Le premier ministre canadien Stephen Harper et le président
américain Barack Obama ont annoncé en conclusion d’une rencontre
qu’ils ont eue à la Maison-Blanche plus tôt ce mois-ci qu’ils
entamaient des pourparlers bilatéraux sur un périmètre de sécurité
nord-américain.
Le but déclaré de ces négociations est d’accroître de
façon importante l’intégration des organisations canadiennes et
américaines en matière de sécurité frontalière et l’harmonisation des
régimes de régulation des deux pays en matière de sécurité nationale,
d’immigration et de réfugiés, de façon à renforcer la sécurité
continentale, faciliter les déplacements transfrontaliers des marchandises et
des personnes et promouvoir la « compétitivité économique ».
Ces négociations sont basées sur la déclaration conjointe
de Harper et d’Obama qui a suivi leur réunion du 4 février :
« Par-delà la frontière : une vision commune de la sécurité et de la
compétitivité économique à l’intérieur du périmètre ». Cette
déclaration prévoit augmenter à un niveau sans précédent la longue
coopération déjà importante en matière de sécurité entre les forces militaires,
policières et agences de protection frontalière du Canada et des États-Unis
— y compris dans le cadre de l’OTAN et du Commandement de la
défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). « Nous avons
l’intention, soutient la déclaration conjointe, d’adopter une
approche axée sur la protection du périmètre pour la sécurité de nos deux pays,
travaillant de concert à l’intérieur et à l’extérieur de nos
frontières pour renforcer notre sécurité et accélérer la circulation légitime
des biens et des services entre nos deux pays. »
La déclaration annonce que les deux pays travailleront
ensemble « à défendre et à protéger notre usage des espaces aérien,
terrestre, maritime, et le cyberespace, ainsi qu’à accroître la sécurité
de nos réseaux intégrés de transport et de communication ».
Cela comprendra un « échange amélioré du renseignement
et de l’information » et autres formes de coopération accrue dans le
but d’identifier, de repérer, de prévenir et de contrer
« l’extrémisme violent » et de vérifier l’identité des
voyageurs.
Les deux pays développeront des normes communes pour la
collecte et la transmission des données biométriques des voyageurs ainsi
qu’un système commun permettant d’effectuer un suivi des personnes
entrant et sortant du Canada et des États-Unis. La déclaration explique
également que les deux pays ont l’intention « de prolonger les
programmes bilatéraux existants de police pour définir la prochaine génération
d’opérations policières transfrontalières intégrées ».
En d’autres mots, les négociations visent à renforcer
l’appareil répressif d’État des deux côtés de la frontière et à
accroître la collaboration des organisations de renseignements et militaires
grandissantes des deux pays.
Harper et Obama ont mis sur pied un « groupe de
travail par-delà la frontière » bilatéral pour élaborer et réaliser les
objectifs contenus dans leur déclaration. Ils ont également créé un conseil de
coopération Canada-États-Unis en matière de réglementation, doté d’un
mandat de deux ans pour harmoniser et simplifier les règlements en matière de
santé publique, de sécurité et d’environnement afin d’améliorer
« la compétitivité économique » — c’est-à-dire les
profits des entreprises.
Dans une déclaration distincte, Harper a mis l’accent
sur l’engagement de l’unité canadienne envers son partenariat
militaire et stratégique avec Washington et Wall Street, en déclarant que
« toute menace envers les États-Unis constitue une menace envers le
Canada, envers nos échanges commerciaux, nos intérêts, nos valeurs et notre
civilisation commune ».
« Le Canada, poursuit Harper, n’a pas
d’ami parmi les ennemis des États-Unis. Et les États-Unis n’ont pas
de meilleur ami que le Canada ».
Dans une remarque soulignant que les implications du
partenariat accru proposé entre le Canada et les États-Unis vont bien au-delà
des frontières de l’Amérique du Nord, Obama a remercié le premier
ministre canadien pour la décision prise par son gouvernement de prolonger le
déploiement des Forces armées canadiennes en Afghanistan pour trois années de
plus, c’est-à-dire jusqu’en 2014.
