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Les coupures dans la santé provoquent un désastre

Une entrevue avec un médecin de l'urgence de l'hôpital Santa-Cabrini.

2 avril 1999
Par François Legras

Les dernières années de coupures sauvages effectuées dans le régime public de la santé par le gouvernement fédéral et le gouvernement du Parti Québécois ont créé un véritable désastre social au Québec et ailleurs au Canada.

Les chiffres suivants illustrent la profondeur de la crise provoquée par une politique brutale de coupures menée au nom de l'assainissement des finances publique et de l'amélioration du réseau de la santé.

À travers le Canada il y avait à peu près 15 000 postes d'infirmières de moins en 1996 par rapport à 1990. Pour couper dans les dépenses les administrateurs d'hôpitaux ont commencé à engager à temps partiel et sur appel. En 1997, 51 % des infirmières étaient à temps plein, comparativement à 61% en 1992.

La détérioration des conditions de travail dans la santé a incité 5433 infirmières, en 1996, à faire des demandes de « vérification » pour un emploi aux États-Unis.

En Ontario entre 1990 et 1996, avec les fermetures d'hôpitaux 7931 emplois d'infirmières ont aussi disparu, contre la création de 4829 emplois d'infirmières dans les centres pour personne âgées et les cliniques communautaires ( équivalent des CLSC au Québec ), pour une perte net de 3102 emplois.

Deux milliards de dollars ont été sabrés dans la santé depuis l'élection de Mike Harris et 35 hôpitaux ont été fermés en Ontario. Les dépenses gouvernementales par personne en soins de santé sont passées de 1606 $ en 1995 à 1512 $ aujourd'hui, selon une étude de l'économiste du syndicat des travailleurs de l'automobile, Bill Murningham.

Au Québec, suite aux deux sommets sur l'avenir économique et social du Québec, tenus en 1996 et l'adoption, sanctionnée par les dirigeants des trois centrales syndicales, lors de ces sommets de l'objectif du « déficit zéro », les coupures budgétaires ont pris une ampleur jusqu'à maintenant inégalée. Des dizaines de milliers de postes dans la santé ont été coupés. Dès son arrivée au pouvoir, le PQ, sous la direction de Jacques Parizeau, a commencé à mettre la hache dans la santé en annonçant la fermeture de plusieurs hôpitaux à Montréal et en région. Sept seront fermés sur l'île de Montréal. Le gouvernement du Québec a aussi introduit la fameuse réforme ambulatoire, débutée parmi les patients psychiatriques et étendue à tout le réseau de la santé. Essentiellement, cette réforme vise à sortir les malades hors des centres spécialisés et des hôpitaux pour les envoyer se faire soigner dans leur milieu familial avec un appui médical et technique appelé le service ambulatoire. L'objectif a du bon, mais la réforme est devenue un véritable cheval de Troie pour réduire les services et couper dans les budgets. Les malades sont envoyés chez eux sans aucun soutien. Beaucoup de malades psychiatriques se retrouvent maintenant parmi les sans-abris.

Au Québec, en 1997, 17 000 travailleurs de la santé on quitté leurs emplois en prenant une préretraite offerte par le gouvernement, suite à une proposition syndicale de puiser dans les surplus de la caisse de retraite des employés de la santé pour financer en partie ce programme de départs. Un faible pourcentage seulement a été remplacé. Écuré par la dégradation constante de leurs conditions de travail, un nombre beaucoup plus élevé que prévu a saisi l'occasion pour quitter le réseau. Ce mouvement de départ, largement composé de travailleurs ayant une vaste expérience du réseau et une expertise médicale et technique vitale, a contribué à plonger le système de santé dans un marasme absolu.

