Le gouvernement allemand a
eu une réaction de panique face la catastrophe nucléaire au Japon en faisant
une volte-face sur sa politique nucléaire. La principale préoccupation de la
chancelière allemande, Angela Merkel, est de rallier du soutien pour son parti
en difficulté dans des élections régionales importantes qui vont avoir lieu au
cours des deux prochains week-ends.
Lundi, la chancelière
Merkel de l’Union chrétienne démocrate (CDU) et son adjoint, Guido
Westerwelle, du Parti libéral-démocrate (FDP), ont annoncé à la presse un
moratoire de trois mois sur la prolongation de la durée de vie des centrales
nucléaires en Allemagne. Puis, après une réunion mardi avec les ministres-présidents
des Länder, Merkel a annoncé que les sept centrales nucléaires allemandes
construites avant les années 1980 seraient immédiatement arrêtés pendant trois
mois.
Cette manoeuvre ne trompera
pas ceux qui sont au fait de la politique énergétique antérieure du
gouvernement. A l’instar du Japon, le gouvernement allemand a
systématiquement subordonné le bien-être et la sécurité de la population au
puissant groupe de pression du nucléaire et aux intérêts de profit des
principales sociétés d’énergie.
A l’automne dernier,
le gouvernement de coalition mené par le CDU avait adopté le nouveau projet
d’énergie qui est à présent suspendu pour trois mois. Le projet prévoyait
l’extension de 8 à 14 ans de la durée de vie des centrales nucléaires
existantes, en garantissant de ce fait des milliards d’euros de profits
supplémentaires aux entreprises énergétiques. La mesure du gouvernement Merkel
révoquait le soi-disant consensus de sortie progressive du nucléaire adopté en
2000 par l’ancienne coalition SPD-Verts et les entreprises énergétiques.
Le consensus de 2000 avait
fait des concessions considérables aux entreprises de l’industrie
nucléaire. Il concédait aux usines existantes une durée de vie étonnamment
longue, en moyenne de 32 ans, en leur garantissant des milliards de profits
additionnels. Depuis lors, les Verts, qui autrefois étaient opposés à
l’énergie nucléaire, œuvrent pour assurer aux entreprises
énergétiques la capacité d’opérer tranquillement leurs réacteurs
nucléaires. Le parti des Verts a joué un rôle clé pour étouffer les
protestations militantes contre le transport des déchets nucléaires vers le
site de stockage à Gorleben.
La décision de Merkel de
proroger la durée de vie des usines nucléaires au-delà des dates fixées dans le
consensus nucléaire représentait une autre concession majeure faite au groupe
de pression nucléaire. En prenant cette décision, son gouvernement avait ignoré
tous les avertissements de défaillance potentielle des réacteurs vieillissants.
A présent, elle revient sur
tous ses arguments d’hier. Merkel a justifié le moratoire en ces
termes : « Les événements au Japon nous ont appris que des risques
jugés hautement improbables pouvaient se matérialiser. » Tout doit être
passé au banc de contrôle, a-t-elle poursuivi en disant que les trois mois
serviraient à vérifier la sûreté de toutes les centrales nucléaires.
En fait, les experts ont
depuis longtemps mis en garde contre de tels dangers, en indiquant que le
soi-disant risque résiduel n’est pas une donnée statistique négligeable
mais qu'il pouvait coûter la vie à des millions de gens en cas de catastrophe.
Les cas de panne ne font
pas défaut. Durant l’été 2006, par exemple, en Suède le système de
refroidissement du réacteur de la centrale nucléaire Fosmark avait cessé de
fonctionner. L’usine était passée tout près de la fusion du cœur du
réacteur, à sept minutes près. Le groupe suédois d’énergie Vattenfall,
qui opère un certain nombre d’usines nucléaires en Allemagne, avait tenté
de cacher l’incident et de minimiser ce qui s’était passé –
avec un succès limité. L’incident a montré qu’un désastre pouvait
arriver du fait de la simple défaillance des générateurs d’urgence et pas
nécessairement d'un événement naturel spectaculaire tel celui survenu au Japon.