Des sections puissantes de l’élite dirigeante et
canadienne font pression depuis longtemps pour la création d’un périmètre
de sécurité nord-américain dans le but de soutenir et d’accroître le
partenariat économique et l’intégration économique continentale promus
par l’Accord de libre-échange nord-américain de 1989 et son successeur
l’ALENA. Représentées par des organisations telles le Conseil canadien
des chefs d’entreprise et Manufacturiers et Exportateurs du Canada, ces
sections de la classe dirigeante considèrent que l’établissement de liens
économiques encore plus étroits avec les États-Unis, accompagnés d’une
intégration accrue en matière de sécurité constituent un élément essentiel dans
leur réponse à l’émergence de nouvelles puissances en Asie, à la division
du marché mondial en blocs commerciaux régionaux, à la croissance de tensions
géopolitiques entre les grandes puissances, et à la part allant toujours en
diminuant du capital canadien sur le marché mondial et dans les
investissements. Elles voient également dans une intégration croissante avec
les États-Unis un levier permettant d’apporter des changements régressifs
dans les domaines socio-économiques et en matière de politique de sécurité et
auxquels la population s’est opposée jusqu’à présent.
La grande bourgeoisie canadienne est également mue par la
crainte que les bénéfices qui se sont accrus grâce au libre-échange avec les
États-Unis viennent à s’éroder. Elle a notamment peur de
« l’épaississement » de la frontière Canada-États-Unis —
la gamme de nouvelles restrictions et de contraintes que Washington a placées
sur le libre mouvement des marchandises et des personnes entre les deux pays au
nom de la « guerre contre la terreur ».
Au cours des années 1990, la rapide croissance du commerce
Canada-États-Unis était un important stimulant de la croissance économique au
Canada. Alors que la réduction des tarifs et la réorientation de
l’économie canadienne en vue de mieux servir le marché américain se sont
accompagnées de fermetures d’usines et d’une dislocation sociale
pour la classe ouvrière, les profits des entreprises ont bondi.
La dernière décennie a toutefois été marquée par une forte
chute du pourcentage des échanges commerciaux du Canada avec les États-Unis,
passant de près de 85 % à environ 73 %. Bien que de nombreux facteurs aient
contribué à cela, notamment la croissance de la compétition en Asie et la
montée de la valeur du dollar canadien, le commerce du Canada avec les
États-Unis a énormément souffert de « l’épaississement » de la
frontière Canada-États-Unis suite aux attentats terroristes du 11 septembre
2001. Une surveillance et des formalités douanières accrues, de même que de
nombreuses craintes d’attentats et alertes au terrorisme ont entraîné une
augmentation des coûts et des temps d’attente aux postes frontaliers à un
point tel que les constructeurs automobiles et de nombreux autres producteurs
largement intégrés ont dû abandonner leur processus de fabrication « juste
à temps ».
L’anxiété de l’élite entrepreneuriale
canadienne à propos de l’épaississement de la frontière
s’accompagne de toute une série de préoccupations économiques et
stratégiques. Celles-ci comprennent la crainte que le Canada perd de son
influence à Washington alors que son rôle dans l’économie américaine
décline en termes relatifs, tandis que celui de la Chine, du Mexique et
d’autres pays, est en croissance, et que les accords de libre-échange
conclus par Washington avec d’autres pays sont en train de miner
l’accès privilégié du Canada au marché américain. S’ajoute à cela
un ressentiment de longue date à propos du fait que le Canada n’est
jamais parvenu à sécuriser un accès garanti au marché américain (tant
l’ALE que l’ALENA n’ont en effet jamais exempté le Canada des
interventions du congrès américain sur les lois commerciales).
Le développement d’un partenariat plus étroit avec
les États-Unis — comprenant un périmètre de sécurité dominé par les
ceux-ci et des garanties liantes plus explicites faisant du Canada le
fournisseur « tous temps » des États-Unis en matière d’hydrocarbures
et autres formes d’énergie — a été présenté de plus en plus
fréquemment au cours de la dernière décennie par les porte-parole et
spécialistes proéminents de la classe dirigeante comme étant une façon de
défendre les intérêts de la bourgeoisie canadienne dans une nouvelle ère de
bouleversements économiques et géopolitiques.