En plus de procéder au démantèlement du système public de santé, le gouvernement du PQ a introduit en 1997 le nouveau régime d'assurance-médicaments. Ce régime, mis en place à toute vapeur et au mépris d'études et d'avertissements quant aux dangers pour la santé des gens, enlevait la gratuité des médicaments pour les plus pauvres de la société, les personnes âgées et les assistés sociaux. Une étude exhaustive de plusieurs centaines de pages qui vient d'être rendue publique, démontre clairement qu'en effet, les coûts élevés de la prime d'assurance et de la franchise, entraînent une diminution de la consommation des médicaments jugé essentiels et provoquent plusieurs milliers d' « événements indésirables » (4046 selon les premiers extraits du rapport publié en automne 1998), incluant des hospitalisations et près de 120 morts ( faire le lien vers l'article en ligne ).

Après toutes ces coupures, il était prévisible qu'à la moindre augmentation du nombre de patients à l'hôpital, une crise allait éclater. Durant la période des fêtes et les premiers mois de 1999, période de pointe annuelle, les urgences des hôpitaux partout au Québec et particulièrement à Montréal, à Laval et dans les Laurentides, étaient complètement débordées et devenues dangereuses pour les patients, les médecins, les infirmières et autres travailleurs de la santé. Au point où la CSST a dû intervenir à plusieurs reprises et dans un cas, ordonné que l'hôpital prenne des mesures immédiates pour assurer la sécurité des infirmières assignées à l'urgence.

Notre-Dame a dû fermer son urgence quelques jours, isolé des sections pour garder en quarantaine des patients infectés par un virus qui résistait aux traitements habituels. Le virus s'est transporté à l'hôpital Saint Luc, obligeant une autre fermeture d'urgence, aggravant la situation générale.

Les médecins, les infirmières et les employés de soutien de différents hôpitaux ont débrayés à plusieurs reprises pour protester contre la dégradation du réseau et de l'engorgement endémique des salles d'urgences. Dans certaines institutions le nombre de patients en urgences était de trois fois supérieur à la capacité officielle et plusieurs dizaines de patients attendaient sur des civières depuis plus de 48 heures, la limite imposée par la Régie avant d'être transféré vers une chambre.

Les journaux en ont fait leur choux gras. Les quotidiens publiaient à chaque jour, sur plusieurs pages, un compte rendu factuel de la situation des urgences et des drames provoqués par la situation. Un tableau, comme pour les sports, avec les résultats de la veille sur la situation dans les urgences était publié quotidiennement. Parallèlement à cette couverture sur le « terrain » les journaux publiaient le débat entre les spécialistes de la question de la santé et des autres intervenants du milieu sur la question de la privatisation du régime, en tant que solution à long terme aux problèmes.

La ministre de la santé, Pauline Marois a annoncé que le gouvernement allait verser 15 millions pour venir en aide aux hôpitaux du Québec. La ministre a aussi annoncé qu'elle allait régler le problème une fois pour toutes d'ici un an sans spécifier comment. Le dernier budget du PQ annonçait à grande pompe une injection de 1,7 milliard de dollars pour la santé. Mais après une analyse minutieuse du budget, ce n'est que 160 millions de nouveaux dollars qui seront injectés dans le réseau.

C'est dans ce contexte de crise que les urgentologues de l'hôpital Santa Cabrini, sur l'île de Montréal ont démissionné en bloc. Leur démission devait être effective dans les 60 jours de l'annonce soit le 19 mars 1999. Ils étaient 25 médecins il y a 24 mois, au moment d'annoncer leurs démissions, ils n'étaient plus que 11 ou 13 selon les sources et ne peuvent plus subvenir aux besoins de la demande. La chute du nombre de médecins est attribuable à des départs à la retraite et aux démissions de jeunes médecins. L'hôpital connaît aussi un accroissement de l'affluence, puisqu'il est le seul hôpital avec Maisonneuve-Rosemont à desservir l'est de l'île depuis la fermeture de plusieurs petits hôpitaux du secteur à cause des compressions budgétaires.

Depuis, il y a eu une intervention de la ministre Marois et le gouvernement a promis plusieurs mesures notamment l'injection d'une somme de 2 millions pour la modernisation de l'urgence, le déplafonnement des honoraires des médecins d'urgence et de verser une somme forfaitaire à titre de rémunération au lieu de la rémunération à l'acte. Ces différentes mesures, selon les médecins de Santa Cabrini, devraient créer les conditions pour attirer de nouveaux médecins dans les urgences et améliore leurs conditions de travail.

