Ci-dessous la deuxième partie d’une conférence donnée
à l'école d'été du Parti de l'égalité socialiste à Ann Arbor, dans le Michigan
en août 2007. La première partie a été mise en ligne le
29 mai 2009. La troisième et dernière partie sera postée le 1er juin.
Les caractéristiques du centrisme
Le centrisme, de par sa nature propre, est vague et mal
défini, oscillant tantôt vers la gauche, tantôt vers la droite. Il est
caractérisé autant par ce qui lui manque en terme de fondements idéologiques
clairs et de principes politiques que par ce qu'il défend.
Néanmoins, en 1934, Trotsky décrivait clairement dans son
article « Le centrisme et la Quatrième Internationale » [2] certains
des traits fondamentaux des organisations centristes. Le lire aujourd'hui fait
venir à l'esprit la maxime — plus ça change, plus c'est la même chose.
« En théorie », écrivait Trotsky, « le
centrisme est amorphe et éclectique ; autant qu'il est possible, il se dérobe
aux obligations théoriques et a tendance (dans les mots) à donner la préférence
à la “pratique révolutionnaire” sur la théorie sans comprendre que seule la
théorie marxiste peut communiquer une direction révolutionnaire à la
pratique... »
Il continuait « Dans la sphère de l'idéologie, le
centrisme conduit à une existence parasitaire. Il répète contre les
révolutionnaires marxistes les vieux arguments mencheviks... en général sans
s'en rendre compte. D'un autre coté, les arguments principaux contre la droite
qu'il emprunte aux marxistes, c'est-à-dire avant tout aux bolcheviks
léninistes, il en émousse toutefois le tranchant de la critique et en évite les
conclusions pratiques, vidant de ce fait leur critique de toute
signification... »
A cause de son inaptitude à définir clairement sa position
politique, disait Trotsky, « Un centriste, jamais sûr ni de ses positions
ni de ses méthodes, éprouve de la haine pour le principe révolutionnaire : dire
ce qui est. Il est enclin à substituer à la politique principielle des
combinaisons personnelles et une médiocre diplomatie entre
organisations. »
Et, dans une remarque que tous ceux qui ont un minimum
d’expérience dans notre mouvement trouveront tout à fait familière et
d’actualité, il déclarait « Le centriste couvre fréquemment son
irrésolution en se référant au danger du “sectarisme”, ce par quoi il désigne
non la passivité de la propagande abstraite, mais une préoccupation active pour
la pureté des principes, la clarté des positions, la consistance politique et
la cohérence organisationnelle. »
Egalement d’une immense portée était l’appréciation par
Trotsky du rôle du centrisme sur l’arène internationale. Le centriste,
écrivait-il, « ne comprend pas qu’à notre époque, un parti révolutionnaire
national ne peut qu’être construit comme une partie d’un parti international.
Dans le choix de ses alliés internationaux, le centriste fait preuve d’encore moins
de discernement que dans ceux de son propre pays. »
En effet, cet aspect, ou plutôt cette caractéristique
essentielle du centrisme devait apparaître à de nombreuses reprises dans le
cadre de la lutte entre la Quatrième Internationale naissante et les partis
situés dans l’orbite du Bureau de Londres.
Par exemple, en 1933, seulement une année après que le
British Independent Labour Party (ILP) se soit désaffilié du Labour Party et
ait effectué un tournant marqué vers la gauche et vers la Quatrième Internationale,
ce parti publia une édition anglaise du puissant discours donné par Trotsky à
Copenhague « En défense de la Révolution d’octobre ».
L’édition comprenait une introduction du dirigeant du
parti, James Maxton, la recommandant aux socialistes, mais insistant que les
différends en cause dans la lutte entre l’Opposition de gauche et la
bureaucratie stalinienne étaient de ceux sur lesquels « Seuls les
socialistes russes étaient en mesure de trancher ».
Alors que Trotsky considérait l’ILP comme se trouvant sur
l’aile gauche du Bureau de Londres et qu’à ce moment il cherchait à discuter
avec ce groupe du programme et des principes de la Quatrième Internationale, il
répondit à cette attitude non interventionniste envers la lutte contre le
stalinisme avec une intransigeance caractéristique.
