A New World : A
Life of Thomas Paine, de Trevor Griffiths, met en
scène une personnalité du XVIIIe siècle qui a contribué significativement aux
révolutions américaines et françaises, et dont les écrits ont continué à
influencer les mouvements révolutionnaires depuis lors. La pièce de Griffiths
fera découvrir Thomas Paine à des milliers de gens. Cet homme avait écrit Rights
of Man pour défendre la Révolution française et Common Sense, dont
un extrait, The American Crisis, a été lu aux troupes de Washington à la
veille de la bataille de Trenton qui marqua un tournant de la Guerre
d'indépendance.
Alix Riemer dans le rôle de Carnet et John Light dans
celui de Thomas Paine dans A New World : A Life of Thomas Paine (Photo :
John Haynes)
La pièce suit
Paine sur une période de 30 ans, Griffiths nous emmène de son émigration vers
les États-Unis en 1774 à sa mort en 1809. C'est une longue période pour une
soirée et elle recouvre des événements qui ont défini une nouvelle époque, mais
Griffiths tisse adroitement la trame de la pièce qui mêle la biographie à
l'histoire, stimulant à la fois l'intelligence et les émotions de son public.
Cette pièce prend son sujet et son public au sérieux.
Paine est souvent
décrit comme l'« Anglais oublié », mais il était également citoyen
des États-Unis et de France, il serait plus juste de le considérer comme un
citoyen du monde. Certains sont oubliés parce que leurs idées ont perdu de
l'importance ou que leur célébrité était un trait superficiel d'une période
déterminée, mais les idées de Paine n'ont pas sombré dans un oubliqui
serait naturel et mérité. Son passage sous silence est un phénomène bien plus
délibéré qui indique parfaitement à quel point Paine est un personnage qui
divise toujours, à une période où la plupart des inégalités sociales et des
méthodes d'oppression qu'il décrivait existent toujours, parfois sous une forme
différente.
Paine naquit à
Thetford, dans le Norfolk, en 1737. Il quitta l'école à 12 ans pour devenir
apprenti corsetier puis il travailla pour le fisc à Lewes, dans le Sussex.
Lorsqu'il embarqua pour l'Amérique, il était ruiné, n'avait aucune promesse
d'emploi et apparemment aucun projet. Ce qui fit de cet homme sans-le-sou le
Thomas Paine que nous connaissons, ce fut la crise révolutionnaire qui
atteignait son pic lorsqu'il débarquait. C'est à ce moment-là que Thomas Paine
entra dans l'histoire et, comme nous le montre Griffiths, c'est aussi le moment
où il acquit son nom, un imprimeur lui ajoutant un e dans son premier article
publié.
Les imprimeries
sont très présentes dans A New World. Il y a celle du Pennsylvannia
Magasine, puis on voit Paine dans l'imprimerie parisienne du journal révolutionnaire
La Bouche de Fer. Ce ne sont pas simplement des décors ; elles font
partie du personnage de Paine. En arrivant en Pennsylvanie, c'est un
travailleur, suffisamment confiant dans ses capacités à se trouver un emploi
dans ce nouveau Monde. À Paris, on voit les efforts physiques que demande la
publication d'un journal trois fois par semaine dans l'épuisement physique des
révolutionnaires dormants à côté de leur presse. Griffiths nous fait sentir
l'importance des journaux, pamphlets et magazines pour ces premières
révolutions modernes ainsi que du rôle joué par Paine comme auteur donnant la
parole à des couches sociales qui étaient normalement exclues de la vie
politique.
La pièce de
Griffiths est une adaptation d'un scénario qu'il a écrit pour Richard
Attenborough, lequel avait longtemps voulu filmer la vie de Paine. Griffiths
l'avait publié sous le titre These are the Times : a Life of Thomas Paine
en 2005 lorsqu'il lui semblait que le film ne serait jamais réalisé. Depuis
lors, il a été adapté en une pièce pour la radio à la BBC, et maintenant pour
la scène. Les changements que Griffiths a faits pour la scène sont bien plus
importants que pour la radio. Notamment, et ce n'est pas le moindre, il a dû
retrancher une heure et demie de texte. Et pourtant, Paine l'écrivain émerge de
ce processus en plus haute définition. Dans le scénario, Paine a en permanence
un crayon dans la poche de son veston pour indiquer sa profession. Dans la
pièce, la présence physiquement imposante de la presse sur scène reprend ce
rôle.
Pour un homme qui
a passé tant de temps au cœur d'une activité souvent frénétique, il y a une
certaine solitude, un isolement, autour de Paine. C'est en partie le résultat
de données historiques fragmentaires et fortement biaisées, mais probablement
aussi l'expression d'un des aspects de la personnalité de Paine en tant
qu'auteur. Il y a des moments où l'auteur Paine et l'auteur Griffiths semblent
se refléter l'un dans l'autre. Tous les écrivains doivent inévitablement
se servir d'eux-mêmes, de leur propre expérience, comme fondement des
personnages qu'ils créent, mais le portrait de Paine que réalise Griffiths
prend la tournure d'un examen en profondeur de la relation entre l'écrivain et,
ce qui est également le thème dominant des travaux de Griffiths, la révolution.
John Light dans le
rôle de Thomas Paine fait passer cette passion contenue avec grand talent. Il
révèle beaucoup sur les sentiments intérieurs de son personnage et ses
interactions avec le personnage de l'enfant Lotte, jouée par Julia Reinstein,
ainsi que Will (Daniel Anthony), et les trois femmes qui ont compté dans la vie
de Paine, Philly (Jade Williams), Marthe (Laura Rogers) et Carnet jouée par
Alix Riemer.
