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La résurgence des ambitions impérialistes italiennes en Libye

Par Marc Wells
17 mars 2011

Le navire de guerre italien Libra a accosté au port de Benghazi, en Libye, le 7 mars. Sa présence est la conséquence logique de calculs géostratégiques de la classe dirigeante italienne pour s'assurer que l'Italie conserve sa place prépondérante en Libye et étouffer l'opposition de masse à la politique économique libérale.

En l'espace de quelques jours, le gouvernement italien du Premier ministre Silvio Berlusconi a renié le soutien inconditionnel qu'il accordait au régime du colonel Mohammed Kadhafi. Il l'a remplacé par des préparatifs d'intervention militaire dans un effort pour affirmer son contrôle impérialiste sous le couvert d'une aide «humanitaire. »

En Août 2008, après plus d'un demi-siècle de tensions diplomatiques entre la Libye et l'Italie – l'ex-puissance coloniale en Libye – Berlusconi a forgé une alliance avec Kadhafi en s'appuyant sur un traité d'amitié et de coopération. Ce traité a établi les termes d'une relation économique étroite entre les deux pays ainsi que d'un contrôle de l'immigration. Il spécifiait également que l'Italie devait verser 5 milliards d'euros en réparation des 32 ans durant lesquels l'Italie était subordonnée à la domination coloniale de l'Italie, de 1911 à 1943, qui décima la population de ce pays africain.

Ce traité avait été signé à Benghazi, la ville même où le Conseil national libyen a établi une opposition bourgeoise à Kadhafi, dirigée par l'ex-ministre de la justice Moustafa Abud Al jeleil, reconnue comme entité politique par le gouvernement de Berlusconi le 28 février 2011.

La diplomatie américaine a porté une grande attention au traité de 2008. Dans une communication diplomatique de 2099 publiée par WikiLeaks, il est révélé que, selon l'ambassade américaine à Rome, « Berlusconi a poursuivi la politique de développement et d'expansion des relations avec la Libye, dans une grande part pour réduire le flux de migrations illégales venant des côtes libyennes, mais aussi pour bénéficier d'un accès avantageux aux réserves de pétrole libyennes pour les firmes italiennes, principalement ENI. » ENI est une multinationale pétrolière italienne.

La communication se poursuit, « Suite au traité d'amitié de 2008 – qui détermina la Libye à adopter des mesures plus drastiques pour décourager les émigrants illégaux de partir pour l'Italie depuis ses côtes, tout en offrant également 5 milliards de dollars d'aide au développement – le dirigeant libyen Kadhafi va faire une première visite officielle à Rome les 10 et 12 juin, juste avant la visite de Berlusconi à Washington. »

La visite de Kadhafi a eu lieu en juin 2009, le dirigeant libyen est arrivé à l'aéroport militaire de Ciampino en portant une image d'Omar al-Moktar, le dirigeant de la résistance libyenne contre les colonisateurs italiens, capturé et pendu par les fascistes de Mussolini en 1931. Ce fut la première visite officielle de Kadhafi en Italie.

À cette occasion, Berlusconi a parlé d'un « véritable partenariat entre l'Italie et la Libye avec une collaboration très forte dans de nombreux secteurs à commencer par une position commune sur les affaires internationales et une collaboration étroite sur le terrain économique. » Il a déclaré aux journalistes des 15 dernières années durant lesquelles il « a rencontré Kadhafi à de nombreuses reprises et formé une amitié sincère et profonde. Je vois en lui une grande sagesse. »

Dans une autre communication la semaine suivante, l'ambassade américaine à Tripoli a prévenu que, « Les prix du pétrole en augmentation permettent à la Libye d'obtenir des contrats à long terme plus intéressants avec les producteurs de pétrole et de gaz étrangers. Une extension de vingt-cinq ans pour la firme italienne ENI Afrique du Nord BV, qui comprenait le versement d'un bonus important tout en réduisant fortement les parts de production de la compagnie, a été ratifiée récemment après de longues négociations. L'impact potentiel de l'accord ENI est très important. »

L'Italie considère la Libye comme un partenaire économique important. L'économie est profondément dépendante du pétrole et du gaz libyens. Près de 80 pour cent de son énergie est importé, 25 pour cent sont fournis par la Libye. Outre la banque et l'énergie, les fonds du pétrole libyen ont alimenté le textile italien, l'automobile, la construction, l'armement et l'aérospatiale, ainsi que des clubs de football.

