Les Tunisiens se méfient des prochaines élections pour l’Assemblée constituante
Par Kumaran Ira
21 octobre 2011
Les élections pour l’Assemblée constituante en Tunisie, prévues pour l’élaboration d’une nouvelle constitution, doivent avoir lieu le 23 octobre. Les élections suscitent largement la méfiance des travailleurs et des jeunes tunisiens qui ne soutiennent pas les partis en lice ou le « processus de transition démocratique » par lequel l’élite dirigeante a réagi au renversement du président Zine El Abidine Ben Ali.
Il y a dix mois, la classe ouvrière avait été à l’origine de protestations de masse qui ont renversé le régime de Ben Ali soutenu par l’Occident. Ceci avait déclenché des manifestations à travers l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et qui ont entraîné en Egypte la chute du régime Moubarak soutenu par les Etats-Unis, ainsi que des protestations continues internationalement.
Précédant les élections du 23 octobre, divers sondages ont montré que la moitié des Tunisiens ne soutiennent aucun parti politique, indiquant ainsi une désillusion populaire grandissante à l’égard de l’establishment politique et ses affirmations frauduleuses de mener « un processus de transition démocratique. »
Selon un sondage réalisé en août par l’Institut de sondage et de traitement de l’information statistique (Istis) et l’agence Tunis Afrique Presse (TAP), le taux de mécontentement concernant les partis politiques tunisiens est passé de 64 pour cent en avril à 70 pour cent en août. Le même sondage a trouvé que plus de la moitié des Tunisiens jugeait « incompréhensible » la transition du pays.
Bien que le gouvernement intérimaire ait prolongé la date de clôture des inscriptions sur les listes électorale jusqu’au 14 août en lançant une vaste campagne médiatique dans tout le pays pour encourager les gens à se faire inscrire sur les listes électorales, seule la moitié des 7 millions d’électeurs potentiels se sont inscrits. La participation des jeunes âgés de 17 à 35 ans et des femmes a été particulièrement faible – 17 et 13 pour cent respectivement.
En août, Mohamed Ben Joud, diplômé en économie de 24 ans, a dit à l’agence d’information Xinhua : « Sept mois après la fuite de Ben Ali du pays, les choses n’ont pratiquement pas changé. Les mêmes taux élevés de chômage persistent parmi les diplômés universitaires et les jeunes n'ont plus confiance dans les promesses de la révolution. »
Au cours de ces derniers mois, un certain nombre de protestations et de grèves anti gouvernement ont éclaté dans divers secteurs industriels au fur et à mesure que des masses de gens arrivent à la conclusion que le gouvernement fait tout pour maintenir l’ordre ancien et est incapable de résoudre leurs problèmes sociaux. Le taux de chômage officiel se situe à 19 pour cent et le chômage des jeunes dépasse 30 pour cent. Il ressort des sondages d’opinion que 61 pour cent sont insatisfaits de l’économie tunisienne.
La désillusion populaire face à l’élection est une réfutation dévastatrice des partis petits-bourgeois jadis de gauche, tels le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), maoïste, d’Hamma Hammani et le mouvement ex stalinien Ettajdid. Ces forces s’étaient opposées à une perspective de lutte pour le renversement socialiste de l’appareil d’Etat de Ben Ali comme partie intégrante d’une lutte plus générale contre l’impérialisme à travers l’ensemble du Moyen-Orient. Au lieu de cela, ils ont assuré que les travailleurs pourraient obtenir les droits sociaux qu’ils revendiquaient par le biais d’une révolution démocratique sous le capitalisme.
Munis de cette perspective ils ont rejoint la soi-disant Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, mise en place par le gouvernement intérimaire dans le but de superviser les élections pour l’Assemblée constituante.
La Haute Instance comprend le Parti démocrate progressiste (PDP), le mouvement Ettajdid et la bureaucratie syndicale de l’UGTT (l’Union générale tunisienne du travail, principale béquille de l’ancien régime de Ben Ali), ainsi que la fédération des employeurs, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA).
Plus de 100 partis politiques participeront aux élections du 23 octobre. Selon la commission électorale tunisienne, plus de 11.000 candidats, représentants des partis politiques et des indépendants, brigueront 217 sièges à l’Assemblée constituante. La durée du mandat de l’Assemblée est limitée à un an, avant les élections présidentielles et législatives prévues en octobre 2012.
