Les Etats-Unis et leurs alliés intensifient les opérations militaires et de renseignement en Libye
Par Ann Talbot
10 mars 2011
L’article relatant que huit membres des forces spéciales britanniques SAS ont été brièvement détenus à Benghazi est la confirmation que les Etats-Unis et leurs alliés européens sont en train d’intensifier leurs efforts pour établir des liens concrets avec des éléments de l’opposition au régime du président Mouammar Kadhafi et de s’assurer le contrôle des ressources pétrolières de la Libye.
La semaine dernière, trois soldats de la marine néerlandaise ont été détenus par des forces loyales au régime Kadhafi. Ils auraient été impliqués dans le sauvetage de civils hollandais. Des forces spéciales britanniques ont été déployées pour évacuer par la voie aérienne des civils se trouvant dans le désert dans des camps de forage pétrolier. Mais il n’a jamais été dit clairement s’ils avaient tous été récupérés ou non après cette opération.
Le secrétaire britannique des Affaires étrangères, William Hague a refusé de confirmer ou d’infirmer la présence des SAS en Libye. Ceci est conforme à la politique de Londres de ne jamais officiellement commenter le déploiement de ses forces spéciales.
Interrogé dans l’émission télévisée de la BBC du dimanche matin, « The Andrew Marr Show », le secrétaire à la Défense, Liam Fox, a seulement dit que la Grande-Bretagne n’avait qu’« une petite mission diplomatique » sur place. Selon le Sunday Times, qui avait lancé la nouvelle, les SAS ont escorté un « diplomate subalterne » censé rencontrer des membres haut placés de l’opposition. L’objectif était de préparer la voie à une visite de personnalités de plus haut rang.
Le personnel SAS aurait été en civil, portant des armes, des munitions et des passeports issus d’au moins quatre pays différents. Selon la chaîne de télévision anglaise Sky News, les huit personnes détenues faisaient partie d’une équipe de 22 soldats qui avaient été déposés par hélicoptère au Sud de Benghazi.
Leur détention fait suite à l’annonce que la Grande-Bretagne envisageait de mettre en place une présence diplomatique afin d’établir des liens avec l’opposition. Un diplomate britannique a expliqué la semaine dernière au Financial Times le projet en disant, « Avoir une présence sur le terrain nous permet d’avoir une meilleure compréhension de ce qui se passe. Il s’agit d’obtenir des informations et une analyse de première main.
Un spécialiste anonyme de la défense qui a été interviewé par le journal a souligné qu’une telle mission serait le précurseur essentiel à une intervention militaire plus étendue et à une implication avec l’opposition. « La question qui est dans tous les esprits maintenant est de savoir s’il y aura une intervention militaire lourde de l’Occident, telles des zones d’exclusion aérienne ou l’armement des rebelles, » écrit le Financial Times. « Mais, avant d’en arriver là, il y a un tas de choses que les gouvernements peuvent faire pour aider à faire basculer l’avantage stratégique en faveur des rebelles. »
« On peut les aider à commercialiser leurs actifs pétroliers, à consolider leur capacité de diffusion radio et télévision et contribuer à leur donner des informations brutes. C’est le genre de chose qu’une équipe diplomatique pourrait commencer à faire secrètement. »
Manifestement, le « diplomate subalterne » était chargé de sonder des éléments au sein du Conseil national de l’opposition qui s’était réuni pour la première fois samedi à Benghazi. Un habitué de Whitehall [ministère des Finances] a déclaré au Financial Times : « Ils ne s'agit pas vraiment d'une communauté homogène de gens. »
William Hague aurait parlé au général Abdul Fattah Younis al Obaidi, ancien ministre libyen de l’Intérieur et chef des forces spéciales de Kadhafi qui a récemment rejoint l’opposition. Lui, et l’ancien ministre de la Justice, Mustafa Abdel-Jalil, se tournent tous deux vers les Etats-Unis et les Européens pour de l’aide. Jalil a réclamé l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne.
Obaidi est notamment considéré comme le chef potentiel d’un régime de succession. De par le passé, il avait étroitement collaboré avec les SAS qui ont formé les forces spéciales libyennes. Les responsables britanniques l’ont répertorié comme quelqu’un avec qui ils pourraient travailler, selon le Daily Telegraph.
