Le 20 mars, les électeurs ont participé au premier tour des élections
cantonales pour élire les membres du Conseil général, les représentants qui
administrent les 101 départements du pays. Le second tour se déroulera le 27
mars.
L'élection a été marquée
par la profonde aliénation des électeurs par rapport au système politique en
faillite, comme en témoignent un taux d'abstention record et l'avance
électorale du Front national (FN) néofasciste. Le parti conservateur au pouvoir
du président Nicolas Sarkozy, Union pour un mouvement populaire (UMP), qui a à
peine dépassé le score du FN aux élections, a déclenché un débat public acharné
sur les consignes de vote pour le second tour et plus généralement l'avenir de
l'UMP. De nombreux commentateurs discutent de la possibilité d'une scission de
l'UMP.
La veille des
élections, Sarkozy a lancé des chasseurs-bombardiers sur la Libye lors d'une
attaque non provoquée.
Moins de 45 pour cent
de l'électorat s'est rendu aux urnes le 20 mars lors du premier tour, ce qui
représente un taux d'abstention record. C'est le taux d'abstention le plus
élevé pour de telles élections depuis 50 ans. Par rapport aux élections
cantonales de 2004, tous les partis, mis à part les Verts, ont obtenu
significativement moins de voix.
Le Parti socialiste
(PS), parti bourgeois, arrive en tête avec 25 pour cent des voix. L'UMP de
Sarkozy arrive en deuxième position avec 17 pour cent, suivi de près par le
Front national néofasciste conduit par Marine Le Pen, avec 15 pour cent.
L'ensemble des voix obtenues par chacun de ces partis est nettement moins élevé
qu'en 2004.
Le scrutin a été organisé dans la moitié des 4 000 cantons de France où
la moitié des sièges des 101 départements que compte le pays étaient soumis au
vote. Malgré le caractère local et partiel de l'élection, les résultats sont
considérés comme l'expression, à l'échelle nationale, de la popularité des
partis politiques du pays.
Les candidats obtenant
au premier tour des élections 12,5 pour cent de l'électorat (et non des
suffrages exprimés) restent au deuxième tour des élections qui se tiendront le
27 mars.
Dans 206 cantons, il y
aura des duels entre candidats du FN et du PS, et la question qui se pose est
de savoir si l'UMP va appeler ses électeurs à s'allier au PS pour un
« Front républicain » comme le demande la direction du PS. Dans un
tel projet de « Front républicain »chacun des deux partis les plus
importants de la bourgeoisie française, l'UMP et le PS, demanderait à ses
électeurs de voter pour l'autre parti dans les cantons où son candidat ne reste
pas au second tour, face au FN. Un tel arrangement, soutenu par toutes les
tendances au sein du PS, permettrait à l'UMP de s'accrocher à 89 sièges et au
PS de conserver 206 sièges.
Le faible score de
l'UMP le 20 mars n'a pas été une surprise. Un sondage Ipsos du 14 mars estimait
à 29 pour cent la cote de popularité de Sarkozy. Plusieurs sondages sur les
intentions de vote pour les élections présidentielles le donnent battu au
premier tour par la néofasciste Le Pen ou par divers possibles candidats
socialistes.
Le sondage Ipsos donne
au directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn, candidat le plus probable du PS, 33
pour cent des voix, 19 pour cent à Le Pen et 18 pour cent à Sarkozy. Cela
signifierait que l'UMP serait éliminé du second tour de l'élection
présidentielle.
Nadine Morano,
ministre de l'Apprentissage, a exprimé la position de Sarkozy et du secrétaire
général de l'UMP Jean-François Copé, qui n'appellent pas à voter PS là où il y
a des duels PS-FN le 27 mars. Elle a dit avec insistance qu'un appel à voter PS
« crédibiliserait l'idée véhiculée par
Marine Le Pen que 'l'UMPS' (...) existe en France » - c'est à
dire le sentiment largement partagé que l'UMP et le PS sont les deux branches
du même establishment patronal.
Néanmoins, la position
officielle de l'UMP ne fait que souligner le fait que ce parti droitier dépend
politiquement d'un rapprochement avec le FN et que sa base électorale chevauche
de plus en plus la base électorale du parti de Le Pen.