Quand Merkel brandit
subitement le principe de « sécurité d’abord, » c’est dû
en premier lieu aux élections régionales à venir. Dimanche prochain, une
élection aura lieu dans le Land de Saxe-Anhalt et une semaine plus tard des
élections se dérouleront en Rhénanie-Palatinat et dans le Bade-Wurtemberg.
La prolongation des usines
nucléaires décidée à l’automne dernier est à présent un boulet autour du
cou de la coalition dirigeante. Les événements au Japon ont clairement montré à
de vastes couches de la population les dangers d’une catastrophe
nucléaire dans des régions à forte densité humaine.
Dans le Land de
Bade-Wurtemberg, dans lequel le CDU est au pouvoir depuis 1953, le
ministre-président, Stefan Mappus, est supposé avoir peu de chances de
remporter l’élection de la semaine prochaine. Samedi dernier, plus de
60.000 manifestants se sont regroupés pour une manifestation anti-nucléaire à
Stuttgart. La manifestation était prévue de longue date, mais après le désastre
au Japon la mobilisation a été bien plus importante qu’anticipée. Stuttgart
est la première ville de Bade-Wurtemberg et l’opinion publique se
manifeste de plus en plus contre Mappus qui est l’un des défenseurs les
plus agressifs de l’énergie nucléaire au sein du CDU.
Les événements au Japon ont
un impact majeur sur l’opinion publique en Allemagne. Des millions de
gens ont suivi les reportages des médias en direct sur l’évolution de la
catastrophe à la centrale de Fukushima. Les propriétaires de l’usine ont
littéralement perdu le contrôle des quatre réacteurs et de nombreux experts
estiment qu’une fusion du cœur du réacteur a déjà débuté dans trois
des réacteurs.
Les mesures prises par les
ingénieurs sur le site pour contenir le désastre est l’expression que le
désespoir prévaut. Ils tentent pour le moment de refroidir les réacteurs avec
de l’eau de mer – une mesure d’urgence improvisée et sans
précédent.
Une fusion a lieu lorsque
les barres de combustible nucléaire continuent de s’échauffer du fait
d’un refroidissement insuffisant. A une température de 900 degrés
Celsius, le métal des fûts dans lesquels l’uranium est conditionné
commence à s’effriter. A 2.850 degrés, l’uranium même fond. Dans
l’intervalle entre ces deux phases, des processus chimiques ont lieu et
qui produisent de l’hydrogène hautement explosif.
Aucune cuve de réacteur ne
peut résister à la température de fusion du cœur du réacteur. Les
alternatives sont soit une explosion – comme dans le cas de la
catastrophe de Tchernobyl – soit la masse liquide pénètre doucement dans
le sol. On ne peut même pas écarter l'éventualité d'une explosion nucléaire
incontrôlée.
De grandes quantités de
vapeur hautement radioactive seraient libérées tant lors d’une fusion que
lors d’une explosion, et qui, selon les conditions météorologiques,
pourraient se répandre sur de longues distances en contaminant pendant des
décennies des régions entières. Le pire scénario serait la fusion du réacteur 3
qui utilise du plutonium hautement toxique. Ceci menacerait la vie et la santé
de dizaines de milliers de gens, non seulement au Japon – 35 millions de
personnes vivent uniquement dans le Grand Tokyo – mais aussi en Corée, en
Chine et en Russie.
Selon l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA), les niveaux de radiation
détectés à l’usine nucléaire ont atteint 400 millisievert par heure,
c’est-à-dire 400 fois la dose annuelle admissible. Ces niveaux à eux
seuls suffisent à causer en un très court laps de temps la maladie des rayons
(radiation sickness).
Au vu de ces événements
dramatiques, il est peu probable que la manœuvre politique de Merkel
convainque beaucoup de gens. Dans le cas d’une débâcle du CDU lors des
prochaines élections régionales, les bénéficiaires en seront les
sociaux-démocrates (SPD) et les Verts. Mais ces deux partis aussi se trouvent
tout aussi fermement sous l’emprise du groupe de pression nucléaire.
Gerhard Schröder (SPD) et
Joschka Fischer (Verts), chancelier et vice-chancelier de l’ancienne
coalition SPD-Verts, sont tous deux membres de groupes de pression de
l’industrie énergétique. Schröder dirige le gazoduc de la société Nord
Stream tandis que Fischer est un conseiller influent pour le gazoduc Nabucco.