Le parti islamiste droitier Ennahda arrive en tête dans les sondages pour l’Assemblée constituante avec 23 pour cent des votes, suivi des partis de centre-gauche – le Parti démocrate progressiste (PDP) avec 10 pour cent et le parti social-démocrate Ettakatol avec 9 pour cent.
Un sondage effectué en septembre a révélé qu’Ennahda obtiendrait 80 sièges, le PDP 40, l’Ettakattol 30, l’ex mouvement stalinien Ettajdid 6 et le PCOT 3 sièges.
L’Ennahda cherche à exploiter par des mesures réactionnaires la colère massive contre la pauvreté et le chômage croissant au sein de la classe ouvrière. Sa montée dans les sondages est le résultat de la politique traitre menée par l’UGTT et des forces petites bourgeoises comme le PCOT qui ont trahi les luttes révolutionnaires des travailleurs en promouvant la commission des réformes et les élections – qui, en fait, ne jouissent d’aucun soutien populaire.
Ces derniers jours, la violence a éclaté entre le régime intérimaire et des groupes islamistes protestant contre une décision réactionnaire prise par des responsables de l’université de Sousse interdisant à une étudiante portant le voile intégral de s’inscrire à l’université. Ennahda profite de cette décision totalement anti-démocratique des fonctionnaires de l’université pour accroître son influence.
Ennahda s’efforce aussi de dissimuler le caractère réactionnaire de son programme en revendiquant à la fois son allégeance à l’islam et à la démocratie. Le dirigeant d’Ennahda, Rachid Ghannouchi, a dit à Reuters : « Ennahda respecte toutes les valeurs de la démocratie et de la modernité. Notre parti peut trouver un équilibre entre la modernité et l’islam. »
Le but d’une telle rhétorique est de rendre l’islamisme acceptable à l’impérialisme occidental qui se demande à présent s’il devrait compter sur Ennahda pour la défense de ses intérêts en Tunisie.
En commentant une réunion récente qu’il a eue avec des diplomates occidentaux, Ghannouchi les a rassurés en disant qu’il adhérerait à la politique exigée par les puissances impérialistes : « Nous maintiendrons les relations avec nos partenaires traditionnels comme l’Europe, mais nous allons aussi tenter de diversifier nos partenariats afin de nous ouvrir aux Etats-Unis et à l’Amérique latine, à l’Afrique et à l’Asie, et particulièrement aux marchés arabes. »
Le magazine d’information en langue française Jeune Afrique a remarqué : « Selon une source à l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, les Américains seraient prêts à soutenir une coalition entre les Islamistes et les Destouriens [les sociaux démocrates précédemment au pouvoir], seules forces politiques capables, selon eux, de diriger efficacement le pays après l’élection d’une Assemblée constituante. »
Le PDP était le parti d’opposition officiel sous Ben Ali qui était même allé jusqu’à signer en 1988 le pacte national avec le régime Ben Ali. Il soutenait la politique de libre marché de Ben Ali qui a massivement plongé les travailleurs tunisiens dans la pauvreté. Le PDP est à présent en train de mener une campagne en prétendant faussement vouloir doubler les investissements étrangers par l’assouplissement de la législation commerciale – en d’autres termes, par le contrôle la classe ouvrière en maintenant les salaires à un niveau de pauvreté.
Après la fuite de Ben Ali du pays, le PCOT, qui opère comme le principal pilier de l’ordre bourgeois en Tunisie, a joué un rôle clé dans la trahison des luttes de la classe ouvrière et a promu le régime intérimaire dans le but d’initier des mesures démocratiques.
Le PCOT a signé un communiqué conjoint avec d’autres partis politiques, dont le PDP et Ennahda, pour soutenir, après les élections du 23 octobre pendant une période d’un an, le maintien du régime intérimaire, et ce jusqu’aux élections législatives de l’année prochaine.
Lors d’une récente réunion électorale, le dirigeant du PCOT, Hamma Hammani a qualifié les élections pour l’Assemblée constituante « de phase cruciale sur la voie de la réalisation du processus de transition démocratique permettant de rompre avec l’ancien régime. »
Ceci est un mensonge. Le régime intérimaire est en soi composé d’anciens responsables de Ben Ali, dont Essebsi le premier ministre même. La promotion par le PCOT du « processus démocratique » soutenu par les impérialistes vise à supprimer les luttes révolutionnaires et à maintenir la classe ouvrière dans les limites de l’ordre bourgeois.
(Article original paru le 17 octobre 2011)