« Par ces quelques mots le caractère international du
socialisme en tant que doctrine scientifique et mouvement révolutionnaire est
totalement réfuté », écrivait-il. « Si les socialistes (communistes)
d’un pays ne sont pas capables, sont non compétents et par conséquent n’ont
aucun droit à se prononcer sur les questions vitales de la lutte de socialistes
(communistes) dans d’autres pays, l’Internationale prolétarienne perd tous
droits et possibilités d’existence… [Maxton] s’exprimait sous une forme masquée
sur l’essence de la dispute et, de facto, en faveur de la faction stalinienne,
puisque notre lutte avec elle porte précisément sur la question de savoir si le
socialisme est une affaire nationale ou internationale. » [3]
La prescience de Trotsky dans cette affaire fut bientôt
confirmée. L’ILP finit par s’opposer à l’appel en faveur de la création d’une
Commission d’enquête internationale sur les procès de Moscou, avec son
dirigeant Brockway proposant à la place une commission composée de vauriens
sociaux-démocrates pour enquêter sur l’activité politique de Léon Trotsky. En
1938, la perspective nationale-réformiste que Trotsky avait repérée dans
l’introduction de Maxton, 5 ans plus tôt trouva sa complète expression lorsque
le dirigeant de l’ILP prononça un discours public dans lequel il remerciait le
premier ministre tory Neville Chamberlain d’avoir sauvé la « paix en
Europe » en parvenant à un compromis avec Hitler à Munich.
Même si tous les partis centristes proches du Bureau de
Londres ne sombrèrent pas aussi profondément dans la politique réactionnaire,
tous finirent par s’opposer à la Quatrième Internationale sur des bases
nationalistes identiques.
Andres Nin
Les
conséquences tragiques de tenter de suivre une route à mi-chemin entre le
marxisme révolutionnaire d’un côté et le stalinisme et la social-démocratie de
l’autre trouva sa pleine expression dans la politique équivoque d’Andres Nin et
du POUM (Partido Obrero de Unificación Marxista, Parti ouvrier
d'unification marxiste) en Espagne, qui contribua de façon décisive à étrangler
la révolution espagnole et conduisit à la destruction du POUM et à l’assassinat
de Nin. Le rôle du POUM, en dernière analyse, était de fournir une couverture
de gauche au Front populaire, tout en isolant activement les marxistes
révolutionnaires des masses. En ce sens, il fonctionna — en dépit des
intentions de Nin — comme le principal obstacle à la construction d’un parti
capable de conduire la révolution espagnole à la victoire.
Les politiques du POUM — ses manœuvres électorales avec le
Front populaire espagnol qui se terminèrent par l’entrée de Nin dans un
gouvernement bourgeois — furent soutenues par le Bureau de Londres, et les
illusions que celui-ci encourageait quant au potentiel révolutionnaire du POUM
trouvèrent une certaine résonance au sein des rangs trotskystes de même que
dans d’autres sections des ouvriers révolutionnaires.
En dépit de ses dénonciations de la répression stalinienne
en Espagne et de son immense sympathie pour le destin personnel de Nin, Trotsky
insistait pour que la vérité soit dite sur les politiques poursuivies par Nin —
qu’il avait commis le plus grand des crimes politiques possible en rejoignant
un gouvernement bourgeois au cours d’une révolution socialiste.
Ceci devint la base d’une rupture avec divers centristes
de gauche à la fois dans et autour de la Quatrième Internationale, qui, soit
ouvertement, soit de façon embarrassée, défendaient le bilan de l’action de
Nin.
Parmi les premiers on trouvait Pivert, du PSOP français.
En réponse à l’affirmation de Trotsky que la soumission du POUM à l’égard du Front
populaire était une des causes principales de la défaite espagnole, Pivert
proclamait que la cause de la défaite n’était en rien liée à une capitulation
du POUM, mais plutôt « aux efforts de l’impérialisme franco-britannique,
de l’impérialisme italo-allemand et aussi à ceux des staliniens ».
En réponse, Trotsky écrivit, « Il n’était pas
possible d’espérer ou de demander un mouvement de plus grande ampleur, de plus
grande endurance, de plus grand héroïsme de la part des ouvriers que celui dont
nous avons été témoin en Espagne. Les “démocrates” impérialistes et la racaille
mercenaire de la Seconde et de la Troisième Internationale se comporteront
toujours comme elles l’ont fait à l’égard de la révolution espagnole. Dans ces
conditions qu’est-il possible d’espérer ? Il est criminel celui qui, au
lieu d’analyser la politique de banqueroute des organisations révolutionnaires
ou quasi-révolutionnaires, invoque l’ignominie de la bourgeoisie et de ses laquais.
