La Commission tunisienne sur la Réforme défend le régime capitaliste
Par Kumaran Ira et Alex Lantier
1 avril 2011
Le 26 mars, la Commission tunisienne a été élargie lors d’une séance à huis clos pour passer de 70 à 130 membres.
Cette démarche cynique – qui intègre davantage de femmes et de jeunes affiliés aux partis d’« opposition » officiels et à divers blogueurs Internet – vise à fournir un alibi politique à l’encontre d’accusations selon lesquelles l’organe est contrôlé par des figures de l’ancien régime du président Zine El Abidine Ben Ali.
Ceci fait partie d’une lutte qui est en cours entre les masses de travailleurs tunisiens et l’élite dirigeante qui tente de maintenir le régime capitaliste et ses relations corrompues et lucratives avec l’impérialisme étranger. Ben Ali a été évincé le 14 janvier après un mois de protestations populaires de masse. Ceci a contribué à déclencher des luttes révolutionnaires en Egypte qui ont entraîné la démission du président Hosni Moubarak ainsi que des protestations partout au Moyen Orient.
La Commission avait été établie par le gouvernement tunisien en réaction aux protestations de masse qui ont résulté dans le limogeage le 27 février du premier ministre Mohamed Ghannouchi et qui avait été en fonction sous Ben Ali. Des protestations de plus de 100.000 personnes avaient exigé la démission de Ghannouchi et la formation d’un nouveau régime. (Voir : Manifestations de masse en Tunisie : le premier ministre démissionne ).
Le 3 mars, le président par intérim, Fouad Mebazza – autre ancien haut responsable sous Ben Ali – avait annoncé la formation de la Haute Commission des Réformes politiques, qui fut ensuite renommée Commission pour la réalisation des objectifs de la révolution et la transition démocratique.
Il a dit: « Nous proclamons aujourd’hui le début d’une ère nouvelle… dans le cadre d’un nouveau système politique qui rompt définitivement avec le régime déchu. » Il a annoncé que la commission ferait l’ébauche d’un nouveau code électoral et d’une nouvelle constitution. Ceci sera présenté à une assemblée constituante et soumis au vote le 24 juillet.
La commission est présidée par un professeur de droit, Yadh Ben Achour. Une fois la commission formée, celui-ci a dit : « L’objectif de ce comité est de mettre en place un Etat libre qui réponde à la révolution du peuple tunisien et qui permette à tous les citoyens et partis politiques d’exprimer leurs opinions. »
En fait, comme devaient le montrer les événements, la Commission a été un forum de discussion pour les intérêts économiques tunisiens et leurs complices au sein des syndicats et des partis «d’opposition » officiels qui tentent d’étouffer les protestations de la classe ouvrière en créant une nouvelle base juridique pour un régime capitaliste en Tunisie.
Ceci n’a pas empêché les syndicats tunisiens et les partis petits bourgeois, tels le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) de Hamma Hammmi et l’ancien mouvement stalinien Ettajdid, de saluer la formation de la commission.
Hammmi a décrit la manoeuvre de Mebazza comme « une victoire du peuple et de la révolution. ». Il a même suggéré qu’elle devrait disposer de plus de temps pour faire son travail – et pendant ce temps elle contrôle la future constitution politique de la Tunisie – affirmant que la période de 4 mois et demi fixée entre la mise en place de la commission et les élections était « trop courte. »
Le dirigeant d’Ettajdid, Ahmed Ibrahim, a dit que la décision de Mebazza était « une victoire pour tout le monde, une victoire pour la Tunisie. »
Le syndicat UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) a publié un communiqué officiel louant une décision « qui met la Tunisie sur la voie de la liberté et de la démocratie en instituant des mécanismes clairs pour la vie politique du pays. » Le secrétaire adjoint de l’UGTT, Ali Ben Romdhane, a dit à l’AFP : « Le programme est clair, il n’y a plus de flou. »
En fait, l’élite dirigeante et ses laquais au sein de la soi-disant « gauche » petite bourgeoise sont en train de jeter de la poudre aux yeux des travailleurs. Mais, les événements révèlent de plus en plus le caractère des initiatives de Mebazza : la création d’un emplacement central pour la bourgeoisie tunisienne et ses laquais politiques conspirant contre la révolution.