Maintenant, Kadhafi est confronté à une opposition qui menace son régime. Cependant, il y a deux forces sociopolitiques distinctes à l'œuvre dans l'opposition. D'une part, il y a une opposition populaire à la politique libérale de Kadhafi et à la suppression des libertés politiques par son régime.

D'autre part, il y a d'anciens dirigeants de haut rang du régime de Kadhafi, qui ont sauté sur l'occasion après les manifestations de masse qui ont commencé le mois dernier – y compris l'ex-ministre de la justice de Kadhafi, Moustafa Abdel Jalil, et l'ex-ministre de l'intérieur le Général Abdul Fattah Younis al Obaidi.Ces forces ne s'intéressent qu'au pouvoir, demandant l'aide, politique et militaire, des gouvernements impérialistes aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne et en Italie.

Espérant que le colonel parviendrait à reprendre le contrôle du pays, le gouvernement italien avait initialement adopté une attitude circonspecte. Cependant, une fois qu'il fut clair que la classe ouvrière prenait de l'assurance et que les champs de pétrole risquaient de tomber sous le contrôle des travailleurs, le gouvernement de Berlusconi a cherché à forger de nouvelles relations avec les couches de la bourgeoisie qui seraient capables de garantir la poursuite des relations économiques qui bénéficient au capital italien.

C'est ce qui a motivé la suspension du traité d'amitié par le Premier ministre italien Franco Frattini le 28 février. L'agence de presse italienne ANSA a rapporté que Frattini a été très clair sur le fait que Kadhafi ne contrôle plus les raffineries et que « l'Italie a établi des contacts avec le nouveau Conseil national libyen. »

Il y a des implications militaires directes à cette décision. Le traité de 2008 a établi un accord de non-agression entre les deux pays. Maintenant l'Italie s'en est dégagée unilatéralement, bien consciente qu'étant donné la situation stratégique de l'Italie au cœur de la Méditerranée et juste au Nord de la Libye, l'intervention internationale contre la Libye nécessitera sa participation.

L'Italie se prépare à jouer un rôle de premier plan en Libye et dans toute la région, pour contrer sa profonde crise économique et le risque que les manifestations populaires ne s'étendent de l'Afrique du Nord à Italie et en Europe.

Samedi, le gouvernement de Berlusconi a annoncé qu'il se conformerait à une décision de l'UE de geler les avoirs libyens en Italie. Cependant, étant donné le rôle de ces avoirs dans la finance italienne, le gouvernement italien agit avec modération. D'après le Wall Street Journal, cette décision ne visera pas les « avoirs de la Banque centrale Libyenne et de l'Autorité d'investissement libyenne (LIA) qui est le fonds d'investissement public du pays, tous deux ont des parts dans plusieurs compagnies italiennes de première importance. »

La LIA contrôle 7,5 pour cent de la banque italienne UniCredit et 2 pour cent du géant de la défense et de l'aérospatiale Finmeccanica, des participations importantes dans Fiat, ENI, ainsi que le club de foot de la Juventus. Son apport de capital dans le système bancaire italien l'a sauvée d'un désastre financier à la suite de l'effondrement de Lehman Brothers en septembre 2008.

Mais les troubles financiers sont loin d'être terminés. Le Financial Times relate que le gouverneur de la Banque d'Italie, Mario Draghi, exhorte « les banques italiennes à stabiliser leurs bilans avant que les tests de résistance européens ne soient lancés cet été. » Des banques comme UniCredit, Intesa et MPS font partie des plus sous-capitalisées d'Europe et auront besoin de lever des fonds supplémentaires pour se conformer aux règlements bancaires de l'accord Basel III.