Mais certains membres de l'UMP craignent le risque d'un rapprochement
manifeste avec le FN, impliquée par les paroles de Copé, «Je ne peux appeler à
voter ni pour le FN ni pour le PS. »
Le 24 mars, le quotidien conservateur Le Figaro a écrit que de
nombreux membres de l'UMP se sentaient politiquement menacés par la politique
chauvine et anti-musulmane de Sarkozy, qui a joué un rôle clé dans le
renforcement du FN: «Débat sur l'identité nationale, puis sur l'islam et la
laïcité, ou discours de Grenoble stigmatisant les Roms... Depuis plusieurs
mois, nombre de personnalités modérées membres de l'UMP sont mal à l'aise,
comme l'illustrent les atermoiements du parti sur les consignes à donner face
au FN. »
Le premier ministre
François Fillon a publiquement rompu avec la politique de Sarkozy cette semaine
et appelé à voter contre le FN au second tour. Valérie Pécresse, ministre de
l'Education supérieure et Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de
l'Environnement, ont recommandé de voter pour les candidats du PS afin de
barrer la route au candidat du FN, ce qu'a aussi recommandé Jean-louis Borloo,
président du Parti radical, qui avait été pressenti pour être nommé Premier
ministre par Sarkozy.
Selon certains
reportages, Borloo envisagerait de retirer son groupe parlementaire de l'UMP.
Il a déclaré que pour stopper le FN, « il est nécessaire de voter
PS. »
Le porte-parole du
Parti socialiste Benoît Hamon et Harlem Désir, numéro 2 du PS, ont tous deux
appelé à un accord électoral de Front républicain avec l'UMP.
Pour sa part, le
Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot appelle à voter PS
contre le FN. Besancenot a appelé les électeurs du NPA (anciennement Ligue
communiste révolutionnaire, LCR) « à voter pour le candidat de gauche
lorsqu'il reste en lice contre le Front national. » Mais il « n'est
pas pour la constitution d'un Front républicain et n'appelle pas à voter pour
un candidat UMP contre le FN. »
Ce n'est en aucune
façon une position de principe. En 2002, ce qui était à l'époque la LCR avait
participé à un bloc électoral avec la droite, pour soutenir le président
Jacques Chirac au second tour des élections présidentielles, contre le candidat
FN Jean-Marie Le Pen.
Le NPA a publié une
déclaration faisant part de sa déception face aux résultats de l'élection. La
déclaration dit, «Le NPA soutenait des candidatures dans environ 200 cantons
sur un total d'environ 2000 renouvelables. Il s'est présenté seul dans 80
cantons et dans 120 cantons, il participait à des coalitions unitaires (accords
de répartition, accords unitaires avec diverses formations à la gauche du PS)" »
Ceci fait partie d'un déclin plus large des résultats et de l'activité
des partis soi-disant « d'extrême- gauche ». Lors des élections
cantonales de 2004, « l'extrême-gauche », Lutte ouvrière (LO), le
Parti ouvrier indépendant (POI) et ce qui était alors la LCR, avaient présenté
1 543 candidats. Cette année ils en ont présenté 368.
La déclaration du NPA
a reconnu: « Les résultats sont décevants pour les comités du NPA qui se
sont lancés. La moitié de nos candidat-e-s enregistre un résultat situé entre 2
et 4 pour cent. »
Ces résultats
témoignent de l'état de sclérose avancé de l'establishment politique
français et avant tout du vide qui existe à gauche. Le sentiment est largement
répandu que les partis « d'extrême-gauche » ne représentent pas une
alternative au PS, et les deux principaux partis de gouvernement sont
profondément discrédités par leur politique anti-ouvrière et libérale. Dans ces
conditions, seul le FN néofasciste, parti très impopulaire auprès de la grande
majorité de la population, a relativement progressé.
Plusieurs reportages ont suggéré que la crise de l'UMP et plus
largement du système politique a joué un rôle dans la décision de Sarkozy de
lancer une attaque contre la Libye. Le Guardian fait remarquer que
« certains dans le premier cercle du président se demandent si l'opération
Aube de l'Odyssée ne pourrait pas sauver la peau de l'homme qui, il y a de cela
à peine quelques jours, semblait condamné à une humiliation électorale. De
façon ô combien discrète, ils vont espérer que la Libye fasse pour Sarkozy ce
que les Falklands ont fait pour Margaret Thatcher: enscencer un dirigeant de
guerre victorieux méritant d'être réélu. »
Le Guardian a cité un diplomate anonyme à Paris qui a dit,
« Une bonne crise pourrait bien être juste ce dont Sarkozy a
besoin. »