C’est précisément contre eux qu’une politique correcte est
nécessaire ! » [4]
C’est un échange qui a trouvé des échos persistants
jusqu’à ce jour. Des choses similaires furent dites au récent congrès de Madrid
pour le 70e anniversaire de la Guerre Civile d’Espagne, avec une entière école
d’historiens bourgeois insistant sur le fait que la cause du fascisme en
Espagne ne provenait pas de l’absence de direction révolutionnaire, mais de la
perfidie de Londres et de Paris. Dans chaque révolution qui a été défaite
depuis — on pourrait citer le cas de la Bolivie en 1971 et du Chili en 1973 —
les centristes ont toujours cherché à limiter tout examen du rôle joué par les
organisations quasi-révolutionnaires — c’est-à-dire les partis centristes —
dans la préparation des défaites, portant à la place le blâme sur
l’impérialisme et la CIA.
Pivert porta aussi l’accusation que les « méthodes
sectaires » des trotskystes étaient responsables de l’affaiblissement de
l’avant-garde révolutionnaire. Il les accusa de « brutaliser
l’intelligence des militants » et « [d’] interpréter sans indulgence
n’importe laquelle des inévitables maladresses qui se produisent lors de la
recherche de la vérité révolutionnaire ». La combinaison d’opportunisme,
de subjectivisme blessé et de calomnie manifesté par Pivert est la marque de
fabrique d’innombrables individus et tendances qui ont rompu avec la Quatrième
Internationale tout en tentant de masquer leur propre politique centriste de
droite. [5]
Ainsi que Trotsky le met en évidence, des accusations
similaires furent portées contre Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxemburg :
qu’ils étaient trop tranchants ou manquaient de sensibilité et de diplomatie dans
leurs échanges avec leurs opposants politiques. Cela s’expliquait par le fait,
disait-il, que les centristes, qui avaient échoué à rompre avec l’opinion
publique bourgeoise et sentaient la duplicité de leur propre position,
n’aimaient pas la critique. D’un autre côté, les révolutionnaires, agissant sur
la base d’une perspective révolutionnaire déterminée objectivement, sont
enclins à confronter les centristes qui tentent d’esquiver les implications de
la situation politique et de leurs propres positions.
A l’intérieur du mouvement trotskyste, le dirigeant de la
section belge, George Vereeken, prit la position que la Quatrième
Internationale était autant à blâmer que le POUM parce que sa critique
tranchante de l’entrée du parti espagnol dans le gouvernement avait éloigné Nin
d’elle. On trouve ici une marque de fabrique
classique du centrisme : voir dans les différences politiques des
problèmes de frictions personnelles ou des problèmes de régime plutôt que des
questions fondamentales de principe.
Henk Sneevliet
Finalement,
la dispute à propos de l’Espagne conduisit à une rupture avec Vereeken de même
qu’avec Sneevliet, dont le RSAP (Revolutionair Socialistische
Arbeiderspartij [Hollandais], Parti des travailleurs révolutionnaire socialiste)
figurait parmi les partis les plus importants ayant signé l’appel de 1935 pour
la Quatrième Internationale. Tout en prenant la forme d’une rupture et les
apparences d’une crise organisationnelle, cette bataille contre le centrisme
constitua la préparation politique essentielle pour la fondation du nouveau
parti mondial.
La fondation de la QI
La Quatrième Internationale fut fondée en septembre 1938
dans des conditions où Trotsky et ses partisans subissaient les persécutions
les plus intenses, les assassinats et même les meurtres de masse tant de la
part de la bureaucratie stalinienne soviétique que de celle du fascisme.
Cette fondation intervint seulement six mois après le
troisième des procès de Moscou, dont les accusés comprenaient Nikolaï
Boukharine, ancien éditeur de la Pravda et qui fut à la tête de
l'Internationale communiste ; Alexeï Rykov, qui
fut officiellement à la tête du gouvernement soviétique pendant cinq ans après
la mort de Lénine ; Christian Rakovsky, qui fut à la tête du gouvernement
ukrainien ; et N.N. Krestinsky, ancien secrétaire du Comité central et membre
du Politburo.
Le procès fut accompagné par ce qui peut seulement être
décrit comme la mise en œuvre d'un génocide politique, dans lequel tous les
communistes qui continuaient de défendre les principes et le programme de la
révolution d'Octobre 1917, c'est-à-dire les trotskystes, furent
systématiquement exterminés. Après une décennie de répression, Staline
craignait Trotsky et ses partisans plus que jamais, reconnaissant que la menace
de guerre portait avec elle la menace d'un renouveau révolutionnaire.
Les meurtres ne se limitèrent pas à l'Union Soviétique.
Les mois conduisant à la fondation de la Quatrième Internationale furent
marqués par l'assassinat du fils de Trotsky, Leon Sedov, assassiné dans une
clinique médicale à Paris, le meurtre violent et le démembrement du secrétaire
allemand de Trotsky Rudolph Klement, qui devait présider la conférence et
l'enlèvement et le meurtre en Espagne de l'autre secrétaire international de
Trotsky, Erwin Wolff.
