De violents combats se poursuivent à Tripoli
Par Bill Van Auken
26 août 2011
Des combats violents jusque dans la nuit faisaient rage à Tripoli alors même que les dirigeants des principales puissances occidentales proclamaient la fin des 42 ans de pouvoir du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi et manoeuvraient pour se positionner dans la bataille pour la richesse pétrolière de la Libye.
Après leur avance étonnamment rapide dans la capitale Libyenne, les groupes armés soutenus par l’OTAN se sont heurtés à une résistance farouche des forces loyales au régime Kadhafi. La foule qui avait initialement salué les soi-disant « rebelles » s’était dissoute et les rues sont restées en grande partie désertes alors que les deux camps se livraient à des échanges de tirs d’armes automatiques, de mortiers et de batteries antiaériennes.
Des combats aux armes lourdes se sont poursuivis autour de Bab Al-Azizia, la résidence présidentielle fortifiée de Kadhafi et la fumée se répandait au-dessus de différentes sections de la ville. Un porte-parole du Conseil national de Transition (CNT) basé à Benghazi et qui est appuyé par l’OTAN a prédit que la résidence-caserne fortifiée ne tomberait pas facilement et que les combats seraient « féroces. » L’énorme résidence-caserne à Tripoli a été soumise à de lourds bombardements par les avions de l’OTAN.
Alors que le CNT prétend contrôler entre 80 et 90 pour cent de la capitale libyenne, des journalistes ont décrit la situation dans la ville comme étant « fluide » et que peu de postes de contrôles ont été mis en place pour sécuriser les rues.
La correspondante de la BBC, Orla Guerin, a rapporté qu’à l’Est de Tripoli « la bataille n’était pas terminée, » et que les milices basées à Benghazi avaient été empêchées de pénétrer dans la capitale par les forces loyalistes qui contrôlent l’autoroute près de la ville côtière de Zlitan, à environ 150 km à l’Est de la capitale.
Le porte-parole du gouvernement libyen Moussa Ibrahim a dit aux journalistes tard dimanche soir que 1.300 Libyens avaient été tués dans la capitale au cours des précédentes 24 heures suite aux combats et aux frappes aériennes de l’OTAN. 5.000 de plus auraient été blessés.
Alors que la guerre Etats-Unis/OTAN avait été lancée sous le prétexte de protéger des civils de la répression du régime Kadhafi, elle a fait depuis plus de victimes que les forces de sécurité de Kadhafi n’ont menacé de le faire et a, à son stade final, impliqué des crimes de guerre majeurs dont les lourds bombardements et le recours aux hélicoptères d’attaque Apache à Tripoli, une ville de 2 millions d’habitants.
La BBC a cité un habitant de Tripoli disant que les guérillas soutenues par l’OTAN « pénétraient dans les maisons des gens et volaient tout. » Il a prédit que le siège de la capitale serait « un désastre pour la Libye et l’OTAN. »
Alors que la rapidité de l’entrée des forces soutenues par l’OTAN à Tripoli avait sans aucun doute été facilitée par l’effondrement interne du régime corrompu et dictatorial de Kadhafi, des rapports publiés lundi, à la fois dans le New York Times et le Washington Post, ont clairement montré que l’avance des « rebelles » avait été dirigée, tant au sol que dans les airs, par l’intervention des puissances occidentales dans ce pays d’Afrique du Nord riche en pétrole.
Comme le relate le Washington Post, le succès du siège de Tripoli a été le résultat d’une stratégie élaborée par « les forces spéciales britanniques, françaises et qatari au sol » ainsi que par « une décision prise antérieurement par le gouvernement Obama de fournir des renseignements supplémentaires sur les positions des forces gouvernementales libyennes. »
Citant des sources de l’OTAN de même que de l’armée et du renseignement américains, le Post a dit que l’opération était censée « créer un ‘étau’, repoussant de partout les forces loyales à Mouammar Kadhafi pour protéger Tripoli. Ce faisant, les troupes gouvernementales fourniraient des cibles claires aux frappes aériennes de l’OTAN et les routes seraient dégagées pour une avance des rebelles. »
« Au cours de ces derniers quatre à cinq jours, le ciblage a été déplacé vers Tripoli au fur et à mesure que les forces du régime reculaient… et l’objectif fixé [dans la capitale] devenait plus important, » a dit un haut responsable de l’OTAN au Post. En d’autres termes, la fonction des « rebelles » a été en grande partie de pousser les forces de Kadhafi dans une position où elles pouvaient être massacrées par l’aviation.
