuxième ville de la Libye, Benghazi, à l’Est.

La prétention que cette guerre aérienne est menée sous mandat de l’ONU pour protéger les civils libyens est devenue de plus en plus absurde alors que des avions de combat américains, britanniques et français sont utilisés pour pilonner des centres de la population civile dans le but de préparer la voie à l’invasion des armées « rebelles ».

Le chef autoproclamé du CNT, Moustafa Abdel Jalil, a dit lors d’une réunion lundi des envoyés de l’OTAN à Qatar que les bombardements devaient continuer parce que « Kadhafi est encore capable de faire quelque chose de terrible dans les derniers moments. » Il a ajouté que « le refus de se soumettre » du dirigeant libyen évincé « aux forces de la coalition constituait encore un danger non seulement pour la Libye mais pour le monde entier. »

Entre-temps, un site internet de contrôle de l’ONU a publié un document confidentiel contenant des projets de plans pour un déploiement en Libye de soldats de « maintien de la paix » qui impliquerait l’envoi de plusieurs centaines d’observateurs militaires étrangers et de policiers. Selon ce document de dix pages, l’objectif de la mission de l’ONU serait de « contribuer à l’établissement d’un climat de confiance et à l’application des tâches militaires convenues. » L’« établissement d’un climat de confiance, » ajoute-t-il, « pourrait être nécessaire pour les troupes du gouvernement de Kadhafi qui se trouveront sous le contrôle de forces hostiles. »

En d’autres termes, la question clé perçue par les principales puissances est de ressusciter l’appareil répressif du régime Kadhafi sous une gestion nouvelle et vraisemblablement plus docile. Quant aux « tâches militaires convenues », il s’agirait en premier lieu du désarmement de la population.

Ce document demande à ce que 200 observateurs militaires non armés et 190 policiers de l’ONU soient envoyés en Libye. Le document ajoute, toutefois, que si la stabilisation de Tripoli requérait davantage « d’aide internationale robuste, » ceci dépasserait les capacités de l’ONU. Dans ce cas, déclare-t-il, « la seule option viable pour garantir un environnement sûr à Tripoli sont les autorités transitionnelles elles-mêmes avec le conseil de ceux qui apportent leur soutien ou qui les conseillent déjà. »

Il poursuit: « Le mandat de ‘protection des civils’ du Conseil de sécurité appliqué par les forces de l’OTAN ne prend pas fin avec la chute du gouvernement Kadhafi, et là, l’OTAN continuerait à avoir certaines responsabilités ».

Il en ressort clairement que si jamais l’OTAN voyait la nécessité de déployer des troupes au sol en Libye dans le but de « rétablir l’ordre, » elle pourrait prétendre appliquer la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU de « protection des civils », alors même qu’elle a réprimé l’opposition civile contre un nouveau régime fantoche soutenu par les Occidentaux.

D’aucuns ont proposé que ce sale boulot soit confié par contrat à des régimes arabes tels le Qatar ou les Emirats arabes unis, probablement renforcés par des mercenaires recrutés par l’intermédiaire de sous-traitants militaires. Jalil, du CNT, a demandé que les troupes étrangères soient « arabes ou islamiques. » Le ministre italien de la Défense, Ignazio La Russa, s’est récemment exprimé dans ce sens en déclarant, « Nous ne pouvons pas exclure la présence de troupes de l’ONU tant qu’elles viennent de pays arabes ou africains. »

Le Times de Londres a décrit lundi la situation actuelle à Tripoli comme suit : « Soixante-dix pour cent des logements de la capitales ne disposent pas d’eau courante… De grandes parties de la ville ont peu ou pas d’électricité. Les produits frais, le lait et le gaz domestique sont presque inaccessibles… Au zoo, les gardiens coupent les branches des arbres pour nourrir les hippopotames et les singes et ils disent manquer d’eau. ‘Les animaux sont en danger’, a dit Ali Abdullah Conti.

« Les hôpitaux sont à court d’oxygène, de fixateurs pour soigner les fractures, et de médicaments pour le traitement du diabète… La ville est remplie de l’odeur nauséabonde dégagée par les ordures, et quelques cadavres pourrissant à la chaleur. Les téléphones ne fonctionnent que par intermittence. Beaucoup de gens n’ont plus d’argent parce que les banques sont fermées et que les salaires n’ont pas été versés. »

La découverte continue de victimes de massacres et d’exécutions sommaires partout à Tripoli a créé une atmosphère de crainte et de terreur dans la capitale libyenne. Peter Graff de l’agence Reuters a décrit ces meurtres comme « la mise en garde atroce que d'autres carnages risquent de se produire. »

« Tandis que des corps étaient entassés cette semaine en piles fétides dans les rues de la capitale, » a relaté Graff, « les Libyens sont confrontés à la perspective que, comme en Irak en 2003, la chute d’un dictateur pourrait marquer le début, plutôt que la fin, de la phase la plus violente de la guerre. »

Faisant référence à la découverte macabre faite la semaine passée de dizaines de corps massacrés de partisans de Kadhafi à un rond-point en dehors de la résidence-caserne du dirigeant libyen, Graff écrit : « Depuis lors, Reuters et les autres organisations d’information ont trouvé des dizaines d’autres corps dans la capitales, notamment à Abou Salim, le quartier où vivaient avec leur famille de nombreux responsables du gouvernement de Kadhafi. Le bâtiment de l’hôpital abandonné d’Abou Salim, rempli de cadavres gisant sur des lits de camp a été découvert vendredi.