 

L'entrevue

Le docteur DeVette est médecin omnipraticien en clinique et aussi médecin de garde à l'urgence de l'hôpital Santa Cabrini à Montréal. Le 16 janvier 1999, lui et 12 autres médecins de l'hôpital Santa Cabrini ont donné leur démission qui sera effective le 19 mars 1999.

Le docteur DeVette a accepté d'accorder une entrevue à un reporter du World Socialiste Web Site.

Q. Vous êtes attaché à l'urgence de l'hôpital Santa Cabrini et vous ainsi que vos collègues avez donné votre démission. Cette démission va être effective le 19 mars, soit 60 jours après l'avoir remise.

R. Oui. Nous étions 23 médecins en février 1998. Il ne reste que 13 médecins en poste. Au cours de l'année plusieurs médecins ont été engagés, mais l'un après l'autre ont quitté après quelques mois de travail, ne pouvant plus supporter les conditions de travail.

Q Le gouvernement et les médias nous disent que la situation n'est pas nouvelle, que l'engorgement des urgences est un problème qui date depuis au moins 15 ans et qu'il ne faut pas faire de lien entre les coupures, les fermetures d'hôpitaux et le problème actuel.

R. La fermeture des sept hôpitaux a eu un impact majeur, et on peut dire qu'il y a un autre deux à trois hôpitaux de fermés à cause des lits fermés pour des raisons budgétaires, des étages et des locaux loués à des organismes extérieurs et qui ne sont pas utilisés pour les besoins de l'hôpital.

C'est vrai qu'il y a toujours eu une période de pointe durant les mois de janvier, février et mars. Ca fait maintenant 19 ans que je pratique, dix ans d'urgences à temps plein et maintenant je fais un à deux quarts d'urgence par semaine normalement. Je dois ajouter que depuis notre démission, j'en fais plus, pour assurer le maintien de l'équipe actuelle. Mais depuis deux ans la situation s'est dégradée énormément. Il y a beaucoup plus de pression sur les hôpitaux encore ouverts. Nous recevions entre 15 et 20 ambulances par jour, c'est la normale pour la capacité de l'urgence de l'hôpital. Maintenant nous recevons tous les jours entre 40 et 50 ambulances.

Q.Le gouvernement dit que les médecins sont en partie responsables parce qu'ils refusent de travailler dans les urgences pour des questions d'honoraires, est-ce que c'est exact ?

R. Il y a un plafond salarial à chaque trois mois et à chaque six mois, lorsque ce plafond est atteint, les médecins sont payés à 25% de la rémunération normale. Les médecins des urgences atteignent rarement ce plafond, puisqu'ils ont affaire à des cas lourds qui nécessitent plus de temps et de travail. Alors que les médecins, en général, qui travaillent en clinique sans rendez-vous atteignent le plafond après deux mois, deux mois et demi et cessent de travailler jusqu'à la fin du trimestre. Ils ferment leur clinique et la clientèle arrive à l'urgence, c'est une partie infime du problème. Les médecins ne veulent pas travailler dans les urgences parce que les conditions de travail sont insupportables. Nous étions 23, nous somme 13 et entre-temps plusieurs jeunes médecins ont été engagés et son partis après deux ou trois mois, écurés.

Le gros point, pour les engorgements, c'est les restrictions budgétaires. Il n'y a aucune marge de manuvre, les budgets sont serrés au maximum. On ne peut pas envoyer les patients sur les étages parce que les lits sont fermés pour des raisons budgétaires. A Santa-Cabrini il y a des lits de fermés pour cette raison alors que l'urgence déborde. L'hôpital loue aussi tout un étage à un centre d'hébergement de soins de longue durée et pour personnes âgées. Ce sont des lits et des espaces perdus pour l'urgence et les patients de l'hôpital.

Q. Mais le gouvernement avait annoncé l'ouverture de centres pour les soins prolongés et pour les personnes âgées, ça n'a pas été fait ?