Les activités de la Grande-Bretagne en Libye sont fortement subordonnées à l’autorité globale des Etats-Unis. Comme en Afghanistan, et avant cela en Irak, la Grande-Bretagne est déterminée à montrer qu’elle est un allié fiable et utile.
A bien des égards, les relations de la Grande-Bretagne avec le régime Kadhafi sont plus étendues que celles de Washington. La révélation que la London School of Economics (LES, Ecole d’économie et sciences politiques) avait accepté un don de plusieurs millions de livres sterling de la Libye, et qui s’est révélée être embarrassante pour la LES, souligne combien étaient étroites les relations qui s'étaient forgées entre la Grande-Bretagne et la Libye sous Tony Blair.
Ces liens sont à présent mis à contribution, avec William Hague téléphonant aux actuels membres du régime, tels l’ancien ministre des Affaires étrangères, Moussa Qusa, et ceux qui l’ont quitté pour rejoindre l’opposition. En tant que ministre du renseignement de Kadhafi, Moussa Qusa avait joué un rôle clé dans la négociation de l’accord par lequel les relations avec Kadhafi avaient été rétablies avec l’Occident en 2003.
Les efforts des Britanniques font partie d’une opération à multiples facettes pour construire un nouveau régime libyen capable de réprimer l’opposition populaire et de garantir que les principales entreprises pétrolières, les banques et les grands groupes ont accès aux ressources libyennes. Washington cherche à exploiter l’opposition de masse contre Kadhafi pour établir un nouveau régime client lui permettant de mettre en place ses moyens politiques et militaires afin d’appuyer des régimes réactionnaires partout en Afrique du Nord et au Moyen Orient – dont la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, le Yémen, Bahreïn et Oman – qui sont secoués par des soulèvements populaires.
La Grande-Bretagne collabore étroitement avec l’Europe continentale pour mettre au point une réaction commune aux soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Le vice-premier ministre britannique, Nick Clegg, doit participer le 11 mars à un sommet de l’UE sur la question. Il a dit que l’Europe doit « repenser radicalement son approche à la région. »
Clegg a souligné que le rôle de l’Europe est de façonner l’avenir de la région. Il a dit : « Ce qui se passe en Afrique du Nord a des effets dans chaque communauté en Europe – cela se passe dans notre arrière-cour. L’UE, les Etats-membres individuels, le monde des affaires et la société civile – nous tous avons besoin de monter au créneau. Il est certain que 2011 sera un moment décisif pour l’Afrique du Nord – mais ce sera un moment décisif pour l’Europe aussi. »
L’UE projette d’envoyer une délégation diplomatique officielle d’ici quelques jours. La baronne Catherine Ashton, Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, a dit : « J’ai décidé de dépêcher cette équipe de haut niveau pour me procurer des information de premières mains et en temps réel afin de renforcer les discussions juste avant le sommet spécial des dirigeants de l’UE sur la Libye, prévu le 11 mars. »
Ashton a remercié le gouvernement italien pour son aide dans préparation de la mission. De tous les pays européens, l’Italie détient peut-être les liens économiques et politiques les plus étroits avec la Libye. Elle reçoit un quart de son pétrole brut et 10 pour cent de son gaz naturel de la Libye. L’Italie est le gros partenaire commercial de la Libye et est le plus grand exportateur d’armes à la Libye. Son entreprise pétrolière nationale Eni a des investissements considérables en Libye, et les entrepreneurs italiens sont en train de construire une nouvelle autoroute littorale, des chemins de fer et des réseaux de fibre optique.
L’Autorité d’investissement libyenne et d’autres investisseurs détiennent des parts dans certaines des plus grosses sociétés d’Italie. La semaine dernière, l’Italie a suspendu son Traité d’Amitié signé en 2008 avec la Libye. Ceci signifie que les bases militaires de l’Italie peuvent maintenant être utilisées pour des actes d’agression contre le régime de Kadhafi.