L’article montre clairement que les Etats-Unis ont joué un rôle crucial dans ce processus en fournissant des avions à l’OTAN ainsi qu’une imagerie par satellite détaillée aux unités des forces spéciales françaises et britanniques au sol et des écoutes de renseignement provenant du National Security Agency (Agence de sécurité nationale), permettant ainsi un ciblage bien plus précis et plus rapide des troupes gouvernementales libyennes.
Interrogé sur les accusations selon lesquelles l’OTAN agissait essentiellement, et ce en violation de la résolution des Nations unies, comme la force aérienne des « rebelles », le responsable de l’OTAN a reconnu que « l’effet de ce que nous faisons n’est pas différent. »
Le New York Times a aussi cité des responsables américains et de l’OTAN qui ont avancé « une surveillance aérienne américaine renforcée dans et autour de la capitale » comme étant « le facteur principal qui a contribué à faire pencher la balance après des mois d’une érosion constante de l’armée du colonel Mouammar Kadhafi. » Le journal a rapporté que « la coordination entre l’OTAN et les rebelles » était devenue « plus sophistiquée et plus meurtrière ces dernières semaines. » Il a également mentionné le fait que « la Grande-Bretagne, la France et d’autres pays avaient déployé à l’intérieur de la Libye des forces spéciales au sol. »
Entre-temps, le Pentagone a publié lundi des chiffres montrant qu’au cours de ces 12 derniers jours l’armée américaine a doublé ses frappes aériennes sur la Libye. Alors qu’entre le 1er avril et le 10 août, 10 avions américains avaient effectué en moyenne 1,7 frappes par jour, depuis le 10 août ils sont passés à 3,1 frappes dont près de la moitié ont été menées par des drones Predator, des avions sans pilote.
Le coût de l’intervention militaire américaine dans ce pays d’Afrique du Nord avoisine à lui seul 1 milliard de dollars, a précisé CNN lundi.
Selon le dernier sondage réalisé par le réseau d’information télévisée, seuls 35 pour cent de l’opinion publique américaine soutient la guerre, 60 pour cent sont contre l’intervention américaine en Libye.
Après avoir interrompu ses vacances sur l’île de Martha’s Vineyard, Massachussetts, le président Barack Obama a proclamé que les événements à Tripoli montraient clairement que « le règne de Kahdafi était terminé » et a appelé à une « transition inclusive qui débouchera sur une Libye démocratique. »
Le président a promis que Washington serait « l’ami et un partenaire » de la Libye. Il a poursuivi en disant, « Nous continuerons à travailler avec nos alliés et nos partenaires pour poursuivre le travail de protéger le peuple de Libye. » Il a dit que son gouvernement était en discussion avec l’OTAN et les Nations unies pour « déterminer quelles autres mesures nous pouvons prendre. »
Le Wall Street Journal a cité lundi des commandants de l’armée américaine disant qu’alors qu’ils pensaient qu’une force « de maintien de la paix » était nécessaire en Libye, « Le gouvernement Obama avait clairement fait savoir à ses alliés qu’ils ne devaient pas s’attendre à ce que des troupes américaines y participent. »
Le Journal a cité des responsables du gouvernement qui ont dit que le Pentagone « souhaiterait établir une présence d’assistance sécuritaire dans la nouvelle Libye. Celle-ci pourrait comprendre des officiers de liaison de l’armée, tout comme des formateurs américains qui collaboreraient avec les forces de sécurité libyennes. »
Parmi ceux qui réclament que les Etats-Unis « envoient des troupes » après l’éviction de Kadhafi il y a Richard Haass, ancien responsable du département d’Etat américain et l’actuel président de la Commission des Affaires étrangères, qui avait initialement critiqué l’intervention des Etats-Unis. Dans un article d’opinion publié par le Financial Times de Londres, Haass a écrit : « Les avions de l’OTAN ont contribué à la victoire des rebelles. L’intervention « humanitaire » introduite pour sauver des vies qui seraient menacées était en fait une intervention politique introduite pour provoquer un changement de régime.