La Commission se compose de dirigeants d’entreprises, de bureaucrates syndicaux et de divers partis officiels d’« opposition ». Elle inclut des représentants de l’UTICA (mouvement du renouveau de l’Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat), la principale fédération tunisienne des dirigeants d’entreprises ; l’UGTT ; et nombre de fédérations de professionnels de la classe moyenne dont des médecins, des avocats, des journalistes et de notaires.
Les partis politiques représentés à la Commission comprennent le Parti démocrate progressiste (PDP), l’opposition pro-capitaliste officielles sous Ben Ali ; le mouvement Ettajdid : le Mouvement islamiste Ennahda, ainsi que des partis plus petits.
La Commission siège dans les bâtiments du Conseil économique et social tunisien – organisation crée en 1956 lorsque la Tunisie devint indépendante – pour organiser des négociations entre les groupes d’entreprises, le syndicat UGTT et des groupes régionaux et professionnels.
La fiction politique sur laquelle se fonde le conseil est d’affirmer que ces forces représentent une rupture avec le régime de Ben Ali. Ainsi, dans une interview accordée le 21 mars à AllAfrica.com, Achour a dit : « la non-compromission avec l’ancien régime, c’est le critère fondamental qui a présidé aux choix des membres y compris ceux proposés par les partis politiques. »
C’est un mensonge grossier. Quelles que soient les histoires personnelles des gens siégeant à la Commission, les organisations qu’ils représentent sont des organes de la classe dirigeante tunisienne et de sa collaboration avec l’impérialiste étranger. L’UTICA a supervisé le développement explosif de la Tunisie comme économie capitaliste de main d’œuvre bon marché dont l’exploitation intensive de la classe ouvrière a créé les richesses sur lesquelles se basait la kleptocratie de Ben Ali.
Quant aux principaux partis politiques présents dans la commission – le PDP et l’Ettajdid – ils avaient signé le pacte national de 1988 avec l’opposition, devenant ainsi des rouages officiellement reconnus de la machine de Ben Ali. L’UGTT, quant à elle, avait soutenu la candidature de Ben Ali lors des fausses « élections » présidentielles de la dictature et avait refusé de soutenir les récentes protestations contre Ben Ali à leur début.
Les événements ont rapidement montré que la commission ne disposait d’aucun soutien populaire. Le 23 mars, la commission s'est réunie à huis clos tandis que dehors la population manifestait. Des objections ont été soulevées dans la presse sur le fait que la commission ne comprenait pas un nombre suffisant de femmes, de jeunes et de représentants des régions montagneuses pauvres de l’Ouest d’où les protestations étaient parties en décembre.
Ensuite, le président de l’UTICA, Hamadi Ben Sedrine, a révélé par inadvertance les projets contre-révolutionnaires motivant les négociations engagées par son organisation avec les syndicats et les groupes petits bourgeois. Il a dit, « Je me consacre à rétablir l’ordre dans l’économie du pays, du moins dans le secteur privé, tant que les bureaux exécutifs de l’UTICA et de l’UGTT se réunissent autour d’une table en compagnie du ministre des Affaires sociales et tant que toutes les parties concernées prennent des engagements précis. »
Sedrine a exigé que l’UGTT l’aide à mettre fin aux « grèves du zèle, aux revendications excessives et aux occupations des lieux de travail des travailleurs qui recourent souvent à de telles pratiques visant à saborder intérieurement, par la paresse et l’inertie, les entreprises qui les emploient. »
Il a expliqué qu'il était essentiel de briser l’opposition de la classe ouvrière pour obtenir le soutien d’importants investisseurs étrangers : « Laurence Parisot, la présidente du MEDEF, la fédération patronale française, viendra en Tunisie à la fin du mois de mai. Comment pouvons-nous discuter du maintien et de la croissance des investissements français en Tunisie si cette atmosphère de revendications anarchiques continue de prévaloir dans le secteur privé de notre pays ? »
Dans ces conditions, le récent élargissement de la Commission – notamment en triplant le nombre des représentants des partis politiques de sorte que chaque représentant a aussi un représentant féminin et un représentant des jeunes - est une fraude cynique. Son but est de conférer un nouveau visage à la Commission sans en changer son caractère de classe : une assemblée contre-révolutionnaire de l’ensemble de l’establishment politique visant à mettre un terme aux luttes de la classe ouvrière en Tunisie.
(Article original paru le 30 mars 2011)