Avec les enfants,
l'innocence presque enfantine du personnage de Paine arrive à la surface. Leur
curiosité de tout est la sienne. Will, un jeune esclave, accompagne Paine dans
les rues de Philadelphie comme un jeune égal portant son globe d'un quartier à
l'autre.
À l'un des moments
les plus poignants de la pièce, Paine revient à Philadelphie et découvre que
Will a été pendu par les Britanniques. L'effet dramatique est d'autant plus
intense que cela se déroule parmi les spectateurs debout dans l'enceinte du
théâtre. Le Globe est une reconstruction du Globe de Shakespeare
et il semble avoir donné à Griffiths des possibilités d'adaptation du scénario
à la scène qu'un théâtre moderne plus conventionnel n'aurait pu lui apporter.
Les acteurs se frayent un chemin à travers les spectateurs comme si ces
derniers faisaient partie de la scène.
Les personnages
féminins ont tous leur propre histoire. Griffiths a créé trois femmes entières,
dont les luttes dépeignent durement les effets de la société de classes sur
ceux qu'elle opprime. Paine considère chacune d'elles comme une égale et
chacune y répond à sa manière. Philly, la prostituée maltraitée, lui sauve la
vie quand il est débarqué du navire à Philadelphie, malade et fiévreux. Marthe
imprime des exemplaires de Common Sense, mais ne peut accepter une
relation qui ne soit pas validée par la société. Des trois, seule Carnet peut
répondre librement à Paine. La représentation qu'en donne Riemer illumine
la scène.
L'une des
meilleures scènes voit le révolutionnaire français Danton, joué d'une manière
très vivante par James Garnon, faire un discours au Club des cordeliers – en
français – pendant que Carnet, légèrement déguisée en homme, en fait la
traduction simultanée pour Paine. Cette scène transmet en quelques secondes le
caractère fondamental d'une révolution. Ce qu'un film aurait dépeint à grands
renforts de scènes de foule, Griffiths et le metteur en scène Dominic Dromgoole
l'ont montré avec une bien plus grande sobriété.
Trevor Griffiths (Photo : Jo Clauweart)
L'habileté de
Griffiths à créer des personnages ancrés dans l'histoire de cette période, tout
en étant psychologiquement crédibles et émouvants pour un public moderne, est
d'une importance cruciale dans la réussite de cette pièce. Il est capable
d'emmener le public dans les complexités de cette période sans être didactique
parce que les questions qui se posent alors sont des questions que se posent
les personnages eux-mêmes. Paine et Jefferson (Jamie Parker) discutent de la
rédaction de la déclaration d'indépendance devant des enfants qui se
chamaillent. Paine et Danton discutent de la nature de la révolution pendant
que ce grand orateur s'habille et se met du Kohl sur les yeux pour donner plus
d'effet au discours qu'il va faire. On sent que ces personnages appréhendent
ces grandes questions de l'histoire moderne pour la première fois. Avec
Griffiths, l'Histoire n'est pas quelque chose qui s'est passé et au sujet de
laquelle il va nous faire une conférence. C'est quelque chose qui se déroule
sous nos yeux chaque soir au Globe.
Ce qu'il a
accompli en adaptant pour la scène une œuvre écrite pour un médium hautement
naturaliste (le cinéma) est considérable. Il le fait avec une maîtrise de son
art qui cache la complexité de la tâche. Il a utilisé les chansons – la musique
est de Steven Warbeck – et développé le rôle de Benjamin Franklin,
magnifiquement joué par Keith Bartlett, comme narrateur. Aucune de ces
techniques ne semble forcée. Ils font pénétrer les spectateurs dans une
expérience théâtrale envoûtante.
Cette année marque
le bicentenaire de la mort de Paine et ce A New World : A Life of Thomas
Paine de Griffiths a déjà une importance pour cette seule raison. Mais il
a aussi une résonance contemporaine plus profonde en raison de son thème. Paine
écrivait sur une société caractérisée par des inégalités sociales
grandissantes. Une riche oligarchie de magnats urbains et d'aristocrates
possédant les terres s'était retranchée en Grande-Bretagne au moment où le
premier Empire britannique atteignait son apogée avec la défaite de la France
dans la Guerre de sept ans. En France, l'aristocratie avait saisi
l'opportunité qui se présentait avec l'affaiblissement du pouvoir royal pour
renforcer ses propres positions et étendre leur contrôle sur la paysannerie. Ce
sont les forces de classes contre lesquelles Paine s'élevait dans ses écrits.
Paine lui-même
apparaît dans cette pièce comme un modeste travailleur. Il n'y a rien de la
théâtralité narcissique d'un Danton chez lui. Ce sont les écrits de Paine, dont
de puissants extraits sont prononcés durant la pièce, qui représentent son for
intérieur, l'essence de l'existence de Paine en tant que révolutionnaire. Ils
sont toujours d'actualité et en les présentant comme il le fait, Griffiths fait
preuve d'une fidélité à ses principes dans notre période de réaction politique
qui est digne de Paine lui-même.
Au cours des
années à venir, ceux qui ont vu A New World : A Life of Thomas Paine de
Griffiths s'en souviendront comme d'un événement dont l'importance dépasse de
loin les limites du théâtre. Il est possible que les historiens fassent
remarquer qu'au moment où les effets de la récession se font sentir de l'autre
côté de la Tamise, dans la City de Londres, on rediscute sérieusement de la
signification de la question de la révolution . C'est une pièce de théâtre
courageuse et d'une grande portée qui fait le lien avec les événements et les
inquiétudes de notre époque aussi bien qu'elle évoque l'histoire des luttes
révolutionnaires du XVIIIe siècle.