« A présent l’OTAN doit affronter son propre succès. Une forme d'assistance internationale et fort probablement une force internationale sera vraisemblablement nécessaire pendant un certain temps pour restaurer et maintenir l’ordre… Mais surtout, le président américain Barack Obma devra peut-être reconsidérer son affirmation qu’il n’y aurait pas de soldats américains sur le terrain ; il est difficile de mettre en œuvre une direction sans participation. »
La chancelière allemande, Angela Merkel a aussi réclamé une action internationale en Libye. « Nous devons rapidement créer les structures politiques qui permettront une transition pour passer de la situation actuelle à une société pacifique, démocratique et libre, » a-t-elle dit.
Alors que l’Allemagne s’était abstenue lors du vote du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant l’imposition d’une « zone d’exclusion aérienne » en Libye et avait refusé de fournir des avions de combat pour effectuer des frappes aériennes, le ministre allemand de la Défense, Thomas de Maizière, a dit au quotidien allemand Rheinische Post que le gouvernement Merkel reconsidérerait l’envoi de troupes pour soutenir une opération de « maintien de la paix » après le renversement de Kadhafi. « Si on demandait à la Bundeswehr [armée allemande] d’y participer, nous réexaminerions une telle requête de manière constructive, » a-t-il dit.
De son côté, le président français, Nicolas Sarkozy, a invité le chef du Conseil national de Transition, Moustapha Abdel Jalil, à se rendre à Paris en vue de consultations, alors que le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a annoncé que la France convoquerait une réunion du « groupe de contact » libyen qui comprend aussi la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Qatar et les représentants de l’ONU ainsi que d’autres organismes internationaux.
A Londres, le premier ministre britannique David Cameron a fait une déclaration devant le 10 Downing Street pour proclamer que la Grande-Bretagne ferait tout ce qui est en son pouvoir pour « soutenir la volonté du peuple libyen qui est en faveur d’une transition efficace vers une Libye libre, démocratique et inclusive. » La première priorité, a-t-il ajouté, est « d’instaurer la sécurité à Tripoli. »
Après avoir vanté le rôle des pilotes britanniques qui ont bombardé sans relâche la Libye au cours de ces cinq derniers mois, Cameron a ajouté une note de fausse modestie : « Ceci n’est pas notre révolution mais nous pouvons être fiers d’avoir joué notre rôle. »
Au contraire, la soi-disant « révolution » a en fait été un coup d’Etat parrainé par les principales puissances impérialistes avec le soutien des grands groupes énergétiques et exécutés par les armées et les services de renseignement américains, britanniques et français. Se servant des soulèvements survenus dans les pays voisins, la Tunisie et l’Egypte, de couverture et d’une mission « humanitaire » de prétexte, ces pouvoirs ont lancé une guerre de style colonial dans le but de renverser le régime Kadhafi et de mettre en place à Tripoli un régime clientéliste plus complaisant.
Derrière toutes les discussions à propos d’aider la « démocratie » et de fournir une assistance, ces puissances et les principales sociétés pétrolières dont elles promeuvent les intérêts, se bousculent à présent pour obtenir une part, la plus grande possible, dans le nouveau partage des réserves pétrolières de la Libye, les plus importantes du continent africain.
Un porte-parole de la société pétrolière AGOCO (Arabian Gulf Oil Company), créée par les « rebelles » avec le soutien de l’OTAN, a annoncé lundi que le régime post Kadhafi renégocierait les contrats au profit des puissances occidentales et aux dépens de leurs concurrents.