« Les circonstances exactes de ces meurtres ne sont toujours pas claires mais il ne s'agit pas de combattants laissés là où ils ont été tués sur le champ de bataille. Les partisans de Kadhafi accuseront assurément les rebelles d’avoir exécuté des massacres à grande échelle. »

La découverte de dizaines d’autres cadavres dans des cellules de la prison gouvernementale, apparemment massacrés par les forces de sécurité de Kadhafi, a attisé un désir de vengeance.

Le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a mis en garde lundi que le manque d’eau potable qui dépasse de loin le cadre de Tripoli – de Misrata à l’Est à la frontière tunisienne à l’Ouest – menace de produire une grave crise de santé publique.

En plus de fournir de l’eau, le CICR s’est fixé comme priorité de distribuer des housses mortuaires et de former des volontaires dans « la gestion des dépouilles mortelles. »

L’Union africaine a annoncé lundi qu’elle s’abstiendrait de reconnaître le Conseil national de transition comme étant le gouvernement légitime de la Libye en raison des massacres à grande échelle et des sévices infligés par les soi-disant « rebelles » aux travailleurs africains noirs.

L’un des aspects de la crise de Tripoli, l’accumulation des ordures dans les rues de la ville, est directement imputable à ces pogroms criminels. L’écrasante majorité des éboueurs de la ville sont des immigrés d’Afrique sub-saharienne qui se cachent à présent.

L’Union africaine a émis l’accusation que les forces soutenues par l’OTAN ont raflé et tué sans discernement des migrants africains au seul motif de leur couleur de peau. Elle a mis en garde que la vie de dizaines de milliers de travailleurs migrants était en danger du fait que les « rebelles » qualifiaient les gens à la peau noire de « mercenaires » et les lynchaient.

« Nous avons besoin de précisions parce que le CNT semble confondre les personnes noires avec des mercenaires… Il sont en train de tuer des travailleurs normaux, » a dit lundi aux reporters en Ethiopie Jean Ping, le président de la Commission de l’Union africaine. « [Les rebelles semblent penser que] toutes les personnes noires sont des mercenaires. Si vous faites cela, [cela] signifie qu’un tiers de la population de la Libye qui est noire, sont aussi des mercenaires. Ils tuent des gens, des travailleurs normaux, et les maltraitent. »

Le CNT a réagi par une simple réfutation niant que de tels meurtres ou cas de maltraitance avaient eu lieu malgré le fait que de nombreux articles de presse les ont confirmés partout dans le pays. « Cela ne s'est jamais produit, » a dit un porte-parole du CNT. « Si c’est arrivé, ce sont les forces de Kadhafi qui l'ont fait. »

Alors que le carnage continue de s’aggraver, les principaux groupes énergétiques occidentaux réclament leur avantage dans ce qu’ils s’attendent être une aubaine suite au « changement de régime » en Libye mené par l’OTAN. Le Conseil national de transition a signé lundi un accord avec la firme italienne ENI qui bénéficie du soutien de l’Etat pour une reprise « complète et rapide » des activités de l’entreprise en Libye. Le protocole d’accord a été fourni par le PDG de la firme pétrolière, Paolo Scaroni, qui s’est rendu à Benghazi pour la signature.

ENI était le plus important producteur opérant en Libye avant la guerre de l’OTAN. A cette annonce, les actions de l’entreprise ont augmenté de 3.1 pour cent.

Entre-temps, le gouvernement français, le premier à reconnaître le CNT, a annoncé qu’il avait rouvert son ambassade à Tripoli et un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a souligné qu’il « n’y a pas de temps à perdre » à la reconstruction en Libye. Le gouvernement du président Nicolas Sarkozy qui accueillera jeudi à Paris la réunion d’un groupe de contact libyen est généralement perçu comme insistant sur son avantage, notamment pour le géant pétrolier français Total, compte tenu de l’attitude agressive adoptée par la France dans la guerre.

Une rubrique publiée dimanche dans le quotidien italien La Stampa, a mis en garde que la France s'apprêtait à passer de son attaque militaire contre la Libye à « une guerre froide pour empêcher les entreprises italiennes de reconquérir leurs positions prioritaires dans le réseau des puits pétroliers » mis en place par ENI.

(Article original paru le 30 août 2011)