Selon ce calcul, la création d’un périmètre de
sécurité nord-américain faciliterait non seulement le commerce avec les
États-Unis, mais accroîtrait également l’influence du Canada à
Washington, plaçant ainsi le pays dans un rapport stratégique unique avec les
États-Unis.
Ce qui est envisagé n’est rien de moins qu’une
forteresse en Amérique du Nord — un bloc économique stratégique et
militaire résolument opposé aux rivaux d’outre-mer des bourgeoisies
américaines et canadiennes, de même qu’à la classe ouvrière des deux pays
— une approche impudemment présentée dans une page en regard de
l’éditorial dans l’édition du 2 février du Globe and Mail
et signée par Colin Robertson, ancien diplomate canadien et actuel
vice-président du Canadian Defence and Foreign Affairs Institute.
« Nous devons nous engager dans une nouvelle étape,
écrit Robertson, car les gains obtenus grâce aux accords de libre-échange
remontent déjà à une décennie… La déclaration de M. Obama selon laquelle
il doublera les exportations américaines est une ouverture pour nous. Compte
tenu de la dynamique de notre chaîne d’approvisionnement intégrée, cela
signifie que nous devons faire partie de l’équation… Nos objectifs
conjoints seront de créer une approche de “périmètre” en matière de
sécurité mutuelle, afin de rendre la frontière “plus intelligente”,
se débarrasser du fouillis régulateur et gérer stratégiquement notre
environnement commun et ses ressources.
« … S’en tenir au statu quo signifie
poursuivre un déclin graduel. Pendant ce temps, l’express mondial va en
s’accélérant. »
L’élite canadienne — ou du moins sa faction
dominante — est déterminé à convaincre Washington que, pour reprendre les
paroles de Robertson, « le fait de nous inclure dans la couverture de
sécurité sert les intérêts économiques et en matière de sécurité nationale des
États-Unis. »
Une telle orientation stratégique ne peut que renforcer le
tournant de la bourgeoisie canadienne vers une politique étrangère « plus
musclée », basée sur son réarmement des Forces armées canadiennes et de leur
déploiement en Afghanistan et dans d’autres guerres impérialistes.
De façon significative, Ottawa subit déjà des pressions de
la part de Washington afin de jouer un rôle plus important aux côtés des
États-Unis dans la guerre contre la drogue au Mexique — une opération
utilisée par les États-Unis pour exercer une présence à des fins de sécurité
dans ce pays appauvri mais de plus en plus important économiquement et se
trouvant directement au sud de la « république du dollar ». Dans un discours
prononcé à Toronto l’an dernier, l’amiral James Winnefeld, chef du
Commandement du Nord au Pentagone et à NORAD, a déclaré publiquement que
« le Canada a un avenir à travailler avec ses deux voisins américains pour
lutter contre la menace commune, corrosive et croissante dans nos
sociétés. »
Le périmètre de sécurité nord-américain proposé est une
tentative de renforcer l’alliance stratégique entre les impérialismes
canadien et américain. Celle-ci doit être opposée de façon active et énergique
par la classe ouvrière en adoptant comme perspective d’unir les
travailleurs canadiens avec leurs frères et sœurs de classe des États-Unis
et du Mexique, dans une lutte commune pour former des gouvernements ouvriers et
créer les États-Unis socialistes de l’Amérique du Nord.
Cette perspective est diamétralement opposée à celle
d’une section du Parti libéral, du NPD social-démocrate et des syndicats
qui, sous la bannière de la « défense de la souveraineté
canadienne », s’opposent aux pourparlers sur la création d’un
périmètre de sécurité. Ces forces articulent en fait les intérêts de sections
de la bourgeoisie canadienne qui craignent d’être balayées advenant une
intégration économique plus étroite avec les États-Unis, ou encore qui espèrent
conserver plus de latitude pour l’élite dirigeante du Canada afin de
défendre ses propres intérêts prédateurs distincts de ceux de Washington.