Cette répression et les défaites infligées à la classe
ouvrière conduisirent certains dans le mouvement trotskyste à s'opposer à la
fondation de la Quatrième Internationale avant et même durant la conférence de
fondation elle-même. L'un des ceux-ci fut le biographe de Trotsky, Isaac
Deutscher, qui devait par la suite fournir une théorie révisionniste du rôle de
Staline, comme d'une sorte de Napoléon soviétique, une théorie qui fournit une
inspiration idéologique clé pour le liquidationisme pabliste qui attaqua la
Quatrième Internationale dans la période suivant la Deuxième Guerre mondiale.
Deutscher dans la troisième partie de sa trilogie sur Trotsky,
Le prophète hors-la-loi, cite les objections à la fondation de la
Quatrième Internationale faite par les délégués du groupe politique trotskyste
polonais, dont il avait aidé à formuler les arguments.
« Ils firent remarquer que c'était s'engager sur une
voie sans issue que de tenter de créer une nouvelle Internationale, alors que
le mouvement des travailleurs, dans son ensemble, refluait et passait par une
période de réaction intense et de dépression politique ; que le succès de
toutes les précédentes Internationales avait été, dans une certaine mesure, dû
au fait qu'elles s'étaient constituées durant des périodes de soulèvements
révolutionnaires. »
Il continue en citant les délégués polonais disant que
« “Aucune section marquante de la classe ouvrière ne répondra à notre
manifeste. Il est nécessaire d'attendre...” Les Polonais tombaient d'accord
avec Trotsky sur le fait que la Deuxième et la Troisième Internationale étaient
moralement décédées. Mais ils avertissaient la conférence qu'il était frivole
de sous-estimer le pouvoir réel de s'attacher la classe ouvrière que ces
Internationales possédaient en divers pays. » [6]
Ces arguments étaient typiques de ces centristes qui
s'étaient retrouvés les plus proches du mouvement trotskyste. Ils insistaient
pour dire qu'ils étaient d'accord avec Trotsky sur de nombreuses questions,
mais pas sur la conclusion pratique qu'un nouveau parti international devait
être construit pour assembler les cadres marxistes qui étaient indispensables
pour qu'une révolution socialiste soit victorieuse. Leurs objections que le
temps n'était pas mûr servaient de couverture à leur propre orientation, mêlée
d'effroi, vers les bureaucraties existantes, tant sociale-démocrate que
stalinienne.
Le point de départ de Trotsky dans la lutte pour fonder la
Quatrième Internationale et dans la méthode qui imprègne son document
fondateur, le Programme de transition, c'est celle d'une évaluation, sur la
base de principes et fondée scientifiquement, de la crise objective, des
relations de classes et des forces politiques sur une échelle internationale.
Il concevait la fondation de la Quatrième Internationale comme une nécessité
historique objective sur la base de la crise du capitalisme et des trahisons
des directions bureaucratiques existantes dans les mouvements ouvriers.
Les critiques centristes qui s'opposaient à la fondation
de la Quatrième Internationale, toutefois, fondaient leurs propres arguments
sur des considérations totalement subjectives. Alors qu'elles insistaient sur
leur accord avec Trotsky sur la nature du stalinisme et de la
social-démocratie, elles n'en partaient pas moins de leur propre estimation de
l'emprise de ces bureaucraties sur les masses — totalement déconnectée de la
lutte du parti révolutionnaire pour rompre cette emprise — et concluaient que
le lancement de la Quatrième Internationale était simplement une gesticulation
futile.
Les groupes adhérents au trotskysme étaient trop petits et
isolés, insistaient-ils, pour « proclamer » une nouvelle
internationale. Seul un nouveau « grand évènement » tel que la
Révolution d'octobre pourrait créer les conditions pour le lancement d'un
nouveau parti mondial.
Contre les centristes comme Deutscher, Trotsky insistait
sur le fait que la nouvelle internationale était fondée sur de grands
évènements — les plus grandes défaites dans l'histoire du mouvement
international des travailleurs — En Espagne, Autriche, Allemagne, Chine, Italie
et ailleurs — en même temps que l'extermination des socialistes en Union
Soviétique — des événements qui avaient démontré la banqueroute et le caractère
contre-révolutionnaire des vieilles bureaucraties dominant le mouvement
ouvrier. Pour que l'humanité ne subisse pas une catastrophe mondiale, la classe
ouvrière devait construire un nouveau parti révolutionnaire international.