De plus, à la récente conférence du Parti populaire européen (PPP) d'Helsinki, Berlusconi a été très clair quand il a parlé d'un changement « comme ceux de Tunisie et d'Égypte vers la démocratie qui permettra de conserver une relation de premier plan à notre économie. » Plus spécifiquement, il a lancé l'idée d'un nouveau plan Marshall de 10 milliards d'euros « pour tous les pays qui réalisent ce changement. »

Certaines couches de la classe dirigeante italienne, comme leurs homologues américaines et européennes, considèrent l'option avec circonspection. Elles n'y sont pas opposées par principe, mais elles craignent les répercussions sur les relations internationales, étant donné le degré de plus en plus élevé de rivalités dans l'économie mondiale. De plus, une intervention militaire risquerait de déchaîner tout le potentiel d'une révolte des masses ouvrières arabes contre des siècles de subordination impérialiste.

Des termes comme « efforts humanitaires » refont surface, pendant que les politiciens impérialistes tentent hypocritement de dissimuler le caractère de l'intervention qu'ils préparent.

La "gauche" bourgeoise italienne, qui soutient les plans d'intervention, est parfaitement rodée à ce genre de langage. L'ex-Premier ministre Massimo D'Alema, une grande figure du Parti démocrate et ancien dirigeant du Parti communiste stalinien, a déclaré son soutien sans réserves aux ambitions impérialistes du gouvernement Berlusconi : « En des temps comme ceux-ci une force d'opposition doit déclarer ses objectifs et pousser le gouvernement à agir. »

En 1999, au poste de Premier ministre, il avait autorisé l'OTAN à se servir de l'espace aérien italien contre la Serbie durant la guerre au Kosovo. C'était la deuxième fois depuis la seconde guerre mondiale que l'Italie participait à une offensive militaire (la première étant la guerre du Golfe en 1991). C'était aussi considéré comme un effort « humanitaire ».

D'après Nichi Vendola, dirigeant de Sinistra Ecologia Libertà [Gauche écologie et liberté – réunit le Parti socialiste et d'autres petits partis périphériques, les Verts l'ont quitté en octobre 2009, ndt], l'objectif final est la déposition de Kadhafi. Il se déclare « reconnaissant envers le président Napolitano pour avoir présenté une autre vision, ennemie de Kadhafi et amie du peuple Libyen. » Vendola est prêt à légitimer le Conseil national libyen, un groupe hétérogène de ministres et de fonctionnaires de Kadhafi réarrangés, tant que Kadhafi est déposé.

Le lendemain de l'arrivée du navire de guerre italien au port de Benghazi, le journal de Rifondazione Comunista (Refondation communiste), Liberazione, a appelé à « de la diplomatie, pas des bombes. » D'après l'opposition officielle, « Ce qu'il faut, c'est une initiative forte de l'ONU, soutenue par toute la communauté internationale pour une solution négociée qui désamorcerait la guerre civile et enclencherait la démocratisation du pays. »

Derrière la rhétorique anti-guerre et "anticapitaliste", Rifondazione accorde son soutien plein et entier à la diplomatie en tant qu'outil ultime de l'impérialisme. Comme le disait Lénine, les institutions comme l'ONU ne sont qu'un « repaire de brigands. » L'histoire de l'impérialisme au cours des dernières décennies suffit à comprendre le rôle de l'ONU comme arrangeur des intérêts impérialistes. Sans même parler des années 90, avec le Rwanda, l'Irak, la Serbie, le Kosovo, le Soudan, pour n'en citer que quelques-uns.

Ce que tout les groupes "de gauche" ont en commun, c'est un refus de la mobilisation indépendante de la classe ouvrière dans une lutte pour le pouvoir ouvrier en Libye, comme point de départ d'une lutte pour les états socialistes unis du Moyen-Orient et du Maghreb.

 

 

(Article original paru le 10 mars 2011)