« Les pays occidentaux tels l’Italie, la France et le Royaume Uni et leurs entreprises ne nous posent pas de problèmes, » a dit le porte-parole, Abdeljalil Mayouf. « Mais nous avons quelques problèmes politiques avec la Russie, la Chine et le Brésil. » Ces trois derniers pays s’étaient abstenus de voter la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant le recours à la force en se déclarant opposés à l’intervention Etats-Unis/OTAN .
Ces trois pays ont en Libye des investissement s’élevant à des milliards de dollars. Avant la guerre Etats-Unis/OTAN, 75 entreprises chinoises opéraient en Libye, employant 36.000 travailleurs dans une cinquantaine de projets. Les sociétés russes, dont les entreprises pétrolières Gazprom Neft et Tatneft, avaient investi dans le pays et le géant pétrolier public brésilien Petrobras et l’entreprise de construction Odebrecht étaient également impliqués dans de gros contrats.
« Nous avons totalement perdu la Libye, » a dit à Reuters Aram Shegunts, directeur général du Business Council Russie-Libye.
« Nos entreprises n’obtiendront pas le feu vert pour y travailler, » a-t-il ajouté. « Quiconque pense le contraire se trompe. Nos entreprises vont tout perdre parce que l’OTAN les empêchera de mener leurs affaires en Libye. »
Entre-temps, les principales entreprises pétrolières européennes ont vu les cours de leurs actions fortement augmenter dans l’attente d’engranger des profits après la renégociation des contrats avec le régime instauré par l’OTAN en Libye. ENI, la multinationale pétrolière créée par le gouvernement italien, a ouvert la voie avec une augmentation de 7 pour cent.
Le ministre italien des Affaires étrangères, Franco Frattini, a rapporté que des représentants d’ENI étaient déjà arrivés en Libye pour superviser les possibilités de redémarrage de l’exploitation des ressources pétrolières dans le pays. Avant la guerre, ENI avait été la plus importante entreprise pétrolière étrangère en Libye. Frattini a observé qu’après la mise en place d’un nouveau régime il y aurait « d’importantes perspectives » pour les entreprises italiennes.
De 1911 à 1943, l’Italie avait instauré en Libye un régime colonial brutal, éliminant près de la moitié de la population du pays lors de sa répression de la résistance.
La Marathon Oil Corporation, qui a son siège à Houston, a annoncé lundi qu’elle était également en pourparlers avec les « rebelles » au sujet d’une reprise de l’exploitation des champs pétroliers de Waha qui se trouvent dans le bassin de Syrte.
Le quotidien britannique The Telegraph a rapporté lundi que « David Cameron et le président Sarkozy souhaitaient récolter les fruits de leurs efforts dans l’offensive aérienne de l’OTAN en s’assurant que les sociétés britanniques et françaises étaient à l’avant-garde de l’action internationale pour aider le nouveau régime à rétablir l’ordre et à reconstruire l’économie. » Les deux gouvernements, a dit le journal, sont engagés dans un « dialogue » avec le CNT concernant des projets d’infrastructure et « pour suggérer des entreprises de construction et d’infrastructure prêtes à soumettre leurs dossiers à des appel d’offres. »
Dans un article intitulé « La ruée pour l’accès aux richesses pétrolières de la Libye commence », le New York Times fournit une justification franche pour la guerre « humanitaire » des Etats-Unis et de l’OTAN :
« Le colonel Kadhafi s’était révélé être un partenaire problématique pour les sociétés pétrolières internationales, augmentant souvent les frais et les taxes et faisant d’autres requêtes. Un nouveau gouvernement ayant des liens étroits avec l’OTAN sera peut-être un partenaire plus facile à gérer pour les pays occidentaux. Certains experts disent que dès lors que les entreprises de pétrole auront carte blanche, elles pourraient trouver considérablement plus de pétrole en Libye qu’elles n’avaient pu en localiser en raison des restrictions imposées par le gouvernement Kadhafi. »
(Article original paru le 23 août 2011)