Les centristes qui s'opposaient à la fondation de la
Quatrième Internationale aux motifs que les staliniens étaient encore trop
puissants ou que les masses ne comprendraient pas, étaient en fait seulement en
train de participer à l'étouffement qu'exerçaient les vieilles bureaucraties,
condamnant la classe ouvrière à avancer dans une voie sans issue. Trotsky
écartait avec mépris cette fixation sur les supposées « causes
subjectives », invoquée comme prétexte pour ne pas construire une nouvelle
internationale.
Il écrivait : « Et quelle autre tâche y a-t-il
pour les marxistes si ce n’est d’élever le facteur subjectif au niveau de
l’objectif et d’amener la conscience des masses plus près de la compréhension
de la nécessité historique — pour le dire simplement, expliquer aux masses leurs
propres intérêts, qu’elles ne comprennent pas encore ? Le “profond
problème” des centristes est une profonde couardise en face d’une tâche qui ne
peut être différée. Les dirigeants… ne comprennent pas l’importance d’une
activité révolutionnaire, fondée sur une conscience de classe, dans
l’histoire. » [7]
Les centristes ignorent de façon commode le fait que
Lénine publia son appel pour la Troisième Internationale dans le sillage de la
grande trahison mise en œuvre par la Seconde, dans laquelle les partis
sociaux-démocrates de toute l'Europe passèrent à une position de soutien de
leur propre bourgeoisie lors de la Première Guerre mondiale. A l'époque, Lénine
avait admis que ces socialistes qui adhéraient à la perspective du défaitisme
révolutionnaire dont il se faisait le champion, constituaient une minorité dans
la minorité qui aurait pu tenir dans une seule voiture de chemin de fer. Et ils
demeurèrent une petite minorité du mouvement socialiste jusqu'à la victoire de
la Révolution d'octobre.
Ecrivant une demi-année avant cette révolution, Lénine
insistait dans ses « Thèses d'Avril » sur la fondation immédiate
d'une nouvelle Internationale. Ce n'était pas seulement du fait de la trahison
accomplie par la direction social-chauviniste de la Seconde Internationale,
qui, comme il le disait, constituait l'ennemie de classe, mais aussi pour
tracer une nette ligne de division entre les marxistes révolutionnaires et ce
qu'il appelait les « centristes » de l'Internationale de Zimmerwald,
ceux qui vacillaient entre le chauvinisme social et l'internationalisme
socialiste authentique, qui supportaient l'internationalisme par des mots mais
pas par des actes.
« C'est précisément à nous, et précisément à l'heure
actuelle, qu'il appartient de fonder sans retard une nouvelle Internationale,
une Internationale révolutionnaire, prolétarienne ; plus exactement, nous
ne devons pas craindre de proclamer hautement qu'elle est déjà fondée et
qu'elle agit.
C'est l'Internationale des « véritables internationalistes »...
Eux, et eux seuls, sont les représentants, et non les corrupteurs, des masses
internationalistes révolutionnaires.
Ces socialistes sont peu nombreux. Mais que chaque
ouvrier russe se demande si, à la veille de la révolution de février‑mars
1917, il y avait beaucoup de révolutionnaires conscients en Russie.
Ce n'est pas le nombre qui importe, mais l'expression fidèle
des idées et de la politique du prolétariat véritablement révolutionnaire.
L'essentiel n'est pas de « proclamer » l'internationalisme ;
c'est de savoir être, même aux moments les plus difficiles, de véritables
internationalistes. »
Concluant ses thèses par une flétrissante critique de ceux
qui se refusaient à une rupture définitive avec la social-démocratie, et qu’il
résumait dans la proposition que le parti russe se renomme en Parti communiste,
Lénine concluait, « Il est temps de jeter la chemise sale, il est temps de
mettre du linge propre. » [8]
A suivre
Notes:
2. Writings of Leon Trotsky[1933-44]
(New York: Pathfinder Press, 1972), pp. 232-37, traduction de l'anglais.
3. Trotsky’s Writings on Britain,
vol. 3 (London: New Park Publications, 1974), “The ILP after Disaffiliation,”
p. 67, traduction de l'anglais.
5. Ibid, Letter from Marceau Pivert to Leon Trotsky, Jan.
26, 1939, traduction de l'anglais.
6. Isaac Deutscher, The Prophet Outcast (London:
verso, 2003), p. 341, traduction française tirée, de Trotsky 6, Le prophète
hors-la-loi, coll. 10 18, p.561.
7. Writings of Leon Trotsky [1934-35]
(New York: Pathfinder Press, 1971), “Centrist Alchemy or Marxism,” pp. 262-63,
traduction de l'anglais.