R: Non, il n'a rien fait. Les services ambulatoires, c'est correct pour les cas légers, de toute façon ce ne sont pas les cas légers qui engorgent les urgences, ou ceux qui « abusent » supposément du système mais les cas lourds qui doivent être placés sur des civières. Aussitôt que ca devient plus grave, c'est à l'urgence et en ambulance que les gens se présentent. Fatalement tous le monde meurt un jour et avec le vieillissement de la population, il y a de plus en plus de gens âgés qui se présentent à l'urgence. Un rhume ou une grippe peu paraître banale, mais une personne de 82 ans, une grippe peut provoquer un état comateux et être fatale.

Q Pourquoi avoir démissionné ?

R. Premièrement pour lancer un cri d'alarme, la situation ne pouvait plus continuer. Il fallait arrêter l'érosion de notre équipe médicale. Ca faisait boule de neige, à chaque fois qu'un médecin quittait, la pression augmentait sur les autres. La situation devenait dangereuse pour les patients, nous travaillions à haut risque d'erreur, ça devenait intenable, alors on n'avait plus le choix.

Q. Qu'est-ce que vous demandez ?

R. Ça fait longtemps que nous faisons les mêmes demandes à l'administration. Premièrement un contrôle des admissions lorsqu'il n'y a pas les effectifs médicaux et infirmiers de base. Ça veut malheureusement dire, refuser les ambulances.

Nous demandons aussi que les rénovations de l'urgence se fassent, ça fait longtemps que cette demande est faite, que l'administration nous le promet mais rien ne se fait. L'urgence n'est actuellement pas conçue pour répondre aux besoins, les lieux sont vétustes et non fonctionnels.

 

Engager et garder de nouveaux médecins. Actuellement, depuis notre démission, certains médecins viennent nous donner un coup de main parce que la ministre a déplafonné la rémunération pour l'urgence de Santa Cabrini. Mais c'est une mesure temporaire et si le gouvernement déplafonne pour tous les urgentologues, comme il en a été question, ils vont retourner dans leurs institutions et actuellement tous les hôpitaux sont à la limite quant à leurs effectifs dans les urgences. Il est difficile de trouver des médecins pour les urgences, il faut être un peu « missionnaire ». Et après six d'absence d'une salle d'urgence, on perd la main et il est difficile d'y retourner.

Q. Et les infirmières ?

Les infirmières sont en quelques sorte les esclaves du système de santé, surtout ceux de l'urgence. Elles sont harcelées par les patients et par la direction de l'hôpital. Elles se font toujours demander de faire du temps supplémentaire et sont presque obligées d'accepter. Elles font un quart de travail, et quant elle quittent, elles ne peuvent pas à cause de la situation à l'urgence, elle restent, font un autre quart et on leur en demande encore, ou bien elles vont travailler dans un autre hôpital. Je ne sais même pas si c'est légal d'agir comme le fait la direction avec elles, de les harceler comme ça pour le temps supplémentaire.

Q Est-ce que le gouvernement et les différents intervenants ont réagi à votre démission ?

R. Jeudi dernier, le 18 février nous avons rencontré monsieur Lamontagne, le président du collège des médecins, monsieur Villeneuve, le président du Conseil des services sociaux de Montréal et aussi le président de la fédération des médecins et omnipraticiens du Québec, notre représentant syndical en quelque sorte.

Villeneuve nous a dans un premier temps, expliqué avec toute une série de statistiques le pourquoi de l'engorgement de Santa Cabrini. Ensuite il nous a promis de libérer les étages pour nous permettre d'y envoyer les patients. Le président de la fédération nous a annoncé qu'il était sur le point de pouvoir nous annoncer une entente entre la fédération et le gouvernement sur le plafonnement des salaires pour les urgentologues. Quant a Lamontagne, il nous a demandé d'écrire une lettre expliquant en quoi l'urgence de Santa Cabrini ne rencontrait pas les normes minimales en services de santé pour une société comme la notre. En fait, il veut que l'on motive notre décision d'un point de vue de principe.

Q. Croyez vous que l'argent du PQ, les 20 millions annoncés, vont aider ?

R. Non, c'est des peanuts. Ça ne va rien changer.





 

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