La France a rapidement décidé de reconnaître le Conseil national de l’opposition. Le porte-parole du gouvernement, Bernard Valero a dit, « La France salue la création du Conseil national libyen » et promet d’« apporter son soutien aux principes qui l’animent et aux objectifs qu’il s’assigne. »
Le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a condamné ce qu’il a appelé « la folie criminelle » de Kadhafi. La précédente ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, avait été contrainte de démissionner en raison de ses liens étroits avec le dictateur tunisien Zine El-Abidine Ben Ali. Les intérêts de la France en Afrique du Nord, où elle est l’ancienne puissance coloniale de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie, rendent impératifs qu’elle ne répète pas la même erreur en Libye en poursuivant ses relations avec Kadhafi.
Selon le magazine Time, le président Barack Obama est à présent en train de peaufiner la réponse américaine au soulèvement libyen en garantissant que les Etats-Unis disposent pleinement de la capacité d’agir très rapidement au besoin. Le positionnement de moyens militaires fait partie de cette stratégie, sous couvert d’aide humanitaire pour le transport de réfugiés et l’assistance aux civils. Dans le même temps, Obama a formé un comité de renseignement supérieur constitué du Pentagone, du Conseil national de sécurité et d’experts de la CIA qui vont tenter de réunir des rapports émanant de sources américaines basées au sein de l’opposition et des forces de Kadhafi.
L’ampleur et la forme exactes de l’intervention militaire en Libye dépendent obligatoirement de l’évolution de la situation dans le reste du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. Les ressources pétrolières de la Libye sont importantes mais celles de l’Arabie saoudite sont encore plus cruciales. Le mouvement de protestation continu à Bahreïn menace de déstabiliser l’Arabie saoudite voisine qui a récemment mobilisé son armée pour réprimer des protestations contre le régime royal.
En Egypte, un gouvernement intérimaire a été placé sous contrôle militaire et qui comprend de nombreuses figures issues de l’ère Moubarak. Pourtant le mouvement populaire se poursuit avec l’occupation par les manifestants du quartier général de la police de sécurité haïe.
Parlant la semaine dernière de la situation en Libye, Obama a souligné l’importance de ne pas donner l’impression que les Etats-Unis intervenaient directement dans les affaires intérieures du pays. Il a souligné que son gouvernement avait essayé d’éviter de provoquer un sentiment anti-américain en Egypte en dictant ouvertement ce qu’il fallait faire.
Il a dit, « L’un des succès remarquables de l’Egypte est la pleine appropriation que le peuple égyptien a ressenti pour cette transformation. Cela a été bénéfique au peuple égyptien ; cela est bénéfique aux intérêts des Etats-Unis. Nous n’avons pas ressenti de sentiment anti-américain découlant de ce mouvement en Egypte précisément parce qu’ils ont eu l’impression que nous n’avons pas essayé de construire ou d’imposer une issue particulière mais plutôt parce qu’ils la possédait. La même chose se produit en Tunisie. »
Mais, les Etats-Unis interviennent d’ores et déjà tant ouvertement que secrètement. Obama a demandé que Kadhafi parte et dit avec insistance que des mesures militaires telles une zone d’exclusion aérienne sont à l’étude.
Comme le suggèrent les commentaires d’Obama sur l’Egypte, l’obstacle majeur à une intervention impérialiste sanglante en Libye est le risque d’une opposition politique de masse au sein de la classe ouvrière – en Libye, dans d’autres pays de la région et au sein de la classe ouvrière en Europe et aux Etats-Unis.
S’exprimant sur la chaîne de télévision américaine ABC, le sénateur John McCain, candidat républicain à la présidentielle de 2008, et critiqué de la politique d’Obama sur la Libye, était d’accord sur l’importance de l’Egypte. L’Egypte, a-t-il dit à la journaliste Christiane Amanpour, est « « le cœur et l’âme du monde arabe. » Il a indiqué qu’il ne pensait pourtant pas que c’était le moment pour une intervention sur le terrain en Libye.
John Kerry, président démocrate du Comité des affaires étrangères du Sénat américain, a dit dans l'émission télévisée « Face the Nation » que les Etats-Unis et leurs alliés devraient se préparer à imposer une zone d’exclusion aérienne. Lorsque le présentateur lui a rappelé que le secrétaire à la Défense, Robert Gates, avait mis en garde qu’une telle décision était un acte de guerre, à commencer par le bombardement des systèmes de défense aérienne de la Libye, Kerry a dit qu’il ne pensait pas qu’une zone d’exclusion aérienne constituait une intervention militaire.
(Article original paru le 7 mars 2011)